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Officialisation des groupes d’élèves au collège : « L’hétérogénéité des classes ne fonctionne plus », pour la droite sénatoriale

Le gouvernement vient d’officialiser une mesure controversée en publiant au Journal Officiel un arrêté visant à créer à la rentrée prochaine, des « groupes » d’élèves en mathématiques et en français au collège. S’il n’est pas fait mention de « niveau », mais » de groupes constitués en fonction des besoins des élèves », ils seront désormais la règle comme le souhaitait le Premier ministre. Un début de « révolution » saluée par la droite sénatoriale. La gauche dénonce « des groupes de relégation ».
Simon Barbarit

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Après plusieurs jours de flottement au sujet de l’application de la mesure phare du « choc des savoirs », cher à Gabriel Attal, un arrêté publié au Journal Officiel ce week-end détaille la mise en place de groupes de niveau au collège à la rentrée prochaine.

Pour mémoire, la ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet avait semblé freiner l’implication d’une telle réforme évoquant « une certaine souplesse » laissée aux chefs d’établissements dans sa mise en œuvre et préférant parler de « groupes de besoins » dans « des temps déterminés de l’année ». Quelques jours s’étaient écoulés avant que Gabriel Attal ne la rappelle à l’ordre dans un entretien à l’AFP. Le Premier ministre avait assuré que les groupes de niveau seraient « la règle » en sixième et cinquième sur « les trois quarts de l’année au moins ».

L’arrêté confirme l’arbitrage en faveur du Premier ministre. Les groupes d’élèves seront bien la règle pour les élèves en classe de 6e et 5e à la rentrée 2024, et de 4e et 3e un an plus tard. Mais, « par dérogation et afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes », les élèves peuvent être « regroupés conformément à leur classe de référence pour ces enseignements » « pour une ou plusieurs périodes », allant d’« une à dix semaines dans l’année ». « La composition des groupes est réexaminée au cours de l’année scolaire, notamment à l’occasion des regroupements, afin de tenir compte de la progression et des besoins des élèves », est-il également mentionné.

« Il y a de la perte en ligne, car le système freine des quatre fers »

Nicole Belloubet remporte néanmoins une victoire sémantique puisqu’il n’est pas fait mention de « groupes de niveau » mais de groupes « constitués en fonction des besoins des élèves identifiés par les professeurs ». L’arrêté précise également que « les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficient d’effectifs réduits ». « Je constate que le mot ‘’niveau’’ a disparu conformément à la volonté d’un système dont la ministre de l’Education est issue. Année après année, le niveau baisse car l’hétérogénéité des classes ne fonctionne plus. Les groupes de niveaux sont dans l’esprit du collège unique qui ne veut pas dire collège uniforme. Les groupes de niveaux sont une bonne idée mais malheureusement, il y a de la perte en ligne car le système freine des quatre fers », se désole, Max Brisson, vice-président LR de la commission de la culture et de l’éducation.

« Il n’est pas fait mention de groupes de niveau, mais l’intention reste là », veut croire Jacques Grosperrin (LR), également vice-président de la commission de la culture et de l’éducation du Sénat. « Nous avons besoin d’une vraie révolution au sein de l’Education nationale. C’est le deuxième poste de dépenses de l’Etat, 60 milliards d’euros dans le budget, et pourtant la France dégringole au classement Pisa. Gabriel Attal en a conscience et propose des mesures intéressantes. Il y a une hypocrisie à associer les groupes de niveaux à une forme de stigmatisation des élèves. Si l’on compare au sport, les groupes hétérogènes ne font progresser personne. Et d’ailleurs, dans les cours d’EPS, les groupes de niveau existent déjà », prend-il comme exemple.

Pour la gauche, c’est un sentiment « de grande confusion » qui ressort de la formulation de l’arrêté. « Plusieurs jours de cacophonie entre le Premier ministre et la ministre de l’Education débouchent sur un texte incompréhensible. Et cette réforme doit se faire à moyens constants même si les Conseils départementaux de l’Éducation nationale (CDEN) ont déjà acté la carte scolaire pour l’année prochaine. Il y a une volonté de la part de l’exécutif de faire appliquer à marche forcée une réforme que l’ensemble de la communauté éducative dénonce », pointe la sénatrice socialiste Colombe Brossel, ancienne adjointe à la mairie de Paris, en charge de la réussite éducative.

Les syndicats enseignants et de chefs d’établissements pointent, en effet, un risque de « tri » des élèves et relèvent un manque de moyens pour les mettre en place. A la lecture de l’arrêté, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, syndicat majoritaire, a dénoncé sur X (anciennement Twitter) « une usine à gaz pour tenter de sauver une obsession politique au mépris de la réalité de terrain ».

« L’Etat renonce à sa mission de service public »

« Je n’ai toujours pas compris quel était l’objectif politique de cette réforme. Si c’est une volonté d’accompagner tout le monde, alors pourquoi ne pas mettre en place ces groupes de niveau dès le primaire ? Si c’est la volonté de copier le modèle privé en faisant le tri pour ne conserver que les meilleurs, alors l’Etat renonce à sa mission de service public qui est de faire progresser tout le monde, en créant des groupes de relégation », s’insurge le Pierre Ouzoulias, sénateur communiste.

D’autres mesures du « choc des savoirs » ont également été publiées dimanche au Journal officiel. Un décret sur redoublement acte le changement de règles annoncé en décembre par Gabriel Attal, alors ministre de l’Education. Ce sont les professeurs, et non plus les familles qui auront le dernier mot.

Dans le primaire, « un redoublement pourra être décidé et non plus « proposé » par le conseil des maîtres. Les parents disposeront d’un délai de quinze jours pour former un recours ».

Au collège et au lycée, le redoublement pourra, comme avant, « être décidé par le chef d’établissement », à la suite d’une « phase de dialogue » avec l’élève et ses parents, et « après que le conseil de classe s’est prononcé ». Il n’est plus mentionné que cette décision est prise « à titre exceptionnel ».

Le gouvernement veut « faire sortir du parcours d’enseignement général, un certain nombre d’élèves »

Plus polémique, les textes évoquent la nouvelle « classe préparatoire à la classe de seconde », pour les élèves qui n’auront pas eu leur brevet en fin de troisième. Un examen dont l’obtention conditionnera désormais le passage en seconde. A la rentrée prochaine, « dans chaque département, un ou plusieurs lycées » seront « identifiés par le recteur d’académie pour mettre en place » une de ces classes, dans le cadre d’une « phase pilote », indique un décret.

« Il y a un vrai projet idéologique derrière cette idée de classe préparatoire. C’est la volonté de faire sortir du parcours d’enseignement général, un certain nombre d’élèves sans prendre en compte leurs résultats en 6e, 5e, 4e, puisque le brevet devient désormais un examen de passage au lycée », pointe Colombe Brossel.

Un arrêté précise que cette classe préparatoire aura pour but non seulement « de consolider les acquis du cycle des approfondissements », mais aussi « de confirmer l’orientation des élèves et de les préparer à la poursuite de leur scolarité dans une classe de seconde sous statut scolaire ».

Interrogé il y a quelques jours par publicsenat.fr, Claude Lelièvre, historien de l’éducation et professeur émérite voyait dans cette réforme du brevet une inflexion du collège unique désormais apprécié comme « un moment de préparation, et donc de sélection, avant le lycée ». « À partir de là, il apparaît évident que les efforts seront portés vers ceux qui sont en mesure de l’avoir », soulignait-il.

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