Paris: French Minister for Education and Youth Nicole Belloubet

Groupes de niveau au collège : les sénateurs pointent le « renoncement » de Nicole Belloubet, qui fait « machine arrière »

La ministre de l’Education, Nicole Belloubet, a annoncé « une certaine souplesse » dans la mise en place des groupes de niveau en mathématiques et français, initiés par Gabriel Attal en décembre. S’il soutient « l’autonomie » promise aux établissements, le sénateur LR Max Brisson craint que la réforme soit « édulcorée ». « Ce qu’il faut, ce n’est pas un choc des savoirs, c’est un choc budgétaire », avance le communiste Pierre Ouzoulias.
François Vignal

Temps de lecture :

10 min

Publié le

Mis à jour le

C’était l’une des mesures phare du « choc des savoirs » voulu par Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, pas plus tard qu’en décembre : la création de groupes de niveau en français et en mathématique à la rentrée 2024, d’abord en 6e et 5e, puis en 4e et 3e, en 2025. Depuis, Gabriel Attal est devenu premier ministre. Et après le crash d’Amélie Oudéa-Castéra, c’est l’ex-ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui a pris les rênes du ministère de la rue de Grenelle.

Pour sa première grande interview, accordée au quotidien Le Monde, la nouvelle ministre de l’Education nationale a tout bonnement mis un coup dans l’aile au grand projet de Gabriel Attal. Si elle assure que le principe est maintenu, Nicole Belloubet a annoncé l’introduction « d’une certaine souplesse » dans le dispositif. « Il appartiendra au chef d’établissement de voir à quels moments dans l’année il faut rassembler les élèves en classe entière, afin de réexaminer la composition des groupes dans ces deux matières fondamentales », explique la ministre, qui assure croire « à l’autonomie des établissements » et vouloir faire « confiance aux équipes éducatives ».

Les élèves resteront « en classes entières pour certaines séquences »

Contrairement aux apparences, elle assure qu’il ne faut pas y voir un contrepied après les premières annonces de Gabriel Attal. « Lui et moi sommes d’accord à 100 % sur l’ambition », soutient la ministre.

Les groupes de niveau ne se feront plus sur toute l’année, comme prévu initialement, mais de manière transitoire. Lors d’un déplacement jeudi après-midi dans un lycée parisien, la ministre a précisé qu’il s’agirait de « groupes de besoin, en fonction de compétences à acquérir », et que les élèves travailleraient « en classes entières pour certaines séquences », dans « des temps déterminés de l’année ».

Au passage, on observe que le terme « groupe de niveau » a disparu pour laisser la place aux « groupes de besoin ». Entre le fond et la forme, la ministre, qui se dit « très à l’écoute des personnels », donne ainsi l’impression de donner des gages aux syndicats, qui avaient très mal accueilli la nouvelle, comme au monde enseignant en général. Les chefs d’établissement et les fédérations de parents d’élèves avaient aussi pointé du doigt la mesure.

Soulagement des syndicats

Pour les syndicats, c’est le soulagement. « On acte le fait que les groupes de niveau ne vont plus apparaître dans les textes », souligne à l’AFP Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des collèges et lycées, « c’est donc un recul ». Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, premier syndicat des chefs d’établissements, salue « un changement de braquet qu’il faut saluer », soulignant que « les équipes vont pouvoir réfléchir localement ».

Du côté des sénateurs, on voit globalement ces annonces comme un recul. « Je ne sais pas ce qui est le plus grave dans cette affaire : le cynisme ou l’impuissance. Avoir fait croire aux Français que le gouvernement allait enfin agir pour l’école, ou continuer la politique de sape du système éducatif français. Dans les deux cas, zéro sur toute la ligne ! » a dénoncé sur X Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat.

 

« Les groupes de niveau étaient une bonne idée », selon le sénateur LR Max Brisson

Son collègue des Pyrénées-Atlantiques, le sénateur LR Max Brisson, attend lui de voir. « Moi qui suis très attaché à l’autonomie des établissements, qui souhaite que les équipes pédagogiques soient en capacité de s’adapter aux réalités pédagogiques et de s’organiser en fonction des élèves, ça ne me gêne pas », commence le sénateur, qui suit les questions d’éducation pour le groupe LR. « Si en revanche, il s’agit de contourner la proposition initiale de Gabriel Attal, et que la notion de niveau soit peu à peu édulcorée et disparaisse, ça montrerait le vrai visage de Nicolas Belloubet en matière d’éducation. Ça la renverra à ses discours antérieurs, c’est-à-dire une certaine hostilité, comme l’hostilité des gens de gauche, de tout ce qui peut être perçu comme la stigmatisation des élèves, c’est-à-dire la pensée dominante », dénonce Max Brisson, qui soutient que « ces gens ont échoué et ne se remettent pas en cause ».

