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Harcèlement scolaire : l’audit lancé par Gabriel Attal ne fait pas l’unanimité au Sénat

Après le suicide du jeune Nicolas au début du mois de septembre, et la révélation de la lettre du rectorat aux parents de l’adolescent qui a choqué l’opinion publique, Gabriel Attal reçoit ce lundi les recteurs d’académie. L’idée du nouveau ministre est de lancer un audit des cas de harcèlement recensés au cours de l’année dernière, avant la présentation du plan de lutte contre le harcèlement scolaire sur lequel planche Matignon. Au Sénat, le sujet du harcèlement scolaire est bien connu et a fait l’objet de travaux, qui n’ont pas tous été repris par l’exécutif.
Mathilde Nutarelli

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Encore un drame de trop. Le 5 septembre dernier, la France apprenait le suicide de Nicolas, 15 ans, scolarisé dans un collège de Poissy. Quelques mois auparavant, ses parents avaient alerté l’établissement scolaire et déposé une main courante pour des faits de harcèlement scolaire sur leur fils. Depuis, une enquête judiciaire et une enquête administrative ont été ouvertes, afin de déterminer la relation entre le suicide de l’adolescent et le harcèlement dont il était victime. Mais quelques mois à peine après le suicide du jeune Lucas, quelques années après celui de la jeune Dinah, ce drame ne passe pas. D’autant que depuis l’annonce de la mort de Nicolas, BFMTV a révélé une lettre adressée par le rectorat de Versailles à ses parents, qui jugeait « inacceptables » leurs propos concernant le harcèlement subi par leur fils, qui auraient « remis en cause » l’attitude de l’équipe pédagogique. La lettre rappelait également les risques pénaux que ces parents encouraient en cas de dénonciation calomnieuse. Le courrier a choqué, et l’exécutif s’est empressé de réagir, Gabriel Attal la qualifiant de « honte » et Élisabeth Borne de « choquante ». Pour éteindre le feu de la critique et répondre à une situation urgente, le ministre de l’Education reçoit ce lundi les recteurs d’académie, afin de lancer un audit sur les cas de harcèlement recensés lors de l’année passée, avant que Matignon ne révèle son plan de lutte contre le harcèlement, sur lequel il planche déjà.

« Pourquoi recommencer une étude ? Il faut agir tout de suite ! »

Au Sénat, l’annonce du lancement de cet audit ne suscite pas les mêmes réactions sur tous les bancs de l’hémicycle. Si la sénatrice LR de la Saône-et-Loire Marie Mercier est satisfaite, Sabine Van Heghe, sénatrice socialiste du Pas-de-Calais et présidente d’une mission d’information sénatoriale en 2021 sur le harcèlement scolaire se dit « très en colère ». Et pour cause, le rapport issu de la mission d’information qu’elle présidait et que la centriste Colette Mélot rapportait, est resté lettre morte auprès de l’exécutif.

Ce rapport fait pourtant un état des lieux du harcèlement scolaire en France. Il dresse un constat qui fait froid dans le dos : 6 à 10 % des élèves subiraient une forme de harcèlement, et 800 000 à 1 million d’enfants en seraient victimes chaque année. Il pointe que les outils existants (numéros d’appel, site dédié, journée nationale, …) sont mal connus des élèves et des parents. Il formule ainsi 35 recommandations, et propose de faire du harcèlement scolaire une « grande cause nationale ». Parmi ces propositions, on compte la distribution d’un flyer d’information à tous les élèves à la rentrée, une application concrète de la généralisation du programme pHARe au sein de l’Education nationale, la généralisation des partenariats entre la police/gendarmerie et les établissements scolaires, ou encore la mise en place de sanctions systématiques pour les harceleurs.

