Comme il y a un an, le ministère du Travail devrait être l’un des secteurs les plus mis à contribution dans l’effort budgétaire prévu sur l’État. Dans l’état actuel du projet de loi de finances pour 2026, la mission « travail, emploi et administration des ministères sociaux » verrait ses moyens fléchir nettement, avec 2,5 milliards d’euros de coupes, pour tomber à 17,4 milliards d’euros. La discussion parlementaire peut toutefois aménager la copie, souvent qualifiée de « point de départ » par le gouvernement.
Les politiques de soutien à l’alternance restent, à ce stade, parmi les plus touchées dans cette enveloppe. Bercy affirme que le projet de loi poursuit « les efforts de recentrage et de bonne gestion sur l’apprentissage et la formation pour mieux cibler les dispositifs les plus insérants ».
Les PME redoutent de passer à la caisse
Le son de cloche est tout autre sur le terrain. Ces mesures d’économies suscitent depuis plusieurs jours des inquiétudes dans les milieux économiques mais également chez les parlementaires spécialisés dans la question.
« J’ai fait une tournée dans le Gard et le Vaucluse la semaine dernière. Il y a deux sujets de préoccupation dont parlaient les personnes que l’on a rencontrées : le jeu de massacre des chambres consulaires – chambres de commerce et chambres des métiers – et le gros coup de rabot sur l’apprentissage », relate le sénateur LR Olivier Rietmann, qui préside la délégation aux entreprises.
« Ça, ça va toucher les PME », s’est inquiété Amir Reza-Tofighi, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le 17 octobre sur France Info. « Aujourd’hui, le taux de chômage des jeunes est en train de repartir à la hausse parce que depuis 2 ans, en permanence, on a baissé les aides à l’apprentissage », a-t-il regretté. « L’aide aux employeurs d’apprentis est maintenue mais sans garantie de prolongation après 2025, tandis que certaines exonérations sociales sont réduites. Pour les TPE (très petites entreprises), cela signifie des coûts accrus et une incertitude sur la pérennité de l’alternance », s’est également inquiété ce lundi Marc Sanchez, secrétaire général du Syndicat des Indépendants et des TPE (SDI).
Le budget pour les primes à l’embauche d’apprentis réduit de 30 %
Le plus gros coup de frein va concerner le financement de la prime d’embauche versée aux employeurs pour chaque recrutement d’un apprenti. Le gouvernement prévoit cette année une enveloppe de 2,4 milliards d’euros. C’est 1 milliard d’euros de moins que celle votée pour le budget 2025, qui avait déjà fait l’objet d’un amaigrissement.
Dans la dernière loi de finances votée en février, cette prime, qui était jusqu’ici de 6 000 euros pour toutes les entreprises, a été réduite à 2000 euros pour les entreprises de 250 salariés et plus, et à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés. Seule la prime versée pour l’embauche d’apprentis en situation de handicap est restée stable à 6 000 euros.
Les modalités exactes de la nouvelle prime n’ont pas encore été communiquées, puisque le Parlement vote les masses financières et le gouvernement détermine les évolutions précises par voie réglementaire. Mais l’ampleur de la ponction suscite d’ores et déjà des craintes. « Si l’on doit enlever un milliard d’euros supplémentaire, les grandes entreprises ne suffiront pas, les aides sur les plus hauts diplômés non plus », redoute le sénateur Olivier Rietmann. « On avait été assez loin l’année dernière, on avait fait un sacré coup de rabot, sans évaluation. »
C’est également ce que reproche la sénatrice écologiste Ghislaine Senée, rapporteure spéciale sur ces crédits à la commission des finances. « Premièrement j’aimerais avoir une évaluation de l’impact de ces premières décisions. Et d’autre part, il y a besoin de stabilité. Si tous les ans, on diminue, il faudrait s’assurer qu’il n’y ait pas d’impact sur l’apprentissage en général, et notamment chez les alternants en infra-bac et au niveau du bac, là où il y a le meilleur taux d’insertion. »
En attente de données chiffrées du ministère mais également des auditions des représentants des centres de formation d’apprentis (CFA), la sénatrice des Yvelines plaide pour un accompagnement des PME et des entreprises de taille intermédiaire, « quitte à ce que la prime de 2000 euros pour les très grandes entreprises saute ». Lors de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques par les grandes entreprises, plusieurs fleurons du CAC40 avaient souligné que l’existence ou non de cette aide était sans effet sur leur volonté d’embaucher des apprentis.