Pour le sénateur LR, l’idée en soi des groupes de niveau est juste. « Quand on discute avec des professeurs, ils nous disent le plus souvent que le grand souci au collège, c’est l’hétérogénéité des classes. Il est très difficile de faire classe en 5e, ou certains élèvent lisent couramment, ont une pratique de la langue française totalement fluide, et d’autres qui ânonnent encore. J’ai toujours pensé que l’honneur du métier de professeur, c’est d’enseigner aux meilleurs et à ceux le plus en difficulté. Mais j’ai toujours pensé que le faire en même temps, dans la même classe, c’était impossible, sauf pour les grands pédagogues qui n’ont pas vu un élève depuis 30 ans ! Donc les groupes de niveau étaient une bonne idée », pense le sénateur des Pyrénées-Atlantiques, pour qui « la fluidité » mise en place dans le dispositif ne pose pas de problème. « Quand on est dans un groupe de niveau, si on acquiert les compétences, il n’y a aucune raison d’y rester », remarque Max Brisson.

« C’est un renoncement par rapport au projet de Gabriel Attal », selon le sénateur Laurent Lafon

Pour le président de la commission de la culture et de l’éducation du Sénat, le sénateur UDI Laurent Lafon, les déclarations de Nicole Belloubet ne font aucun doute : « C’est un renoncement par rapport au projet de Gabriel Attal. N’oublions pas qu’il a fait cette annonce suite au classement Pisa qui montrait que le niveau des élèves baissait en mathématiques et en français notamment. C’était il y a 4 ou 5 mois. Manifestement, la ministre de la Culture ne met pas en œuvre ce qui a été annoncé », constate Laurent Lafon.

Le sénateur du Val-de-Marne ne croit pas l’idée mise sur la table par la ministre, d’une réforme appliquée de manière plus souple. Est-on alors davantage dans l’habillage d’un renoncement ? « Absolument », confirme Laurent Lafon, qui ajoute :

 On sait ce que ça veut dire, quand il y a une reculade en l’espace de quelques semaines entre deux ministres, qu’on renvoie à des termes extrêmement flous, les chefs d’établissement vont très vite interpréter que ça ne correspond plus à une volonté de la part du ministère. 

Laurent Lafon, président de la commission de la culture et de l'éducation du Sénat.

« Pour les classes de niveau, il fallait des moyens supplémentaires »

Selon le président de la commission de la culture et de l’éducation, Nicole Belloubet cherche aussi à mettre de l’huile dans ses relations avec les syndicats. « C’est probablement ça. La ministre est très attentive à ce que peuvent dire les syndicats, mais ça se fait sans doute au détriment d’une ambition », regrette Laurent Lafon.

Même si le ministère assure que les postes qui étaient prévus en plus pour les groupes seront au rendez-vous, le sénateur centriste souligne que la question des moyens va se poser, d’autant que le ministère est aussi mis à contribution dans les 10 milliards d’euros d’économies annoncées. « Pour les classes de niveau, il fallait des moyens supplémentaires. Ce n’était pas un obstacle il y a 4 mois. C’est quand même une remise en cause », pense le sénateur. « Quels sont les objectifs du gouvernement en matière scolaire ? », demande Laurent Lafon, qui craint que « si on ne met plus les moyens, cela veut dire que ce n’est plus un objectif prioritaire ».

« Les établissements n’ont pas les moyens d’assurer ce qu’ils doivent faire et on leur en demande plus », souligne le sénateur Pierre Ouzoulias

Le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias, tire la même conclusion de l’annonce de la ministre. « Le gouvernement fait machine arrière », lance le sénateur PCF. Lui aussi pointe le manque de crédits budgétaires. « Quand on n’a pas les moyens de sa politique, on a la politique de ses moyens. On ne fait pas de réforme à budget constant, ou en baisse. L’objectif, si j’ai bien compris, c’était de retrouver l’esprit du dispositif « plus d’un maître par classe », donc permettre aux élèves en difficulté de pouvoir bénéficier d’une aide particulière des professeurs. Mais il faut des moyens pour ça », rappelle le sénateur PCF des Hauts-de-Seine. Il continue : « Si on veut une meilleure prise en charge des élèves en difficulté, il faut, hors temps scolaire, redonner des cours de remédiation, et ça, ce sont des moyens. Et les établissements ont vite compris qu’ils ne pouvaient faire ça que par redéploiement des heures déjà disponibles. Ça ne marche pas ». Le vice-président PCF du Sénat ajoute :

 Ce qu’il faut, ce n’est pas un choc des savoirs, c’est un choc budgétaire. On ne peut pas faire l’un sans l’autre. 

