Mobilisation pro-palestinienne :  la direction de Sciences Po « aspire » à un retour au calme

Après la levée du blocage du campus parisien de Sciences Po par des étudiants pro-palestiniens, la direction de l’établissement a organisé ce jeudi un débat « démocratique » sur le rôle que doit tenir l’établissement face au conflit au Proche-Orient. En parallèle, le mouvement a commencé à essaimer dans d’autres établissements.
Romain David

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Deux heures de discussions pour espérer mettre en place une sortie de crise. La direction de Sciences Po organisait ce jeudi matin dans le célèbre amphithéâtre Émile Boutmy un « town hall », selon l’expression américaine utilisée dans le mail envoyé aux étudiants, et que Public Sénat a pu consulter. Comprenez : un temps d’échange avec l’administration, alors que l’école est le théâtre depuis plusieurs semaines de mobilisations et de blocages en soutien à la Palestine.

« Ça a été un débat dur, avec des prises de position assez claires, beaucoup d’émotion. J’aspire maintenant à ce que chacun retrouve le calme », a déclaré Jean Bassères, l’administrateur provisoire de Sciences Po Paris, lors d’un point presse à l’issue de ce débat, qui a réuni 340 personnes. Les places étaient comptées, avec un nombre défini de sièges accordés aux étudiants, aux enseignants et aux salariés. Selon nos informations, les différents syndicats étudiants ont eu le droit à trois minutes de discours pour leurs représentants, et deux questions avec droits de réponse.

« Il y a des étudiants qui se sont sentis agressés, des étudiants qui ont senti qu’ils ne pouvaient pas exprimer leurs positions ou qui se sont sentis ostracisés. Tout cela, on a pu en débattre ensemble. Bien sûr, nous ne sommes pas à la fin de ce débat, la démocratie doit continuer à vivre à Sciences Po », a indiqué Arancha Gonzalez Laya, doyenne de l’école des Affaires internationales de Sciences Po.

Pas de remise en cause des partenariats avec des universités israéliennes

Au cours des échanges, Jean Bassères s’est dit favorable à l’ouverture d’une réflexion sur la doctrine interne de Science Po sur l’actualité internationale, qui se résume pour l’heure à « accueillir le débat mais ne pas devenir acteur du débat ». « Nous pensons qu’il revient à nos chercheurs et aux associations étudiantes d’exprimer des positions, mais pas à l’institution », résume un membre de la direction. « Nous allons lancer des travaux pour préparer à la rentrée un plan que j’espère ambitieux pour mieux poser les règles du débat demain, mieux vivre ensemble et s‘assurer que nous sommes intransigeants sur la lutte contre l’antisémitisme et le racisme », a encore précisé Jean Bassères.

En revanche, il reste fermement opposé à une remise en question des partenariats internationaux mis en place par l’administration au fil des années, notamment avec les universités israéliennes, mais aussi avec des entreprises étrangères à des fins de financement. Il s’agit pourtant de l’une des principales revendications de la mobilisation. « Les partenariats avec les universités, ce sont les derniers ponts qu’il faut couper, c’est ce qui permet à tous les profs, chercheurs ou étudiants de vivre dans la pluralité », justifie Arancha Gonzalez Laya.

Sciences Po a tissé des liens avec pas moins de 480 universités partenaires à travers le monde. L’institut compte 15 000 étudiants dont la moitié sont des internationaux, répartis sur sept campus en France : Dijon, Le Havre, Menton, Nancy, Paris, Poitiers et Reims.

« Bassères complice »

Jean Bassères aspire désormais « à ce que chacun retrouve le calme », mais admet « rester prudent sur la suite des évènements », d’autant que s’ouvre à partir de lundi une période d’examen d’une dizaine de jours à Sciences Po. Dans la foulée du « town hall », des vidéos relayées sur X par une journaliste du Monde montraient plusieurs dizaines d’étudiants rassemblés dans « la péniche », le hall d’accueil de l’école, flanqués de kéfiés et brandissant des drapeaux palestiniens, tout en scandant « Free Palestine » ou « Bassères complice ».

Une pétition interne « dénonçant la répression par Sciences Po de l’activisme pro-palestinien » avait reçu plus de 1 700 signatures en milieu d’après-midi. Ce texte réclame notamment une condamnation officielle de la part de la direction de l’établissement du « génocide potentiel à Gaza par l’Etat d’Israël », et l’ouverture d’une enquête sur les partenariats avec « des universités israéliennes complices du génocide potentiel ».

En parallèle, une seconde pétition « apartisane » et publique, lancée lundi « pour la liberté d’étudier et de débattre au sein de Sciences Po », demande le retour de conditions sereine d’enseignement et d’examen. Mais aussi « des sanctions fermes et adéquates pour les étudiants qui ont participé à l’occupation illégale des bâtiments de l’école ou à toute autre forme d’activité contrevenant au règlement intérieur de l’école. » Elle comptait un peu plus de 1 000 signatures à 16 heures ce jeudi.

