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Intelligence artificielle : un rapport du Sénat recommande un cadre d’usage pour mettre l’IA au service de l’école

La délégation à la prospective remet son travail sur l’intelligence artificielle et l’éducation ce mercredi 30 octobre. Face à l’émergence de l’IA à l’école, les sénateurs demandent un meilleur accompagnement des enseignants, une formation ad hoc et un approfondissement de la recherche sur le sujet.
Quentin Gérard

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L’intelligence artificielle peut largement faciliter la tâche des professeurs pour améliorer le niveau des élèves. Encore faut-il qu’elle soit accessible, bien encadrée et qu’une ligne directrice claire soit fixée. C’est ce qu’indique Christian Bruyen, sénateur Les Républicains de la Marne, et Bernard Fialaire, sénateur RDSE du Rhône, dans un rapport de la délégation à la prospective du Palais du Luxembourg ce mercredi 30 octobre.

Personnaliser le cours en fonction de l’élève

Concrètement, comment cet outil peut aider les professeurs ? Par exemple, l’IA peut s’adapter à l’élève et épauler l’enseignant dans la conception des cours. « Les technologies qui leur permettent de personnaliser l’enseignement en fonction du profil de l’élève font partie des plus prometteurs », assure le rapport. Ça s’appelle l’apprentissage « adaptatif ». Le système peut modifier son fonctionnement, sélectionner des contenus et adapter un niveau de difficulté approprié à l’élève. « Avec cette approche individualisée ou différenciée, les connaissances, appétences et capacités de l’apprenant peuvent être mieux prises en compte », soulignent les sénateurs.

A l’aide de ces outils, l’enseignant peut viser « la zone proximale de développement ». C’est-à-dire le juste milieu entre un exercice trop facile, facteur de démotivation, et un exercice trop difficile, source de découragement. Le professeur peut également suivre les apprentissages en classe et à la maison plus facilement avec un tableau de bord qui récapitule les exercices effectués par l’élève. D’ailleurs, tous les lycéens devraient prochainement être confrontés à ces pratiques. MIA Seconde, un outil de remédiation en français et en mathématiques, développé par la start-up française Evidence B, devait être généralisé pour les élèves de seconde à la terminale à la rentrée 2024. Pour l’instant, il est seulement proposé à quelques milliers d’élèves.

« Libérer du temps pour les enseignants »

Le recours aux technologies d’IA générative peut aussi servir à concevoir un programme d’enseignement. L’objectif de cet outil est d’enrichir les propositions interactives faites aux élèves en intégrant des combinaisons de textes, d’images de sons ou de vidéos. « Pour l’enseignant, il s’agit en quelque sorte d’augmenter sa pédagogie en l’enrichissant d’idées nouvelles, de contenus ou de choix d’illustrations, en étant assisté dans la scénarisation du cours », indique le rapport. Plusieurs outils existent, comme Nolej IA ou Redmenta.

En automatisant certaines activités, « l’IA pourrait permettre de libérer du temps pour les enseignants. Ces derniers pourraient se concentrer davantage sur la pédagogie et les élèves qui connaissent le plus de difficultés », expliquent les rapporteurs. Et de poursuivre : « Plus généralement, dans un contexte ou les tâches administratives se multiplient, cette technologie apporte de la souplesse dans les choix pédagogiques et permet aux enseignants de décider dans quel champ ils souhaitent le plus s’investir ».

ChatGPT : « Le nouveau coach numérique des élèves pour leurs devoirs »

Les apprenants ont de plus en plus facilement accès à des chatbots génératifs. Ce sont des tuteurs virtuels qui permettent de répondre à leurs questions en temps réel. « En facilitant l’accès à des informations utiles, extraites d’une vaste quantité de données, de nombreuses applications d’IA générative sont utilisées comme aide aux devoirs ou pour les activités d’écriture », souligne les sénateurs. Si certains de ces outils ont été développés avec une visée éducative, ce n’est pas le cas de ChatGPT, pourtant l’IA générative la plus utilisée par les élèves.

Pour les rapporteurs, ChatGPT, notamment sa dernière version (4.0), est le « nouveau coach numérique des élèves ». L’une des caractéristiques qui intéressent les élus est son « adaptation à différents styles de conversation et à comprendre le langage naturel dans ses différentes nuances ». Ce qui leur fait dire que les élèves « peuvent y trouver un soutien scolaire personnalisé, disponible en permanence et un outil pour l’apprentissage tout au long de la formation continue ».

L’IA au service des élèves en situation de handicap

L’intelligence artificielle peut également « jouer un rôle dans la prise en compte des situations de handicap », signale le rapport. Pour les élèves qui souffrent de déficiences auditives ou visuelles, des outils d’assistance sont accessibles, comme l’activation des sous-titres ou des traducteurs automatiques en langue des signes. Les lecteurs d’écran, la description audio générée ou encore la conversation de textes en paroles pour les malvoyants. « Le recours à l’IA pour la détection précoce et l’accompagnement des élèves souffrant de troubles ou de difficultés d’apprentissage est également prometteur », indiquent les élus.

Christian Bruyen et Bernard Fialaire mettent aussi en garde contre des usages « controversés » de certaines innovations technologiques. Par exemple, plusieurs outils se concentrent sur l’évaluation de la participation et de la motivation des élèves par l’analyse des mouvements du visage. En Chine, des expérimentations sont faites avec des capteurs physiques et physiologiques. Cela peut inclure des interfaces cerveau-ordinateur ou la stimulation cérébrale. Ces technologies visent à optimiser la concentration, la mémoire et les capacités d’apprentissage. « Ces cas d’usage posent naturellement des questions éthiques », admettent les sénateurs LR et RDSE.