Pierre Ouzouilas, sénateur PCF des Hauts-de-Seine.

Quant à l’accent mis par Nicole Belloubet sur l’autonomie, « c’est de l’hypocrisie » selon Pierre Ouzoulias, « les établissements n’ont pas les moyens d’assurer ce qu’ils doivent faire et on leur en demande plus. Les établissements privés ont dit la vérité. Sans moyens supplémentaires, ce n’est pas possible d’appliquer la réforme. Là, je suis d’accord avec les établissements privés ».

« Le changement de méthode est radical par rapport à Amélie Oudéa-Castéra. Elle, elle sait parler aux enseignants »

Point au moins positif qu’il voit chez Nicole Belloubet : « Le changement de méthode est radical par rapport à Amélie Oudéa-Castéra. Elle, elle sait parler aux enseignants. Elle a compris que ça ne servait à rien d’aller à l’affrontement. Et elle fait machine arrière, c’est un renoncement. Je pense qu’ils se sont rendu compte que c’est pratiquement totalement impossible à mettre en œuvre », selon le sénateur PCF. Résultat, « ce qu’il restera des grandes annonces de Gabriel Attal, c’est l’uniforme et l’abaya, donc les mesures vestimentaires ».

Pierre Ouzoulias pointe aussi du doigt l’inconstance des lignes politiques, au gré des changements de ministre. « Ça fait 10 ans que les réformes se suivent, se font et se défont. C’est le syndrome de Pénélope. La tapisserie est faite le jour et défaite la nuit et à la fin, on n’en sort pas ». Le centriste Laurent Lafon s’étonne aussi « que les objectifs varient d’un ministre à l’autre, dans un même gouvernement. C’est frappant. Or l’efficacité en matière scolaire se prouve dans le temps long ».

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

PARIS – COUVRE FEU – QUARTIER LATIN – INSOLITE
9min

Éducation

Antisémitisme : les présidents d’universités dénoncent une instrumentalisation politique, les sénateurs partagés

La parution d’une tribune signée par 70 présidents d’établissements d’enseignement supérieur dans Le Monde le 25 avril met en avant leur inquiétude face à l’ « instrumentalisation politique » de l’université. Publiée quinze jours après une audition très tendue au Sénat du président de France Universités sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, ce texte est très mal reçu par la droite de l’hémicycle, alors que la gauche fait valoir son inquiétude face à une dérive « anti-libérale ».

Le

Paris Education Strike
9min

Éducation

Derrière la grève des profs en Seine-Saint-Denis, un ras le bol général contre « un sentiment de relégation »

Deux mois après le début du mouvement, l’intersyndicale enseignante appelait à une nouvelle journée de mobilisation ce lundi 22 décembre en Seine-Saint-Denis. Enseignants, syndicats et élus de gauche estiment que les solutions du gouvernement ne sont pas à la mesure des difficultés « hors normes » que connait le secteur de l’enseignement dans ce département.

Le

GABRIEL ATTAL arrivee du Premier Ministre a Nice
4min

Éducation

« Elèves décrocheurs » : Comment fonctionnent les internats éducatifs ? 

Ce lundi 22 avril, Gabriel Attal était en déplacement à Nice afin de lancer l’expérimentation d’un internat éducatif à destination d’élèves décrocheurs au sein de la cité scolaire du Parc impérial à Nice. Il s’agit pour le Premier ministre « d’investir la prévention pour éviter la délinquance. ». Aux côtés d’Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, de Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat chargée de la Ville et de Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Gabriel Attal a explicité les conditions de mise en œuvre de cet internat.

Le

Groupes de niveau au collège : les sénateurs pointent le « renoncement » de Nicole Belloubet, qui fait « machine arrière »
4min

Éducation

« Je suis stupéfait par ce que j’ai entendu ! », l’audition de représentants des universités sur l’antisémitisme inquiète les sénateurs LR

Ce 10 avril, en ouverture de sa mission flash sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, le Sénat entendait le président de France Universités et une professeure de philosophie membre du Conseil des sages de la laïcité. Une audition qui semble avoir choqué plusieurs sénateurs de droite, qui dénoncent le « déni total » de l’institution face à la recrudescence des actes antisémites.

Le