Réforme de l’assurance-chômage : « On peut se demander si on est encore dans une logique de paritarisme »
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Réforme de l’assurance-chômage : « On peut se demander si on est encore dans une logique de paritarisme »

Le gouvernement va lui-même définir d’ici l’été les nouvelles règles de l’indemnisation de l’assurance chômage. Pour l’universitaire Rémi Bourguignon, spécialiste du dialogue social, il s’agit d’un nouveau « recul du paritarisme », qui s’inscrit dans une « tendance lourde ».
Guillaume Jacquot

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Comme en 2019, le sort de la future convention de l’assurance chômage retombe entre les mains du gouvernement, après l’échec des partenaires sociaux dans la négociation sur le Pacte de la vie au travail et notamment le travail des seniors. Ce volet était intimement lié à l’évolution des règles d’indemnisation. L’État va donc agir via un décret dans cette situation dite de « carence », là où les partenaires sociaux doivent en temps normal fixer eux-mêmes les règles d’un régime paritaire.

Rémi Bourguignon, professeur des universités en sciences de gestion, directeur scientifique de la chaire Transformation et Régulation de la Relation de Travail à l’Université Paris Est Créteil, a répondu à nos questions sur les implications de la décision du gouvernement, et ses implications sur le paritarisme.

Le gouvernement a décidé de reprendre la main une nouvelle fois sur l’assurance chômage. Êtes-vous surpris ?

On peut noter que cette reprise en main par l’État d’un certain nombre de sujets liés à la protection sociale, ce n’est pas nouveau. Plusieurs gouvernements successifs se sont engagés dans cette voie, ce n’est pas seulement sous Emmanuel Macron. C’est une tendance lourde de l’État et d’un recul du paritarisme. Cela s’était déjà manifesté pendant la réforme des retraites. La grande idée d’après-guerre était de confier les sujets sociaux au paritarisme, pour les enlever du champ politique. L’État reprend la main et en fait un enjeu de politique.

Le nombre de promesses électorales qui sont des sujets de protection sociale, qui normalement ne devraient pas relever de la démocratie politique, est très important. Tous les candidats ont intégré l’idée que ça faisait partie du champ politique.

Sur ce sujet en particulier, on n’est pas très surpris étant donné que dès novembre dernier, le gouvernement avait annoncé dès novembre dernier cet accord à la signature de celui sur le travail des seniors. C’est une décision, ce n’est pas quelque chose de mécanique. Le gouvernement pouvait reprendre l’accord de novembre en disant qu’il était consensuel, quitte à l’ajuster.

Le décret de carence n’était donc pas inévitable ?

Il y a une carence de fait sur la deuxième négociation [sur l’emploi des seniors, ndlr]. La carence constatée sur le premier accord, c’est une décision du gouvernement, qui a voulu lier ces deux négociations. Et quand bien même la carence serait de fait, le gouvernement aurait pu prendre la décision de s’appuyer sur ce qui était consensuel dans le premier accord.

C’est presque étonnant de vouloir reconcerter, alors que les partenaires sociaux se sont entendus sur un contenu. On se demande quel est l’objet de cette concertation, alors qu’ils ont trouvé un accord.

Cela traduit une forte défiance de l’exécutif envers la démocratie sociale. Et quelque part, le message qu’envoie le gouvernement en surjouant l’échec de la négociation, c’est une sorte de confirmation de ce qu’il dit depuis le départ, et la campagne de 2017, à savoir que la démocratie sociale ne permet pas d’aboutir à des réformes ambitieuses. Il surjoue politiquement cet échec pour montrer qu’on a besoin de volontarisme politique.

Le gouvernement a-t-il installé les conditions de l’échec des négociations ?

À chaque fois que l’on lance des négociations avec des lettres de cadrage très précises et des attentes très précises en termes d’économies, on crée les conditions pour que ça échoue. En novembre, les partenaires sociaux s’étaient entendus. Dire que ça a été un échec, c’est un peu rapide. La négociation de novembre était difficile et les partenaires sociaux ont réussi à aller au bout, c’est d’autant plus dommage.

