« La justice, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de Sciences Po, fera son travail. À ce moment-là, les sanctions prises seront extrêmement sévères ». Auditionnée par la commission des affaires culturelles du Sénat ce mercredi 20 mars, Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), qui assure la gestion de l’Institut d’études politiques de Paris, est revenue en détail sur l’occupation d’un amphithéâtre par des militants pro-palestiniens la semaine dernière. Elle a également été interrogée sur les accusations d’antisémitisme portées par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) en marge de cette mobilisation, et qui ont ému la classe politique.
Cet évènement prend place au sien d’une période de trouble pour la gouvernance de Sciences Po, puisque son directeur, Mathias Vicherat, a choisi de mettre fin à ses fonctions après avoir appris son renvoi devant le tribunal correctionnel pour des faits de violences conjugales.
« Depuis les évènements du 12 mars, l’institution que je préside est en proie à des accusations injustes et blessantes, injustes parce qu’elles reposent sur des informations généralement incomplètes, incertaines, voire fallacieuses », a défendu Laurence Bertrand Dorléac, tout en ciblant l’intérêt particulier des médias et de l’opinion publique « pour les faiblesses supposées ou les qualités de Sciences Po ». « Aucun autre établissement français n’a suscité autant d’articles de presse ou de tweets », a-t-elle relevé.
Un rassemblement non-autorisé
Le mardi 12 mars, à 8 heures, une soixantaine d’étudiants ont occupé sans demande ni autorisation préalable l’amphithéâtre Émile Boutmy, pour une manifestation de soutien aux Palestiniens. Les interventions se multiplient, avec « un discours agressif, y compris vis-à-vis de la direction », précise la présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. « Nous sommes accusés d’être complices – je cite – du ‘génocide en cours’ ». Durant cet événement, une étudiante de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) aurait été empêchée d’accéder à l’amphithéâtre. « Les versions diffèrent, mais il est certain que l’enquête devra faire la lumière sur les raisons pour lesquelles cette jeune femme a été empêchée d’entrer », explique Laurence Bertrand Dorléac. En milieu de matinée, jusqu’à 200 personnes se seraient retrouvées à l’intérieur de l’amphithéâtre.
En parallèle, une manifestation se met en place dans le hall, puis devant Sciences Po, bloquant sans autorisation la rue. Le commissariat a été appelé par l’établissement afin de sécuriser la voie publique, mais n’a finalement pas eu à intervenir. Vers 10 heures, la direction décide de forcer les portes de l’amphithéâtre dans lequel doit se tenir un cours. « La directrice de la vie étudiante a pris la parole pour dire que des lignes rouges avaient été franchies, les micros ont été coupés, la rétroprojection interrompue, les drapeaux aux balcons décrochés », précise Alban Hautier, le secrétaire général de Sciences Po, également auditionné par la Chambre haute.
Un signalement auprès du procureur de la République
Fallait-il faire intervenir les forces de l’ordre ? « Le recours à la force publique est exceptionnel dans un établissement d’enseignement supérieur, la priorité, c’est la sécurité des personnes. Il n’y avait pas de dégradation de l’amphithéâtre, il n’y avait pas de violences physiques, il nous a semblé que dans ce cas, avoir recours aux forces de l’ordre alors que les étudiants avaient annoncé qu’ils allaient libérer l’amphithéâtre à 12 heures, aurait fait courir un risque », explique encore Alban Hautier.
Dans l’après-midi, sept étudiants de l’Union des étudiants juifs de France ont été reçus par la direction pour livrer leur version des faits. Dans la foulée, une cellule d’enquête a été saisie et une enquête administrative ouverte. Dans la soirée, un signalement a été fait auprès du procureur de la République de Paris au titre de l’article 40 du Code pénal, sur des faits d’antisémitisme rapportés par l’UEJF.
La réputation d’un établissement « qui s’honore d’avoir formé six des huit présidents de la Cinquième République »
Pour Laurent Lafon, le président centriste de la commission des affaires culturelles, les comportements évoqués par certains témoignages pourraient être de nature « à poser la question du respect des principes républicains, voire du maintien de l’ordre au sein de l’établissement ». Devant les sénateurs, Laurence Bertrand Dorléac invoque un événement isolé, et tient à défendre la réputation d’un établissement « qui s’honore d’avoir formé six des huit présidents de la Cinquième République, seize de ses vingt-quatre Premiers ministres ».
« Est-ce que l’antisémitisme règne à Sciences Po comme on a pu le voir écrit et proclamé ? Ma réponse est fermement non. Nous ne chercherons jamais à nier qu’un étudiant ait pu tenir des propos antisémites. Chaque fois qu’un fait de cette nature nous est rapporté, nous enquêtons et nous sanctionnons », martèle cette historienne de formation, en rappelant que lesdites sanctions peuvent aller jusqu’à l’exclusion. « Nous n’acceptons pas davantage toute autre forme de racisme et de discrimination. »
« Le problème, c’est que le premier communiqué de Sciences Po ne nommait pas les choses et qu’à ne pas nommer les choses, on ne combat pas vraiment le mal », relève le sénateur LR Max Brisson, spécialiste des questions d’éducation. « S’il n’y avait pas eu l’émotion, s’il n’y avait pas eu la réaction des politiques, en serait-on resté à un communiqué qui n’était pas capable de mentionner le mot juif ? », interroge-t-il.
« Gabriel Attal est toujours le bienvenu dans la maison »
Les élus sont également revenus sur un épisode en lien avec la journée du 12 mars, qui a nourri un certain agacement au sein de la communauté académique : l’irruption, le jour suivant, du Premier ministre Gabriel Attal en pleine réunion du conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Le locataire de Matignon a dénoncé une « dérive liée à une minorité agissante et dangereuse à Sciences Po ». Cet épisode est vécu par certains enseignants comme un coup de canif à la liberté académique, voire une forme d’interventionnisme. « Je n’ai pas à commenter la venue de notre Premier ministre qui est un ancien de Sciences Po, donc il est toujours le bienvenu dans la maison », balaye Laurence Bertrand Dorléac.