Saintes: French president Visit School

Lycées professionnels : une réforme inflammable pour tourner la page des retraites

Dévoilée ce jeudi, la réforme du lycée professionnel fait partie des priorités identifiées par le gouvernement pour dépasser la crise déclenchée par la réforme des retraites. Mais ce chantier, qui soulève depuis plusieurs mois la crispation des enseignants, pourrait bien creuser le fossé entre l’exécutif et les syndicats.
Romain David

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Le gouvernement avance sur des œufs, après la crise des retraites qui continue d’alimenter la contestation sociale, la réforme du lycée professionnel, promise par Emmanuel Macron pendant sa campagne de réélection, pourrait être la prochaine pomme de discorde entre l’exécutif et les syndicats. L’objectif : faire du lycée professionnel une « voie d’excellence », mieux connectée au monde du travail, en adaptant les formations aux besoins des entreprises. Les syndicats, vent debout, accusent toutefois le gouvernement de vouloir instrumentaliser les jeunes et la filière professionnelle pour régler les problèmes de recrutement dans les territoires. Ils dénoncent un risque d’amoindrissement de l’enseignement théorique et de la transmission des savoirs. D’autant que les organisations syndicales ont établi d’autres priorités pour la filière, réclamant une amélioration des conditions d’enseignement via une revalorisation salariale et le déblocage de moyens supplémentaires.

C’est depuis le lycée Bernard-Palissy de Saintes, en Charente-Maritime, qu’Emmanuel Macron a détaillé les contours de la réforme ce jeudi 4 avril, réforme dont il avait déjà largement évoqué les grandes orientations en septembre. Certains lycéens passeront davantage de temps en entreprise, avec un allongement de 50 % de la période de stage pour ceux qui souhaitent intégrer le monde du travail directement après le bac. Les autres verront leur formation prolongée de quatre semaines. Par ailleurs, les stages seront systématiquement rémunérés, jusqu’à 100 euros par semaine pour les terminales. Cette indemnisation sera prise en charge par l’Etat.

Renforcer les chances d’insertion

Les filières dont les débouchés professionnels sont les plus limités fermeront, tandis que de nouvelles formations seront mises en place, tenant compte à la fois de l’évolution des métiers, par exemple dans les secteurs de l’écologie et du développement numérique, et des besoins des entreprises locales. « Quand on a une formation dans un établissement avec un mauvais taux d’accès à l’enseignement supérieur et un mauvais taux d’accès à l’emploi, c’est une formation qu’il ne faut pas garder, c’est clair », a déclaré Emmanuel Macron. « On doit adapter beaucoup plus la carte de formation en fonction des besoins. Défendre toutes les formations et n’en fermer aucune n’est pas une bonne solution du tout, parce que l’économie bouge ». Par ailleurs, afin de mieux prévenir les décrochages, les heures de cours consacrées aux fondamentaux se feront en plus petits groupes, grâce à un meilleur séquençage du temps scolaire et du temps en entreprise.

Enfin, le président de la République a évoqué une augmentation de la rémunération des enseignants sur la base du volontariat. Ceux qui acceptent certaines missions supplémentaires, par exemple d’information en collège ou de participation à des forums, pourront gagner jusqu’à 7 500 euros brut en plus par an. Dans un long post Facebook publié mardi soir, Emmanuel Macron a précisé vouloir investir « près d’un milliard par an » dans les lycées professionnels, présentant cette réforme comme un chantier contigu à celui de l’apprentissage entamé en 2017. Chaque année, un élève sur trois, soit 621 000 jeunes, s’oriente vers le lycée professionnel. Mais seuls les deux-tiers obtiennent un baccalauréat ou un diplôme équivalent, selon des chiffres cités par le chef de l’Etat. Ils sont moins de 40 % à trouver un emploi dans les six mois qui suivent la fin de leur scolarité.