90 % des élèves de seconde utilisent l’IA générative

Si les utilisations de l’IA dans l’éducation sont nombreuses, leurs recours « restent très inégaux », indique les membres de la délégation à la prospective. « Les outils sont largement utilisés par les jeunes mais très peu chez les enseignants, dont l’acculturation se fait en ordre dispersé », poursuivent-ils. Selon un sondage réalisé en Nouvelle-Aquitaine, 90 % des élèves de seconde ont déjà utilisé l’IA générative pour faire leurs devoirs. Dans l’enseignement supérieur, 55 % des étudiants déclarent utiliser l’IA générative de manière occasionnelle. Quatre étudiants sur dix s’en servent comme assistant de rédaction.

A l’inverse, 56 % des enseignants du supérieur disent connaître les outils d’IA sans jamais les utiliser. Globalement, plus de six professeurs sur dix n’utilisent pas l’IA générative. « Au sein de l’Éducation nationale, en l’absence de démarche structurée et de cadre d’usage partagé, le recours des enseignants à l’IA résulte largement d’initiatives individuelles ou d’expérimentations à petite échelle », constatent les élus.

Des démarches internationales, européennes et françaises

« Dans un contexte où le marché de l’IA dans l’éducation connaît une expansion importante, soulevant des questions sociétales et éthiques majeures, des principes directeurs consensuels ont été fixés au niveau international pour orienter les politiques publiques », se réjouissent les sénateurs. En vertu du consensus de Beijing, adopté par l’Unesco en 2019, les pays sont notamment invités à planifier l’IA dans les politiques de l’éducation ou de la mettre au service de l’autonomisation des enseignants. Au sein de l’Union européenne, le règlement européen sur l’IA « constitue la première législation générale au monde en la matière ».

Le rapport félicite aussi la France d’avoir « pris la mesure de l’importance des développements en cours et d’avoir entrepris des actions pour intégrer l’IA dans le service public de l’école ». L’Education nationale s’est emparée du sujet de l’IA dès 2018 dans le cadre de la « stratégie du numérique pour l’éducation et de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA) », rattachée au plan « France 2030 ». Puis dans le cadre de partenariats d’innovation (P2IA), plusieurs outils numériques ont été mis à la disposition des professeurs pour accompagner l’apprentissage personnalisé du français et des mathématiques. Les dépenses s’élèvent à plus de 17 millions d’euros à ce jour.

Trois nouveaux projets à l’étude

Plusieurs outils permettent aujourd’hui de proposer des exercices en français et en mathématiques à 1,3 million d’élèves et 53 000 professeurs en école primaire. Trois nouveaux projets sont aussi en cours de construction pour un budget total de 50 millions d’euros. « Des efforts sont réalisés pour la mise en place d’outils, cependant le nombre d’utilisateurs reste très variable et inégal. Les services disponibles n’ont pas tous à ce jour connu une pleine montée en puissance », résume le rapport.

L’Education nationale a pour objectif que les élèves puissent utiliser l’IA de manière éthique tout en se conformant aux exigences juridiques. Dans ce contexte, le développement d’un service d’IA générative « souverain », dédié à l’éducation, est en cours avec le projet OpenLLM France. Les premiers usages en classe sont attendus courant 2024 dans les académies volontaires avant une utilisation plus généralisée à la rentrée 2025.

L’inquiétude des enseignants

Au milieu de tous ses bouleversements, « un climat de confiance manque à l’appel », indiquent les deux sénateurs. « La déstabilisation et les incertitudes engendrées par le développement rapide des systèmes d’IA générative, couplées au retard pris dans la définition d’une doctrine d’usage partagée, sont de nature à renforcer les inquiétudes exprimées par certains acteurs de la communauté éducative », expliquent Christian Bruyen et Bernard Fialaire. Les craintes s’expriment notamment chez les enseignants au sujet de l’avenir de leur métier.

Ces derniers mettent en cause plusieurs points. L’absence de démarche claire et structurée sur l’utilisation de l’IA, la dépossession de leur métier, relégué à un simple rôle de technicien information, l’alourdissement de la charge de travail le temps de se mettre à jour ou encore le manque de preuves scientifiques sur les apports pédagogiques de ces outils. Certains enseignants s’inquiètent aussi du risque de voir s’éroder encore plus les compétences fondamentales des élèves comme la lecture, l’écriture ou la pensée critique.

Trois axes pour mieux intégrer l’IA à l’école

Pour aller vers une utilisation optimale de l’IA dans l’éducation, les sénateurs dégagent trois axes principaux. D’abord : mieux accompagner les acteurs de l’enseignement. Les sénateurs proposent de définir des orientations stratégiques et un cadre d’usage pour que les enseignants disposent de lignes directrices claires. Mais aussi permettre à chaque enseignant d’accéder facilement aux outils d’IA éducatifs qu’il souhaite parmi un ensemble de références. Le deuxième axe : former et favoriser l’émergence d’une culture citoyenne de l’IA. Les élus préconisent d’inclure l’IA dans la formation initiale et continue des enseignants et des professionnels de l’éducation. Aussi de faire de l’intelligence artificielle le sixième domaine du certificat de compétence numérique PIX. Le dernier axe : évaluer et poursuivre la recherche. Ici, Christian Bruyen et Bernard Fialaire demandent de garantir une évaluation indépendante des technologies d’IA mises à la disposition des enseignants et des élèves dans le cadre scolaire. Mais également la création d’un observatoire de l’IA à l’école pour réaliser des études et mieux en comprendre les usages.

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