Éducation
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Par Aglaée Marchand
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C’est un bien public menacé par les déficiences de l’État en termes de politiques universitaires. L’université française pâtit d’une situation financière exsangue, différemment appréciée par les représentants des établissements et les autorités ministérielles, constate une mission d’information du Sénat, dont les travaux ont été examinés mercredi 22 octobre par la commission de la Culture et de l’Éducation. Son président Laurent Lafon avait chargé Laurence Garnier (LR), Pierre-Antoine Levi (UC) et David Ros (SER) d’éplucher la stratégie de l’État et ses carences, aux termes de la dernière séquence budgétaire qui s’est fait l’écho de différents sons de cloches quant aux trésoreries des établissements. Le constat posé est clair et unanime : une « absence de boussole » et un « pilotage erratique » participent à la fragmentation du paysage universitaire et de la soutenabilité de son financement.
De ces échanges est né le débat sur une revalorisation des droits d’inscription et une sélection à l’entrée dans l’enseignement supérieur. L’élu socialiste David Ros déplore des réflexions « en décalage » avec le reste du rapport, voté quant à lui à l’unanimité.
Une stratégie nationale peu voire pas définie, des échanges et un accompagnement presque inexistant entre les universités, la Dgesip et les rectorats, une attribution des ressources et dotations disparate et opaque… Les rapporteurs s’accordent à dépeindre un secteur empreint de difficultés, qui souffre de modalités inadaptées de la tutelle exercée par le ministère. En ce sens, la mission d’information préconise, entre autres, d’« instituer une conférence stratégique quinquennale réunissant l’ensemble des parties prenantes pour déterminer les objectifs et les priorités de la politique universitaire nationale ».
A partir de cet état des lieux, les sénateurs ont décrypté une mise en concurrence « généralisée » des formations, tirant son origine dans le processus de différenciation pensé pour « faire émerger de grands établissements de recherche », et dans la généralisation des financements sélectifs. Une meilleure visibilité « sur l’évolution de leurs moyens financiers », est défendue par les rapporteurs, ainsi qu’un rééquilibrage des procédures d’appel à projets. Cette évolution différenciée aboutit à une hétérogénéité des formations et à un management « au cas par cas », qui nuit à une régulation d’ensemble sur le territoire.
L’autonomie des structures est aussi limitée, faute de moyens opérationnels suffisants, là où « la logique de contractualisation tend à déplacer la fonction stratégique à l’échelle de chaque établissement ». Premier obstacle majeur : le sous-calibrage de leurs fonctions support, qui appellent à des compétences spécialisées mais subissent des conditions d’emploi peu attractives. La faute aussi à une dévolution hésitante et non généralisée du patrimoine immobilier, ce dernier étant essentiellement détenu par l’État (82 %) et les collectivités territoriales (12 %), alors que sa gestion « représente le deuxième poste budgétaire » des universités.
Le rapport s’alarme aussi de « l’opacité » et de « l’imprévisibilité » de l’allocation de leurs moyens financiers, impactant leur capacité à « développer la vision financière pluriannuelle nécessaire au déploiement d’une véritable stratégie ». Le besoin de moderniser la fonction financière des établissements fait consensus au sein des sénateurs de la mission, qui conseillent le développement de nouvelles possibilités d’expérimentation.
En conclusion, arrive finalement « l’axe du mal », sourit le sénateur socialiste David Ros. Celui « qui a mis le feu aux poudres », glisse le centriste Pierre-Antoine Lévi. « Les onze premières recommandations correspondent à l’essentiel du travail que nous avons réalisé pendant plusieurs mois, avec quatre premiers axes très opérationnels », relate le premier. Puis, « s’est posée la question de la réussite étudiante ». A travers un cinquième axe, la mission d’information ouvre « une réflexion nationale » sur la régulation de l’entrée dans le premier cycle universitaire et les conditions d’un rehaussement national des droits d’inscription. « On a opté pour une dialectique très prudente », clarifie Pierre-Antoine Levi. Ces propositions donnent suite aux constats des présidents d’établissements auditionnés, tient à préciser le centriste. Mais elles ont braqué la gauche hier en commission : « C’est une ligne rouge pour nous », justifie David Ros, « parce que ça conduit à remettre en cause la quasi-gratuité des formations ».
