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Pourquoi le « Pacte enseignant » ne séduit pas les profs ?

Décrié par les syndicats, le « Pacte enseignant », qui propose à ces derniers de nouvelles missions en échange d’une hausse de leur rémunération, n’atteint pas l’objectif fixé par le gouvernement, avec un taux moyen de contrats signés sous la barre des 30%, selon de premiers chiffres.
Romain David

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Un allumage difficile pour le « Pacte enseignant ». Ce dispositif, annoncé en avril dernier par Emmanuel Macron, pour répondre à la fois aux demandes de revalorisation salariale et au manque d’enseignants, fait partie des grandes nouveautés de la rentrée 2023 sur lesquelles est notamment attendu le ministre de l’Education national, Gabriel Attal. Selon une étude réalisée auprès de 2 750 proviseurs par le syndicat SNPDEN-Unsa, principale organisation chez les chefs d’établissements, 30 % des établissements n’avaient souscrit aucun pacte enseignant à la rentrée. Le taux moyen de pactes signés par rapport au nombre de pactes attribués par établissement est de 23 %. Ce chiffre cache également de fortes disparités puisque 54 % des collèges et des lycées comptent moins de 10 % de pactes signés.

De son côté, le gouvernement misait sur un taux d’adhésion de 30 %. « À mon avis on sera très loin du compte. Au mieux, ce sera 23 % », indique à Public Sénat Bruno Bobkiewicz, le Secrétaire général de SNPDEN-Unsa, également proviseur de la cité scolaire Buffon de Paris. « Seuls 3 % des établissements qui nous ont répondu sont à 100 % de contrats signés », relève-t-il. Comment expliquer de si grands écarts ? « Il y a des effets collectifs, avec des pressions de salle des profs. Ce sont des choses qui existent même si, à l’arrivée, chacun est libre de faire ce qu’il veut. Il y a aussi des établissements avec une forte culture de résistance. Il faut rappeler que ce dispositif est né dans l’opposition quasi générale, et ce n’est pas en se mettant à dos les personnels que l’on crée un effet d’entraînement ».

Des missions rémunérées 1 250 euros brut annuels

Le « Pacte enseignant » est un mécanisme d’indemnisation au sein des écoles, collèges, des lycées d’enseignement général et technique, et des lycées professionnels, destiné aux enseignants qui prennent en charge des missions supplémentaires. Il repose sur la base du volontariat. Le « Pacte enseignant » se décline en unités de missions, dont les contours peuvent varier selon les besoins locaux, et auxquelles correspond un volume horaire à respecter ou une série d’engagements à tenir.

Parmi les missions proposées : des sessions de renforcement en mathématique et en français, une aide aux devoirs, ou encore du soutien scolaire à l’attention des élèves en difficulté. Les enseignants du second degré peuvent notamment effectuer de courtes missions de remplacement ou participer à la mise en place de modules de découvertes des métiers et des formations. Chaque mission complémentaire fait l’objet d’une rémunération forfaitaire de 1 250 euros brut annuels. Les enseignants ont la possibilité de prendre jusqu’à trois missions en charge, pour un total de 3 750 euros brut annuels. Dans les lycées professionnels, ce complément de rémunération peut grimper jusqu’à 7 500 euros brut annuels.

« Il y a eu un problème initial de communication sur ce dispositif »

Le dispositif a été largement décrié dès son annonce, et parfois décrit comme une déclinaison du « travailler plus pour gagner plus » qui avait rythmé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Les syndicats d’enseignants estiment qu’il ne s’agit pas d’une véritable revalorisation salariale, puisque celle-ci ne touche pas le socle mais se présente sous la forme d’une prime. Ils considèrent par ailleurs que ce système ne participera pas à l’amélioration des conditions d’enseignement, ni à l’attractivité du métier mais risque plutôt de faire exploser les temps de travail.

« Le pacte ne répond en rien aux problèmes des salaires bas et conditions de travail difficiles car travailler plus pour gagner plus, ce n’est pas une revalorisation et imposer des missions supplémentaires (qu’il faudra préparer) pour améliorer le pouvoir d’achat n’est pas une réponse acceptable. Bien au contraire, cela dégradera encore les conditions d’exercice de nos métiers », écrit la FSU-SNUipp dans un communiqué publié en mai. « C’est une provocation, alors même que les enseignants français travaillent davantage que leurs homologues européens, avec davantage d’élèves », avait cinglé la sénatrice socialiste Florence Blatrix Contat lors d’une séance de questions au gouvernement en juin dernier.

« La mise en place de ce pacte m’a beaucoup choquée », abonde sa collègue la socialiste Marie-Pierre Monier, coauteur d’un rapport dressant le bilan des mesures éducatives prises sous le premier quinquennat. « Les profs passent déjà beaucoup de temps devant les élèves. La moitié des enseignants du premier degré déclarent travailler au moins 42 heures par semaine, et le gouvernement a encore estimé qu’ils avaient un surplus de temps pour assumer d’autres tâches ? », tacle l’élue. « La rémunération actuelle ne tient pas suffisamment compte de ceux qui s’investissent déjà beaucoup, au-delà des missions qui incombent à leur poste », regrette le sénateur LR Max Brisson, vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, spécialiste des questions d’éducation. « Il aurait fallu commencer par faire un état des lieux des multiples tâches assumées par les uns et les autres. Certaines sont déjà rémunérées, d’autres ne le sont pas – je pense, par exemple, à l’organisation des voyages scolaires -, et se demander si elles valent de l’être ».

« Il y a eu un problème initial de communication sur ce dispositif. Il a été considéré à tort, y compris dans la bouche des ministres, comme un élément de réponse à la question des bas salaires. Cet amalgame a nourri beaucoup de colère et de frustration », souligne Bruno Bobkiewicz. « Il y a bien eu des revalorisations du socle, mais toutes petites. Face à cela, le « Pacte enseignant » nous a effectivement été vendu comme le remède aux problèmes de précarité et d’attractivité », se souvient Marie-Pierre Monier.

Vers une « libéralisation progressive du système » ?

« Il y aura une montée en puissance. Je sais qu’il va falloir convaincre », avait reconnu Gabriel Attal lors d’un point presse en marge de la rentrée. Mais un déploiement à plusieurs vitesses risque aussi de créer des situations d’inégalité entre élèves, avec des établissements qui seront en mesure, par exemple, d’offrir plus de cours de soutien ou d’aide aux devoirs que d’autres. Certains y voient aussi une forme de remise en cause du statut de l’enseignant. « C’est une libéralisation progressive du système. On la voit déjà apparaître sur d’autres sujets », alerte Marie-Pierre Monier qui dresse un parallèle avec l’expérimentation sur l’autonomie des établissements lancée à Marseille en 2021, et que le chef de l’Etat souhaite généraliser. « Dans l’école publique et laïque de la République, l’Etat se doit d’apporter les mêmes moyens à chacun ! », tient à rappeler la socialiste, elle-même ancienne professeure de mathématique.

« Est-ce que l’on a dérégulé la fonction publique lorsque l’on a rendu les enseignants éligibles aux heures supplémentaires ? Tout cela est idiot. Les syndicats se drapent dans des postures idéologiques », s’agace le sénateur LR Max Brisson, lui-même à l’origine d’un projet de loi portant élargissement de l’autonomie des établissements. « Les différences de dynamique d’une équipe pédagogique à une autre existent déjà, et cela échappe au champ de la loi », conclut-il.

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