La dernière négociation montre qu’on a un peu sous-estimé la question de l’emploi des seniors, déjà soulevée pendant la réforme des retraites. Cette question du travail des seniors, de la pénibilité, appelle un travail lourd, qui ne peut pas se faire en quelques semaines, et de manière très éloignée du terrain. Elle amènera à déclencher tout un tas de réponses au niveau des entreprises, et elle suppose un travail de plusieurs années.

Que dire de la succession de réformes de l’assurance chômage ? La troisième depuis 2019 est en préparation.

Le rythme des réformes est beaucoup trop important. On n’a pas trop le temps de voir les effets, qui sont par nature un peu long à se produire. On est dépendant d’un agenda politique. On sait que l’on réforme pendant les premiers mois, quand les majorités suivent. Un exécutif n’a pas tellement le choix, il doit aller vite et multiplier les réformes.

C’est précisément la raison pour laquelle ces sujets doivent sortir du champ politique. On essaye de mettre le social au rythme du politique, ce qui ne fonctionne pas. Cela empêche de travailler sereinement sur le long terme, dans une démarche structurelle. Il y a un biais économiciste : on croit qu’avec quelques paramètres on va avoir des effets immédiats, alors qu’on est sur des questions d’organisation du travail et de management, beaucoup plus lourdes.

N’est-il pas problématique que ni les partenaires sociaux, ni les parlementaires ne soient finalement en mesure de décider de la future convention d’assurance chômage ?

Ce n’est pas spécifique à cette réforme. On est habitué depuis quelques années à ce que les réformes s’émancipent de la démocratie sociale et de la démocratie parlementaire. C’est une question de rythme. On ne peut pas dire que ce n’est pas démocratique, ce gouvernement est légitime. Mais on voit que la réforme échappe à la délibération, et c’est probablement ce qui fait aussi qu’il y a un appauvrissement des réformes. Sur la réforme des retraites, on voit bien qu’il y a un appauvrissement considérable par rapport à l’ambition initiale.

Des parlementaires d’opposition estiment que la gouvernance de l’Unédic a été dévoyée. Partagez-vous ce point de vue ?

Sur les grands rendez-vous de ce type, à chaque fois qu’il y a une renégociation de la convention, elle est clairement dévoyée. L’État joue un rôle de plus en plus prégnant dans les instances. La convention est aussi tellement cadrée qu’on se demande si la négociation est encore autonome. En novembre, les partenaires sociaux ont introduit quelques idées nouvelles, mais on leur a dit que ça ne pouvait pas s’appliquer. Il y a très peu de place pour que les partenaires sociaux introduisent des idées un peu innovantes.

Peut-on encore parler de gestion paritaire dans ces conditions ? Le paritarisme n’a-t-il pas du plomb dans l’aile ?

Le paritarisme est attaqué. On peut se demander si on est encore dans une logique de paritarisme. Si la négociation est très cadrée, si elle contient des éléments qui ne conviennent pas au gouvernement, il peut écarter cette convention. L’option choisie par le gouvernement n’est pas d’inciter les partenaires sociaux à être plus innovants, mais de les contraindre et les maintenir sous contrôle.

N’y a-t-il pas aujourd’hui une forme de modèle hybride, entre la gestion purement paritaire et une protection sociale entièrement à la main de l’État ?

On n’est pas sur un modèle complet. Il traduit le fait qu’il y a une mise sous contrôle du paritarisme, mais personne n’ose l’attaquer frontalement. À la place, on le laisse survivre mais on le vide de toute décision. Un exemple avec les conseils prudhommaux : on les a vidés de leur capacité à décider, avec le plafonnement des indemnités prudhommales. Un programme politique ambitieux serait de repenser le modèle français, en se demandant quelle est la place de la démocratie sociale. Dans son discours, le gouvernement prétend être attaché au paritarisme, mais n’a jamais dit quelle était sa place.

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