Il n’aura fallu qu’une journée aux sénateurs pour examiner le projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi ». Le Sénat, à majorité de droite et du centre, l’a adopté à mains levées, tard dans la soirée du 25 octobre en première lecture, douze jours après les députés. Une commission mixte paritaire va désormais réunir les deux assemblées. Plusieurs modifications importantes ont été insérées au Sénat, durcissant notamment le cadre relatif aux règles d’indemnisations.
Le texte vise avant toute chose à prolonger les règles actuelles de l’assurance chômage, modifiées par décret en 2019, et qui expirent au 1er novembre. Il ouvre également la voie à un mécanisme de modulation des paramètres de l’assurance chômage en fonction du marché de l’emploi (contracyclicité). Le sujet fait l’objet d’une simple concertation entre le gouvernement et les partenaires sociaux, séquence qui doit s’achever « d’ici la fin de l’année », a précisé le ministre du Travail Olivier Dussopt.
« Nous, nous redonnons la main aux partenaires sociaux », déclare la rapporteure LR
Le projet de loi lui donne la possibilité de fixer les paramètres de l’assurance chômage par décret. Les sénateurs ont avancé au 31 août, au lieu du 31 décembre 2023 dans le texte initial, la fin de la période durant laquelle l’exécutif pourra agir. « Ces mesures dérogatoires ne peuvent être applicables que pour la durée proportionnée à la nécessité de l’urgence », a insisté la rapporteure Frédérique Puissat (LR), défendant la « restauration du paritarisme ». En commission, les sénateurs ont remplacé la lettre de cadrage, accusée de préempter les conclusions, à un document d’orientation. « Des partis se posent la question de la différence entre le gouvernement et la majorité sénatoriale. Vous, vous faites la loi de 2018, qui corsète la négociation […] Nous, nous redonnons la main aux partenaires sociaux », a fait valoir la rapporteure.
Tel qu’il ressort du Sénat, le projet de loi propose d’inscrire dans le Code du travail que la durée de travail nécessaire à l’ouverture des droits ou la durée du versement de l’allocation « peuvent être modulées en tenant compte d’indicateurs conjoncturels sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail ». Le gouvernement a apporté son soutien à cette disposition.
Un refus de trois CDI en un an privera un salarié des allocations-chômage
Il n’en a pas été de même pour la disposition privant d’allocation-chômage les salariés qui refuseraient, à trois reprises en un an, un CDI proposé à l’issue d’un CDD (à conditions égales). Le gouvernement a exprimé son désaccord. Les groupes de gauche ont fait part de leur vive opposition à la disposition introduite en commission par la majorité sénatoriale. La socialiste Monique Lubin a dénoncé une « course à l’échalote ». Un amendement du groupe LR, visant à exclure des allocations-chômage un salarié dès le premier refus de CDI, a été rejeté à une voix près. En revanche, le groupe présidé par Bruno Retailleau est parvenu à faire adopter son amendement visant à exclure des allocations-chômage les intérimaires qui n’accepteraient pas un CDI proposé sur leur poste.
Le Sénat a conservé l’article assimilant l’abandon de poste à une démission, qui a été introduit à l’Assemblée par des amendements de la majorité présidentielle et des LR. Le Sénat a « sécurisé » la rédaction, en prévoyant un délai minimum (à définir par décret) pour la mise en demeure qui demandera au salarié de reprendre le travail ou de justifier son absence. Olivier Dussopt a indiqué que cette disposition était « bienvenue ». Le ministre s’est dit « plus réservé » sur le déplafonnement de la durée des CDI intérimaires, et « encore plus » sur les assouplissements introduits par la commission des affaires sur le système de bonus-malus (relire notre article). Ce mécanisme de lutte contre les contrats courts, en vigueur depuis septembre, est prolongé par le projet de loi. Il vise à moduler les cotisations chômage des entreprises en fonction de leur taux de séparation de salariés. Le Sénat a exclu du champ d’application les fins de missions d’intérim.
« Le texte ressort plus dur que lorsqu’il était arrivé », dénonce l’écologiste Raymonde Poncet Monge
Les groupes de gauche n’ont vu aucun de leurs amendements adoptés. « Nos chances d’améliorer ce texte sont à peu près nulles », reconnaissait au début des débats la socialiste Laurence Rossignol. À l’issue d’un examen au pas de charge, qui a surpris même la présidente de la commission des affaires sociales Catherine Deroche (LR), les opposants des bancs de gauche ont déploré la teneur qu’a pris le texte. Dénonçant un « passage en force » du gouvernement sur le paritarisme, la communiste Cathy Apourceau-Poly a estimé que les salariés ont « beaucoup perdu ce soir ». « Le régime légistique de l’assurance chômage s’apparente à un 49.3 permanent, portant profondément atteinte à la démocratie », s’est aussi écrié l’écologiste Raymonde Poncet Monge. « Le texte ressort plus dur que lorsqu’il était arrivé, c’est une belle performance ».
De son côté, Philippe Mouiller (LR), pour la majorité sénatoriale, a salué un texte présentant « une plus grande ambition ». Et la centriste Annick Jacquemet s’est dite, au nom de son groupe, « contente des avancées votées ». « On pense particulièrement aux entreprises qui ont du mal à recruter des salariés ».
Le gouvernement a répété qu’un nouveau chapitre de discussion s’ouvrirait prochainement avec les partenaires sociaux sur la gouvernance de l’assurance chômage. Il s’agira d’une véritable négociation cette fois, avec la recherche d’un accord national interprofessionnel. « Ce sera l’occasion de redonner toute sa place au paritarisme en la matière », a-t-il souligné.