Vers la fin de certaines dérogations de taxe d’apprentissage
La prime d’embauche n’est pas la seule dans le viseur du gouvernement. Les textes budgétaires prévoient aussi de réduire la voilure sur les dérogations à la taxe d’apprentissage. Une réforme des exonérations de prélèvements salariés, dont bénéficient les rémunérations des apprentis, avait déjà été enclenchée par la loi de financement de Sécurité sociale pour 2025. Le projet pour 2026 propose de « poursuivre cette réforme en mettant totalement fin à cette exonération pour les nouveaux contrats conclus à partir de janvier 2026 ».
En parallèle, les dotations de financements aux centres de formation des apprentis (CFA) pourraient être réduites par voie réglementaire. Les Echos évoquent une diminution de 6 % du financement de ces « coûts contrats » versés au réseau des CFA.
Toutes ces dispositions proposées par le gouvernement, mises bout à bout, « vont mettre carrément un coup de boutoir à l’apprentissage », redoute le sénateur Olivier Rietmann. « Je le dis franchement, c’est avancer masqué. Ils ne vont pas augmenter l’imposition des entreprises, mais ils diminuent ces dispositifs de manière très forte. Si diminuer ces aides c’est la diminution du train de vie de l’Etat, il y a erreur sur la définition du train de vie de l’Etat ! On ne peut pas laisser ça comme ça, c’est du rabot général », s’exclame le sénateur de Haute-Saône.
« Si on ne veut pas casser la dynamique, il ne faut pas changer les règles tous les ans »
« Sur l’apprentissage, si on ne veut pas casser la dynamique, il ne faut pas changer les règles tous les ans, sinon on crée une méfiance vis-à-vis du système, ce qui entraîne un frein », prévient aussi la sénatrice LR Frédérique Puissat, rapporteure pour avis des crédits de cette mission, pour la commission des affaires sociales. « On avait fait le choix de faire une pause sur les coupes en 2026. Ce n’est pas du tout l’accord qu’on avait avec la ministre Astrid Panosyan-Bouvet », ajoute-t-elle. La sénatrice de l’Isère proposera « une stabilité » sur la partie apprentissage, compensée par des économies sur d’autres interventions.
L’écologiste Ghislaine Senée comprend l’effort de rationalisation entrepris par le gouvernement, mais appelle aussi à bien mesurer les conséquences de cette nouvelle diminution annuelle des moyens en faveur de l’apprentissage, qui pourraient aller au-delà des seules grandes entreprises. « On voit bien que les aides, telles qu’elles ont été conçues en 2020 ne sont pas soutenables dans le temps. Mais ce serait un désaveu d’avoir porté le nombre d’apprentis à un million pour ensuite complètement abandonner cette politique, sous prétexte qu’on aurait atteint les objectifs. Il ne faut pas détricoter les politiques qui ont fonctionné. »
Le coup de frein est déjà palpable, provoqué en grande partie par le climat d’incertitude politique. Selon la Dares, qui dépend du ministère du Travail, 94 900 contrats d’apprentissage ont été signés au premier semestre 2025, soit une diminution de 1,4 % sur un an. Et selon une récente note de conjoncture de l’Insee, les perspectives devraient s’assombrir encore plus d’ici la fin de l’année, avec la destruction potentielle de 65 000 postes d’alternants, la plupart des embauches pour ce type de contrat ayant lieu en septembre. Ce serait une cassure, après le chiffre record de 879 000 entrées en apprentissage en 2024.