« On est encore au niveau de l’étude, alors qu’on connaît les données du problème : lors de la mission d’information, on a déjà audité, décortiqué tous les éléments. Le gouvernement pourrait s’en saisir et appliquer des propositions qu’on a données. Pourquoi recommencer une étude ? Il faut agir tout de suite ! », s’indigne Sabine Van Heghe. Alors qu’elle ne l’a pas été jusque-là, la sénatrice demande à être associée aux travaux menés par le ministère de l’Education et par Matignon sur le sujet, « mais pas sur la com, sur des actions concrètes, sur de la mise en œuvre », précise-t-elle. « On veut refaire sa petite tambouille à soi à coups de com. Pendant ce temps-là, des gamins continuent de souffrir » se désole-t-elle.

Une proposition de loi du Sénat a été traduite en décret cet été

D’autant que les solutions existent, et elles sont portées au Sénat. Non seulement par le rapport de la mission d’information, mais aussi par une proposition de loi, déposée par Marie Mercier en février 2023, et qui a été traduite en décret en août 2023. Elle permet de changer d’établissement l’élève harceleur lorsque les faits sont avérés. Mais le problème, c’est que ce décret n’est pas suffisant, du point de vue de l’auteure de la proposition de loi qui l’a inspiré, et qu’il ne « permettra pas de résoudre le problème », selon elle. « Le harcèlement c’est toujours une histoire compliquée. Qui dure, qui part des familles, d’un contexte, … » explique la sénatrice, qui est très engagée sur les questions de protection de l’enfance. Elle rencontrera d’ailleurs demain mardi 19 septembre le cabinet du ministre, pour échanger sur les suites du décret. « Je vais demander la création d’une notion de secret professionnel partagé », confie-t-elle à Publicsenat.fr, « pour que les élus soient aussi associés dans les affaires de harcèlement ». La sénatrice milite pour qu’une vision globale du harcèlement scolaire soit systématique. « Le harcèlement fait deux victimes mais touche tout autour : la famille, les instituteurs, le directeur, le milieu scolaire, et en plus le maire et les élus. On ne peut pas ignorer la présence des élus puisque c’est le maire qui signe la dérogation scolaire », explique-t-elle.

« Les mesures à mettre en place tout de suite, c’est la communication »

A quoi devrait ressembler un plan de lutte contre le harcèlement ? Pour Sabine Van Heghe, « les mesures à mettre en place tout de suite, c’est la communication. On réunit tous les gosses, avec les parents, les CPE, … Sur un temps d’explication ». D’autant que la généralisation de l’affichage des numéros de soutien (le 3018 et le 3020) sur les pages d’accueil des espaces numériques de travail des élèves, promis par Pap N’Diaye, n’est pas faite, d’après elle. « Il faut mettre des flashs à la télé, sur les portables ».

Une fois les mesures d’urgence passées, la sénatrice socialiste préconise de renforcer les équipes formées à accueillir les élèves en difficulté : les infirmiers et les psychologues scolaires. « Il faut que l’enfant puisse être écouté et les professeurs sont surchargés », explique-t-elle. « Il faut aussi former les professeurs et mettre des moyens à disposition des établissements. Quand l’enfant dit les choses, il faut qu’il se sente écouté. Je prône la prévention plutôt que la répression. Quand elle arrive c’est que des enfants ont déjà souffert, je veux éviter que les enfants souffrent ». La communication et la formation sont également prônées par Marie Mercier : « Il faut donner des armes aux petits enfants pour se défendre, on peut prendre en charge la petite victime sans l’installer dans un statut de victime, pour les enfants comme pour les parents ».

Enfin, la sénatrice plaide pour l’application effective de la généralisation du programme pHARe, un plan de prévention du harcèlement dans les écoles, collèges et lycées, généralisé depuis la rentrée 2023 par le ministère de l’Education nationale. « Il y a des établissements qui ne le connaissent toujours pas aujourd’hui » déplore Sabine Van Heghe. Sur le sujet du harcèlement scolaire, Gabriel Attal et Élisabeth Borne sont donc particulièrement attendus.

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