Laïcité à l’école : « Il y a une autocensure des enseignants sur les questions religieuses qui est beaucoup plus importante », remarque Iannis Roder

Clé de l’émancipation et condition de la liberté pour certains, jugée stigmatisante et liberticide par d’autres, la laïcité agite les passions. Les jeunes y sont-ils moins attachés ? Qu’en comprennent-ils ? Hania Hamidi, secrétaire générale de l’UNEF, Maxime Loth, responsable du Printemps Républicain à Sciences Po Paris, Valentine Zuber, historienne des idées et de la liberté religieuse et Iannis Roder, professeur d’Histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis en ont débattu dans l’émission « Avoir 20 ans »
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Une lettre en forme de couperet : « J’ai finalement pris la décision de quitter dès ce soir mes fonctions de proviseur par sécurité pour moi et pour l’établissement ». Vendredi 22 mars, le proviseur du lycée Maurice-Ravel, à Paris, a acté son départ de l’établissement qu’il dirigeait depuis sept ans. Fin février, il avait rappelé à trois jeunes filles leur obligation de retirer leur voile dans les murs du lycée. Depuis, le proviseur faisait l’objet de menaces de mort en ligne. A quelques mois de sa retraite, le rectorat de Paris lui a finalement accordé un départ anticipé.

Une réaction en chaîne et un emballement qui ont provoqué une vive émotion dans les rangs des enseignants, qui ont en mémoire l’assassinat de Samuel Paty en 2020, et celui de Dominique Bernard en 2023.« Il y a une réalité : on a une auto-censure de la part des enseignants sur les questions religieuses qui est de plus en plus importante du fait d’un ensemble d’événements : des menaces de mort, voire les assassinats de nos collègues », rapporte Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis (93).

 

Contours flous

 

En demandant à ces élèves d’ôter leur voile dans l’enceinte de l’établissement, le désormais ex-proviseur de Maurice-Ravel applique la loi de 2004, relative au port ostensible de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics.

Vingt ans après, la loi est-elle mal connue d’une partie de la jeunesse ? Que comprennent-ils du principe de laïcité ? « Certains élèves se crispent à partir du moment où ils considèrent d’abord la laïcité comme un interdit, quand elle est un principe de liberté et d’émancipation », considère Iannis Roder.

Pour Quentin Llewellyn, directeur Conseil de l’Institut CSA, auteur d’une étude pour le Sénat sur la perception de la laïcité dans les services publics, la fracture générationnelle est évidente : « 70% des français se disent attachés au principe de laïcité, mais on passe sous le seuil des 50% auprès de 18-24 ans ». Un concept dont les contours sont parfois flous : la part des 18-24 ans qui disent mal comprendre ce principe grimpe à 29%, selon l’étude de l’Institut CSA.

Mais qu’y a-t-il derrière la séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Maxime Loth, responsable du Printemps Républicain à Sciences Po Paris, tente une définition : « La laïcité est le ciment de notre société et de notre République, qui permet aux individus et aux citoyens de vivre ensemble en nation et qui permet la cohésion sociale. » Pour Hania Hamidi, secrétaire générale de l’UNEF, c’est surtout « la liberté de croire ou de ne pas croire, sans risque de discrimination de ceux qui croient ou qui ne croient pas ».

Selon Quentin Llewellyn, il faut se pencher sur la perception de ce qu’autorise ou non la laïcité : « Un Français sur cinq pense que le port de signes religieux visibles est interdit dans la rue, ce qui est assez radical. Un score qui monte à 30% chez les 18-24 ans ».

 

Récupération

 

« Si la laïcité est mal comprise, c’est parce qu’on a un débat public qui est mené par l’extrême-droite qui stigmatise les musulmans. Le gouvernement met à l’agenda politique toutes les analyses de l’extrême-droite », fait valoir Hania Hamidi. Et la syndicaliste étudiante d’ajouter que « si on a des problèmes autour de la laïcité, c’est parce qu’on est dans un climat où ce sont toujours les mêmes que l’on pointe du doigt et dont on remet en question le fait religieux ».

L’historienne des idées et de la liberté religieuse Valentine Zuber pointe elle aussi la récupération du concept de laïcité pour cibler la communauté musulmane et dénonce un deux poids deux mesures : « La focalisation sur l’islam est extrêmement problématique : depuis plus de trente ans, la seule cible de la laïcité sont les musulmans, et en particulier les jeunes filles musulmanes. Quand il y a la Manif pour tous ou contre la PMA pour toutes, on ne parle pas de laïcité alors que c’est du catholicisme politique qui s’exprime ». L’historienne poursuit et appelle à se garder de tout amalgame : « Il y a une construction de l’islam comme danger qui s’est peu à peu insinué dans les esprits et qui a été renforcée par les horribles attentats de 2015 et les suivants. On ne peut pas dire que les jeunes filles qui insistent pour porter un voile à l’adolescence sont des actrices de cet islamisme qui peut être assassin ».

Le Printemps Républicain, né au lendemain des attentats de 2015, a fait de la laïcité sa raison d’être et se veut le fer de lance de la défense du principe. Maxime Loth en a fait la clé de voûte de son engagement. Et fustige une récupération de la laïcité « des deux côtés » : « A droite, la catho-laïcité essaye de l’instrumentaliser au profit de la religion catholique pour stigmatiser une partie de la population. A l’extrême-gauche, des entrepreneurs identitaires essayent d’asseoir une partie de la population dans une forme de stigmatisation, dans l’idée que certains individus ne seraient définis que par une partie de leur identité ».

Iannis Roder le reconnaît, « l’extrême-droite instrumentalise la laïcité, c’est une évidence ». Mais tempère : « Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Il y a une progression lente et certaine de l’islamisme : une vision extrême et radicale de l’islam qui gagne de jeunes esprits. »

Un débat à retrouver dans « Avoir 20 ans », diffusé mardi 9 avril à 17h sur Public Sénat. 

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