L’opposition des syndicats

Sans doute conscient des risques de levée de boucliers, Emmanuel Macron avait évoqué en septembre dernier, à l’occasion d’un déplacement aux Sables-d’Olonne en Vendée, la possibilité d’une « entrée en vigueur de manière très progressive », avec d’éventuelles d’expérimentations à l’échelle locale. Désormais, la prudence n’est plus de mise. La feuille de route détaillée par la Première ministre Élisabeth Borne la semaine dernière prévoit une mise en application dès la rentrée scolaire 2023. Le chef de l’Etat a même eu un mot à l’adresse des détracteurs de la réforme : « J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent, on vous dira que tout cela est une privatisation. Je connais par cœur tous les arguments : on donne le lycée pro aux entreprises. Mais que tous ceux qui défendent le système tel qu’il est aujourd’hui en répondent au regard des chiffres ! »

Ce jeudi, une centaine d’opposants à la réforme des retraites étaient massés à l’extérieur du périmètre de sécurité mis en place par la préfecture de Charente-Maritime autour du lycée Palissy. Parmi eux, quelques responsables syndicaux comme Sigrid Gérardin, secrétaire générale de la SNUEP-FSU, première force syndicale du second degré. Ce type d’accueil houleux, à grand renfort de casserolades, est devenu récurrent pour le chef de l’Etat qui multiplie les déplacements de terrain depuis trois semaines. Si la réforme du lycée professionnel est présentée comme l’un des jalons du calendrier d’action qu’essaie d’assembler l’exécutif pour sortir du marasme des retraites, elle n’est pourtant pas de nature à ramener les partenaires sociaux autour de la table des discussions. Bien au contraire.

Les syndicats ont déjà refusé de participer aux concertations mises en place en fin d’année dernière par Carole Grandjean, la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnelle, dénonçant une reforme écrite à l’avance et une volonté de passage en force. La réforme a déjà donné lieu à trois journées de grève, avec un taux de mobilisation avoisinant les 23 % dans les lycées professionnels le 18 octobre, selon les chiffres de l’Education nationale. Depuis, le mouvement a été supplanté par la mobilisation contre le report de l’âge légal de départ à la retraite.

« Une erreur stratégique et une erreur de fond »

L’allocution du chef de l’Etat, le 17 avril dernier, n’a pas vraiment contribué à apaiser les esprits. « Le président annonce lancer un chantier ‘Travail’ qui s’appuierait sur le ‘succès’de l’apprentissage, les réformes du RSA et des lycées pros. Placer les lycées professionnels dans son chantier ‘Travail’ plutôt que dans un volet ‘Éducation’ est lourd de symbole et de conséquences », a relevé le SNUEP-FSU dans un communiqué publié le lendemain. Selon cette organisation, « la réforme est constitutive d’un projet de société à l’opposé des besoins des jeunes et des personnels, à l’opposé des enjeux scolaires de réduction des inégalités ».

« Ce qui est quand même incroyable, alors que l’on est dans une véritable impasse sociale et politique depuis la réforme des retraites, c’est que le président de la République prend l’un des sujets qui est parmi les plus clivants pour relancer son action. C’est une erreur stratégique et une erreur de fond qui risque de tuer l’enseignement professionnel », observe auprès de Public Sénat la sénatrice Céline Brulin, spécialiste de ce dossier pour le groupe communiste à la Chambre haute.

« Je n’ai aucun mal à dire que le discours du président était plutôt bon. Je suis très surpris, je l’ai trouvé volontariste, avec des objectifs sur lesquels on peut tous se retrouver », nuance de son côté Pascal Vivier, le secrétaire général du SNETAA-FO, syndicat historique de l’enseignement professionnel. « Mais après les longs mois durant lesquels on a eu à combattre les provocations de Carole Grandjean, je reste assez dubitatif et très vigilant. J’attends de voir la mise en musique. » Ce syndicaliste conserve aussi ses points de désaccord, notamment sur l’organisation de l’année de terminale et l’adéquationnisme : « Je ne connais aucune entreprise capable de nous dire précisément, à 3 ou 5 ans d’avance, le type de métiers dont elle aura besoin », relève-t-il.

