Paris: Attal at Samuel Paty award 2023

« Sortir » les élèves radicalisés de l’école : la proposition de Gabriel Attal est-elle applicable ?

Cette mesure proposée par le ministre de l’Education nationale, en réaction à l’attentat d’Arras, entre en contradiction avec l’obligation d’instruction qui figure dans la loi française. Au-delà de l’obstacle législatif, les modalités d’application d’une telle exclusion soulèvent également de nombreuses questions sur le traitement et le suivi des personnes radicalisées.
Romain David

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Gabriel Attal entend faire de l’école un « sanctuaire ». Le ministre de l’Education nationale a indiqué au cours d’un entretien télévisé accordé à France 2, jeudi 19 octobre, vouloir « sortir » les élèves signalés pour des faits de radicalisation des établissements scolaires. Selon une information de BFM TV, Mohammed Mogouchkov, l’auteur de l’attaque au couteau d’Arras qui a coûté la vie au professeur Dominique Bernard le 13 octobre, était inscrit au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) depuis février 2021, ayant fait l’objet de deux signalements de la part de son ancien établissement. Jusqu’à présent, les autorités se sont contentées d’indiquer que ce jeune homme de 20 ans, originaire d’Ingouchie, était suivi par les services de renseignement depuis cet été et fiché S seulement depuis le 2 octobre.

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, quelque 1 000 mineurs font actuellement l’objet d’une fiche S pour islamisme. « Ils ne sont pas tous suivis parce qu’ils constitueraient un danger. Certains le sont parce que leurs parents, un oncle, une tante ont été signalés », a précisé Gabriel Attal jeudi soir. « En revanche, au sein de ce millier de mineurs, certains le sont parce qu’ils ont été signalés par des enseignants, des personnels de direction, des assistants d’éducation ou autre sur des faits qui laissent penser qu’il y a potentiellement une menace, une dangerosité… » Le nombre exact de mineurs concernés par ces signalements est encore en cours d’évaluation, a précisé le ministre de l’Education nationale.

« Je vais travailler avec mon collègue de l’Intérieur et mon collègue de la Justice à des mesures qui nous permettent de les sortir de nos établissements scolaires », a expliqué le locataire de la rue de Grenelle. « Le principe de protection que je veux appliquer à l’ensemble de nos élèves et de nos personnels fait qu’on doit trouver une autre solution que de les scolariser », a-t-il encore indiqué.

L’obligation de scolarité

Mais cette mesure pourrait très vite tourner au casse-tête juridique pour l’exécutif, puisqu’en France, l’instruction est obligatoire pour tous les enfants âgés de 3 à 16 ans révolus, qu’ils soient Français ou étrangers domiciliés sur le territoire. « En dessous de 16 ans, il me paraît pour le moins compliqué de contourner l’obligation de scolarité sur une simple décision administrative. Cela devra nécessairement passer par le juge des enfants. Mais je ne vois pas comment, aujourd’hui dans la République, une décision de justice pourrait priver un enfant d’éducation », commente auprès de Public Sénat Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l’université de Cergy, membre du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) et spécialiste de la politique de maintien de l’ordre.

À moins d’introduire dans le droit un principe d’exception, la France se mettrait en porte à faux de sa propre législation, mais également de ses engagements internationaux. Notamment de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) de 1989, qui défend aussi le droit à l’éducation. « Cette annonce me semble être un non-sens. À nouveau, le gouvernement agit sous le coup de l’émotion », s’agace Dominique Attias, avocate, spécialiste du droit des mineurs, qui rappelle que même au-delà de ses 16 ans, et jusqu’à sa majorité, un jeune continue d’avoir le droit à une éducation, étant tenu par « une obligation de formation », inscrite dans l’article 15 de la loi du 26 juillet 2019 « pour une école de la confiance ».

Les procédures administratives d’expulsion existent déjà, mais elles se font au cas par cas, concernent les établissements et non l’ensemble du milieu scolaire, puisque l’Education nationale a l’obligation de rescolariser un élève qui a été renvoyé. La décision d’expulsion est mise en œuvre par le conseil disciplinaire, généralement à l’initiative du chef d’établissement. « Les procédures d’expulsion sont rapides et sans faille pour ceux qui les mettent en route. La famille a rarement son mot à dire », note Dominique Attias. L’élève dispose toutefois de plusieurs voies de recours, soit auprès de l’Education nationale, soit auprès du juge des référés.