D’emblée, la sénatrice LR Laurence Garnier rappelle les chiffres : pour une inscription en licence fixée à 178 €, un étudiant coûte en moyenne 12 250 € annuels. Les frais universitaires ne représentent néanmoins que 2.7 % du budget des universités : « On a conscience qu’augmenter ces droits d’inscription ne constitue pas le moyen de régler les soucis financiers des universités, mais ça peut être un appui parmi d’autres ». Et cette mesure devrait « se faire de manière progressive et en fonction des revenus », insiste l’élue de Loire-Atlantique. Et d’ajouter : « On a aussi dit qu’il fallait que ça se fasse en engageant une réflexion sur la refonte du système des bourses », entamée par l’ex-ministre de l’enseignement supérieur Sylvie Retailleau, « mais qui n’a pas encore abouti », souligne le centriste Pierre Lévi. Alors, « en refusant de voter cet axe, la gauche ne vote pas non plus pour cette réforme », considère le Républicain Stéphane Piednoir. Afficher le coût réel d’un étudiant, David Ros a plaidé pour, « mais on trouve que de faire payer ça aux gens, ce n’est pas le débat. La question aurait pu être posée dans une autre mission vraiment dédiée à l’orientation, là on a le sentiment d’une recommandation un peu fourre-tout, qui n’a pas sa place ».
Aussi sur la table : la sélectivité des universités. « Elles font du tri mais a posteriori et par l’échec », avance Laure Darcos (LIRT). Laurence Garnier lui emboîte le pas : « Il faut avoir à l’esprit que 50 % des étudiants obtiennent leur licence en trois, quatre ou cinq ans. On a quand même la moitié des Français qui sortent de licence sans diplôme. Et pour ceux qui vont suivre un master et l’obtenir, ils ne trouvent pas de place à la hauteur de leur formation sur le marché du travail ». Ce qui conduit la sénatrice LR à militer pour le « bon accompagnement de nos étudiants, pour permettre aux universités de faire du bon travail, en essayant de gérer le mieux possible les deniers publics ». « L’échec coûte cher en matière d’orientation des jeunes et à l’État », complète Pierre Lévi (UC). En souffre aussi « l’image » des formations, s’inquiète la majorité sénatoriale, quand seuls 54 % des élèves de l’enseignement supérieur se dirigent vers des filières universitaires.
Proposée au vote en commission de la Culture hier, cette douzième recommandation n’a donc pas fait l’unanimité, « ce qui est assez rare », note David Ros, « on a demandé qu’elle soit retirée ». Les socialistes, communistes, écologistes mais aussi les sénateurs Bernard Fialaire (Parti radical) et François Patriat (Renaissance) se sont positionnés en ce sens mais faute de majorité, face aux Républicains et aux centristes, elle a toutefois été maintenue. Sur décision « unanime » du groupe PS, David Ros a souhaité que son nom soit retiré du document. « Ce que je regrette, il a été un co-rapporteur excellent », déplore Pierre Lévi, qui n’exclut pas le dépôt d’une future proposition de loi, « qu’on pourrait co-signer, enfin, si on arrive à s’entendre ».
De quoi redonner vie à de vifs « clivages historiques entre la gauche et la droite, venus dégoupiller le rapport », David Ros en tient pour preuve : « le retour beaucoup plus fort que par le passé de sujets saillants au Sénat ». A présent, ce qui l’intéresse surtout, « c’est qu’on rentre dans une séquence budgétaire avec des débats qui vont avoir lieu sur les fonds de trésorerie des universités ». Les quatre premiers axes vont être mis en perspective, affirme l’élu PS, et « ils vont constituer un travail de référence, et permettront de rappeler, au besoin, à nos collègues de la majorité, qu’on était tous d’accord sur ces points ».
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