« C’est un coup de canif ! » : la grogne monte à l’Unédic sur les méthodes du gouvernement

Les deux plus hauts représentants du régime de l’assurance chômage ont déploré, avec une communication plus directe qu’à l’accoutumée, les entorses répétées du gouvernement contre les principes de la gestion paritaire.
Guillaume Jacquot

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« Il n’y va pas avec le dos de la cuillère ! » Ce commentaire d’une sénatrice LR donne une idée de la teneur des propos, ce 20 mars, du président de l’Unédic, le régime de l’assurance chômage. Auditionné devant la commission des affaires sociales, aux côtés de sa numéro 2 Patricia Ferrand (CFDT), le représentant du Medef a saisi l’occasion pour répondre indirectement au gouvernement, qui a multiplié ces dernières semaines les discours offensifs vis-à-vis de l’assurance chômage.

Dans une période d’incertitude économique, où une dégradation du marché de l’emploi entraînerait une hausse des dépenses et une baisse des recettes pour cet organisme géré de façon paritaire par le patronat et les syndicats, Jean-Eudes Tesson a critiqué les récents choix budgétaires du gouvernement. Ou encore, en pointillé, le récent plaidoyer de Bruno Le Maire en faveur d’une étatisation de l’assurance chômage. « J’espère que nous ne serons pas les derniers président et vice-présidente de l’Unédic », a souri en fin d’audition Jean-Eudes Tesson. Un mot de la fin sous forme de boutade qui montre que les partenaires sociaux digèrent de moins en moins bien la reprise en main de l’État de l’Unédic de plus en plus large depuis 2017.

Une baisse des compensations versées par l’État qui ne passe pas

Dans un arrêté publié fin décembre, l’exécutif a réduit de deux milliards d’euros les recettes de l’assurance chômage. L’une des dispositions de la dernière de loi de financement de la Sécurité sociale permet en effet à l’État d’abaisser le montant de ses compensations versées à l’Unédic, pour les exonérations de cotisations dont bénéficient les entreprises sur les bas salaires. La ponction, opérée pour financer France Compétences et France Travail, devrait se produire chaque année, jusqu’en 2026. Au total, 12 milliards d’euros de compensations ne seront pas versés à l’Unédic. « Tout d’un coup, ce qui était une règle d’or n’en est plus une. Le principe est tout aussi anormal que le montant. C’est un coup de canif », a lâché le président de l’Unédic, qui avait habitué les parlementaires à des propos plus mesurés.

Le chef d’entreprise évoque même devant les sénateurs l’hypothèse d’une « vengeance » à l’égard des partenaires sociaux, qui se sont battus pour éviter tout prélèvement sur l’Agirc-Arrco (la caisse de retraite complémentaire des salariés du privé). Ces moindres compensations versées à l’Unédic ont des effets directs sur la trajectoire financière du régime, puisque son excédent annuel est réduit. « La marge de manœuvre que nous avons, avec un milliard d’euros, c’est plus que l’épaisseur du traité : un petit rien d’évolution de la conjoncture peut avoir des conséquences importantes », a averti le président de l’Unédic.

« De la défiance est en train de se construire »

L’organisation doit toujours faire face au remboursement de sa dette de 60 milliards d’euros, dont 18,4 au titre des indemnités versées pendant les fermetures d’activités, décrétées pendant la pandémie de covid-19. La ponction de décembre 2023 perturbe d’ailleurs le calendrier de remboursement de l’Unédic. « Nous allons devoir en 2024 réemprunter, pour rembourser la dette passée, alors que nous n’aurions pas eu à le faire », a insisté Jean-Eudes Tesson. Le numéro un du régime a par ailleurs précisé que l’Unédic aurait été « partante » pour engager une partie des excédents vers le financement d’actions visant à prévenir le chômage. « Avec la façon dont ça s’est passé, c’est au contraire de la défiance, qui est en train de se construire, et c’est vraiment dommage. »

Autre motif de crispation à l’Unédic, sur fond de volonté affichée de durcir les modalités de l’assurance chômage : le récent accord sur lequel se sont entendus les partenaires sociaux n’a pas encore été agréé par le gouvernement, lequel souhaite désormais attendre la fin des négociations sur le volet de l’emploi des seniors. La vice-présidente Patricia Ferrand a dénoncé le « schéma actuel », « intenable dans le temps » à travers des lettres de cadrage « impossibles à tenir » « Le sujet, ce n’est pas tellement l’assurance chômage, c’est le paritarisme, et la place de la démocratie sociale dans ce pays », a-t-elle déclaré.

« Est-ce que l’Unédic est, en l’état, capable d’assurer la pérennité du régime ? Si on nous laisse faire oui »

Le duo à la tête de l’organisation paritaire a également été invité à réagir aux propos chocs de Bruno Le Maire. « L’Etat doit reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive », plaidait au début du mois, dans une interview au Monde, le ministre de l’Économie et des Finances. « Est-ce que l’Unédic est, en l’état, capable d’assurer la pérennité du régime ? Si on nous laisse faire oui, si on nous met d’autres charges et on nous enlève des recettes, c’est moins vrai », a mis en garde Jean-Eudes Tesson.

À plusieurs reprises, les deux gestionnaires de l’Unédic ont eu à cœur de remettre les points sur les i, dans une période où l’assurance chômage est plus que jamais dans le collimateur de Bercy. « Je voudrais insister sur le fait que les demandeurs d’emploi sont des actifs, contrairement à ce qu’à pu dire un ministre récemment », a corrigé le président de l’Unédic, rejoint plus tard par sa numéro 2 de la CFDT. « Parmi les demandeurs d’emploi indemnisés, la moitié travaille tous les mois. Donc quand on vient stigmatiser et dire que les chômeurs ne travaillent pas, ne recherchent pas, il faut vraiment avoir en tête ce chiffre », a insisté Patricia Ferrand.

Inquiets contre une succession d’annonces de nature à affaiblir un peu plus le fonctionnement du paritarisme, plusieurs membres de la commission sont venus défendre dans leurs interventions la façon de travailler des partenaires sociaux dans la gestion de ce type d’instances. « Il y a un adage dans mon territoire : qui sait ne parle pas, qui parle trop ne sait pas. Il y a un certain nombre de ministres, et notamment un qui n’est pas des moindres, qui a trop parlé sur l’Unédic », s’est exclamée la sénatrice LR. Frédérique Puissat.

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