Distinguer provocation et radicalisation

Au-delà de sa faisabilité juridique, une mesure d’expulsion globale pourrait également se heurter à de nombreux paramétrages. Quelles sont les autorités habilitées à procéder au signalement de l’élève ? Le corps enseignant, les parents, les forces de l’ordre ? Faut-il l’avis d’un juge ? La sortie du milieu scolaire est-elle définitive ou bien limitée dans le temps et soumise à évaluation ? Mais surtout, de quel type de radicalisation parle-t-on ? Le contexte terroriste ravivé depuis l’attaque d’Arras place en première ligne l’islamisme, mais le dispositif pourrait très bien être étendu à d’autres religions, et même à la radicalisation politique.

« Ces interrogations soulèvent le recours problématique à la fiche S, qui recoupe de très nombreux motifs de signalement », pointe Olivier Cahn. « De quelle manière opère-t-on la distinction entre la provocation adolescente débile, qui a pu se manifester, par exemple, avec des perturbations lors de l’hommage à l’enseignant tué à Arras, et la radicalisation véritablement dangereuse ? La distinction ne me semble pas nécessairement aisée à faire, d’autant que l’adolescence est une période où l’on peut être amenée à céder facilement aux comportements extrêmes et provocants », pointe-t-il. « Par ailleurs, priver d’accès à l’éducation une personne radicalisée n’est peut-être pas le meilleur moyen pour tenter d’inverser ce processus ».

Quelle prise en charge ?

Se pose également la question du suivi. Que fait-on des mineurs extraits de leur scolarité, à plus forte raison si le bannissement s’appuie sur un simple signalement, sans infraction ou décision de justice ? « On peut imaginer la même chose que ce que l’on a fait en prison, avec des établissements où des classes dédiées à ces élèves. C’est garantir a minima qu’ils ne contamineront pas les autres, mais au-delà de la logique de cordon sanitaire, tout me laisse penser que stigmatiser un adolescent ne va pas améliorer les choses », note encore le juriste Olivier Cahn. Cette piste ne correspond pas non plus à la doctrine mise en place par le ministère de la Justice depuis 2017 sur les mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation, privilégiant plutôt une approche individualisée.

Actuellement, la prise en charge de ces jeunes relève de l’article 375 du Code civil. Lorsque « la santé, la sécurité, la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger », notamment si « les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises », le juge des enfants, saisi par les parents de l’enfant, ses tuteurs ou le procureur de la République, peut prononcer la mise en place de mesures d’assistance éducative, voir un placement en institution si le cadre parental s’avère problématique. Par ailleurs, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 permet d’étendre aux mineurs les interdictions judiciaires de sortie du territoire, afin de lutter contre les départs vers des théâtres d’action terroriste, notamment en zone irako-syrienne.

Ce sont les conseils départementaux, à travers les services de l’aide sociale à l’enfance, qui ont la charge de mettre en place les mesures d’encadrement prononcées par le juge. Il existe des dispositifs spécifiques en fonction des départements.

Dans un entretien de 2019, mis en ligne sur le site du ministère de la Justice, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) du ministère de la Justice proscrit les regroupements en même lieu. Ils seraient favorables selon cette administration en charge de la justice des mineurs et de l’accompagnement des jeunes délinquants « à reproduire les processus d’aliénation dans lesquels l’adolescent était engagé avant sa prise en charge ». La DPJJ estime que c’est « par la connaissance et l’apprentissage du vivre ensemble avec d’autres publics que le jeune radicalisé peut trouver les leviers d’une réinsertion dans la société civile », et préconise « une prise en charge globale, quotidienne, par des équipes pluridisciplinaires, en s’appuyant tout à la fois sur l’ensemble de leurs savoirs faire et sur l’expertise de chacun des partenaires institutionnels et associatifs ».

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