Accusations d’antisémitisme

Le mardi 12 mars, à 8 heures, une soixantaine d’étudiants ont occupé sans autorisation le principal amphithéâtre du campus parisien de Sciences Po, pour une manifestation de soutien aux Palestiniens. Durant deux heures, les prises de parole sur la situation au Proche-Orient se sont multipliées, l’absence de positionnement de la part de la direction face au conflit israélo-palestinien a également été dénoncée. Cet événement est intervenu dans une période de turbulences pour l’administration de Sciences Po, son directeur, Mathias Vicherat, ayant choisi de renoncer à ses fonctions après des accusations de violences conjugales.

Courant avril, le mouvement a pris de l’ampleur, avec des blocages impliquant jusqu’à 200 étudiants. Ils ont reçu le soutien et la visite de plusieurs membres de La France insoumise, dont la campagne pour les élections européennes est largement centrée sur le conflit israélo-palestinien. Jean-Luc Mélenchon leur a même adressé un message audio en fin de semaine : « Vous êtes l’honneur de notre pays », a salué le tribun insoumis.

En parallèle, des accusations d’antisémitisme sont venues entacher le mouvement. Lors des évènements du 12 mars, une étudiante, membre de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), a rapporté avoir été empêchée de rentrer dans l’amphithéâtre Boutmy. Dans la foulée, un signalement a été fait auprès du procureur de la République de Paris, au titre de l’article 40 du Code pénal. En outre, la reprise du slogan « de la rivière à la mer, la Palestine sera libre » lors des blocages, ce qui sous-tend implicitement la disparition d’Israël, a été pointée du doigt. « On constate que le nombre de signalements sur des propos pouvant être antisémites a légèrement augmenté par rapport à l’année dernière », a reconnu Jean Bassères ce jeudi.

Répercussions financières

Vendredi dernier, la tension est montée d’un cran, lorsque des affrontements ont éclaté entre les étudiants mobilisés en faveur de Gaza et un groupe de militants pro-israélien. La police est intervenue sur ordre du préfet pour faire évacuer la rue Saint-Guillaume. Dans la soirée, la direction a indiqué avoir trouvé un accord avec les étudiants mobilisés, impliquant la levée des blocages contre la suspension des mesures disciplinaires prises à l’encontre de certains étudiants pour des faits postérieurs au 17 avril, et donc sans lien avec les accusations d’antisémitisme qui ont émaillé la journée du 12 mars.

Pour autant, après cette annonce, la région Île-de-France a annoncé couper sa subvention à Sciences Po. « J’ai décidé de suspendre tous les financements de la Région destinés à Sciences Po tant que la sérénité et la sécurité ne seront pas rétablies dans l’école. Une minorité de radicalisés appelant à la haine antisémite et instrumentalisés par LFI et ses alliés islamo-gauchistes, ne peuvent pas dicter leur loi à l’ensemble de la communauté éducative », a fait savoir Valérie Pécresse, la présidente du Conseil régional, sur X (anciennement Twitter).

« Je considère que la position de la région Ile-de-France peut encore être débattue et j’espère bien rencontrer prochainement Valérie Pécresse pour en débattre avec elle. Je ne me fais pas personnellement à l’idée qu’une minorité d’étudiants puissent pénaliser Sciences Po », a réagi Jean Bassères. Les montants publics alloués par la région à l’établissement s’élèvent à un million d’euros sur un budget global annuel de 200 millions.

Un risque de contagion

Notons que les étudiants mobilisés sur le campus de Sciences Po Menton, qui compte quelque 300 étudiants – n’étaient pas conviés au « town hall » organisé ce jeudi à Paris, ceux-ci ayant refusé d’évacuer les locaux. « On avait un deal avec les associations étudiantes. Menton a jugé qu’il n’était pas tenu par ce deal », indique la direction parisienne.

Inspiré par la mobilisation qui touche les universités américaines, le mouvement étudiant de soutien à la Palestine, dont Sciences Po Paris est devenu l’épicentre en France, a commencé à gagner d’autres facultés et établissements dans l’Hexagone. Ces derniers jours, les campus de Rennes, Grenoble, Saint-Etienne, Lyon et Dijon ont également été touchés par des blocages. À Lille ce jeudi, l’Institut d’études politique et l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) n’étaient pas accessibles.

Dans la matinée, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, a réuni les présidents d’universités en visioconférence pour leur demander d’assurer le « maintien de l’ordre » public, en utilisant « l’étendue la plus complète des pouvoirs » qui leur sont conférés.

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