 « On n’attend pas du chef de l’Etat qu’il fixe la rémunération des stages ou détermine l’emploi du temps des lycéens. En ce moment, Emmanuel Macron est ministre de l’Education nationale le matin, ministre de la Formation professionnelle l’après-midi et ministre du Travail le soir » 

Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques

Pour Céline Brulin, les précisions d’Emmanuel Macron ne sont pas de nature à rassurer les enseignants, c’est d’ailleurs la philosophie même de la réforme qu’elle dénonce : « Y a-t-il encore un ministre de l’Education nationale dans ce pays ? Ce qui m’inquiète, c’est de voir le lycée professionnel sorti de l’Education nationale pour aller vers le ministère du Travail », alerte-t-elle. « En voulant s’adapter aux besoins des bassins d’emplois, on risque de finir avec des certifications qui ne seront valables qu’à l’échelon local. On prend des élèves, souvent issues de milieux défavorisés, pour leur assigner des emplois dont personne ne veut. Effectivement, comme le dit le président, l’économie évolue et avec elle les métiers, mais cela nécessite un niveau de formation plus large pour pouvoir changer plus facilement de profession par la suite » explique encore la sénatrice. « Ce qui est scandaleux, c’est que l’Education nationale va offrir de la main-d’œuvre gratuite, et pas n’importe laquelle, des jeunes de 15 ans, aux entreprises », a réagi Sigrid Gérardin, secrétaire générale de la SNUEP-FSU, auprès de BFM TV.

En pointe sur les questions d’éducation, le sénateur LR Max Brisson estime qu’Emmanuel Macron a voulu faire d’un objet « peu consensuel » un instrument au service d’une séquence communicationnelle, au risque d’abîmer une réforme « qui n’est pas sans intérêt ». « Il y a une nécessité aujourd’hui : que la parole du président apaise, mais Emmanuel Macron a choisi d’avoir une parole technique, une parole à travers laquelle il s’expose et risque de cliver davantage. On n’attend pas du chef de l’Etat qu’il fixe la rémunération des stages ou détermine l’emploi du temps des lycéens. En ce moment, il est ministre de l’Education nationale le matin, ministre de la Formation professionnelle l’après-midi et ministre du Travail le soir. Il n’apaisera pas en étant ministre, mais en redevant président de la République », développe l’élu, ancien inspecteur général de l’Éducation nationale. « Evidemment, présenter une réforme contestée du lycée professionnel après 14 journées de mobilisation contre les retraites, et alors que cette page n’est pas près de se tourner, c’est risquer de la faire passer à la trappe », soupire Pascal Vivier.

Un nouveau motif de contestation ?

Ancien ministre délégué à l’Enseignement professionnel sous le gouvernement de Lionel Jospin, Jean-Luc Mélenchon y est allé de son propre commentaire ce jeudi. « Je suis d’accord : l’enseignement professionnel est une cause nationale. Je ne soutiens pas le projet Macron », a twitté le fondateur de La France insoumise et l’une des figures de la contestation contre la réforme des retraites, promettant de s’exprimer plus longuement sur le sujet lorsque l’ensemble des syndicats aura réagi aux annonces du président de la République. « Il est certain, dans le contexte actuel, que cette réforme sera un objet de remobilisation. On a d’abord eu une réforme des retraites qui pénalise les salariés des classes populaires, et maintenant on va leur contester le droit de recevoir une éducation de qualité. Cette réforme va concerner un tiers des bataillons de lycéens ! », observe Céline Brulin.

Le secrétaire général du SNETAA-FO est bien moins catégorique sur l’impact politique et social du futur projet de loi : « Est-ce que la réforme du lycée professionnel va redonner de la puissance à la contestation sociale ? Non. Rien de ce qui a été annoncé aujourd’hui n’est susceptible de mettre le feu aux poudres, et d’ailleurs la contestation contre la réforme des retraites n’en a pas besoin. Les gens ne sont pas prêts à renoncer à un combat qu’ils mènent depuis des semaines » balaye Pascal Vivier.

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