Les prochains mois s’annoncent moroses pour les 5,6 millions de fonctionnaires du pays, dans une période où le gouvernement demande 60 milliards d’euros d’effort budgétaire à l’ensemble des administrations publiques pour limiter le déficit à 5 % du PIB l’an prochain. Ce coup de frein sur la dépense publique n’épargnera pas la rémunération des fonctionnaires.
Élément central de leur traitement mensuel, la valeur du point d’indice devrait rester à son niveau du 1er juillet 2023, date à laquelle il avait été revalorisé de 1,5 %, après 3,5% en 2022, et plusieurs années de gel dans les années 2010. Le projet de loi de finances pour 2025 a été construit sur un point d’indice inchangé. Certes, la progression des prix a ralenti ces derniers mois, mais même à avec un taux d’inflation annuel de 1,2 % en septembre, dernier niveau mesuré par l’Insee, le gel du point d’indice marquera une baisse du pouvoir d’achat.
Une autre décision pourrait mettre un peu plus à mal leur niveau de vie. Le gouvernement n’a pas l’intention de reconduire la garantie individuelle de pouvoir d’achat (Gipa), et ce, pour la première fois depuis sa création en 2008, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Cette prime annuelle, versée automatiquement, permet de neutraliser une partie de leur perte de pouvoir d’achat, en couvrant l’écart entre l’évolution de leur rémunération et le rythme de l’inflation sur les quatre dernières années (+ 4,9 % en 2023, 5,2 % en 2022, 1,6 % en 2021 et 0,5 % en 2020). Selon une récente publication de l’Insee, le salaire net moyen a diminué de 1,4 % en 2022 dans l’ensemble de la fonction publique.
700 euros en moyenne par fonctionnaire d’État l’an dernier
L’an dernier, le coût du versement de la garantie individuelle du pouvoir d’achat pour les trois versants de la fonction publique était estimé à près de 267 millions d’euros, selon la fiche d’impact réalisée pour la publication de l’arrêté. Pour la fonction publique d’Etat, le nombre de bénéficiaires s’établissait à 201 317 agents, selon les données de paye de l’Etat, pour un budget total de 140,58 millions d’euros. Le budget était en forte progression par rapport à l’an dernier, deux fois et demi supérieur. En moyenne, les fonctionnaires d’Etat ont chacun touché près de 700 euros brut au titre de cette Gipa, un complément annuel très loin d’être négligeable.
Vendredi, dans son projet d’agenda social transmis aux organisations syndicales, le ministère de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique a listé, parmi la dizaine de points à traiter au cours des prochains mois, la « suppression de la Gipa ».
« L’agenda social qu’on a reçu indique une suppression de la Gipa. Est-ce que c’est soumis à discussion ? On a du mal à le comprendre. La manière dont c’est rédigé est particulièrement maladroite. On est fin octobre, on craint que ce ne soit pas mis en œuvre pour 2024 », réagit auprès de Public Sénat Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonction publique.
« Nous avions posé la question il y a deux semaines. Nous n’avons pas eu de réponse »
La surprise est d’autant plus grande pour les organisations syndicales que rien ne laissait présager ce type d’arbitrage. « Nous avions posé la question, quand on avait rencontré le ministre il y a deux semaines. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls. Nous n’avons pas eu de réponse. Notre crainte, c’est qu’elle passe par pertes et profits », ajoute la responsable de la CFDT Fonction publique.
Jusqu’au 11 octobre, les organisations syndicales étaient encore dans l’expectative, en raison du changement du gouvernement, puisque l’arrêté fixant le montant de la Gipa est généralement publié durant l’été. Le secrétaire général de l’Unsa, Luc Farré, avait par exemple écrit le 10 octobre au ministre pour lui demander de se pencher de façon « urgente » sur le sujet , afin d’éviter une « injustice salariale supplémentaire ». L’UFSE-CGT (Union Fédérale des Syndicats de l’Etat CGT) a, quant à elle, dénoncé dans un communiqué le choix de l’exécutif. « Irrecevable », s’est exclamé la centrale de Montreuil.
« On nous met devant le fait accompli. 2024 sera une année blanche en matière salariale, le gouvernement n’actionnera pas la mise en œuvre de cette garantie, qui nous est demandée sur le terrain. Cela a quand même été mis en œuvre par un gouvernement en 2008 plutôt de la même couleur que celui qu’on a aujourd’hui ! On se profile aussi sur 2025 comme année blanche. Il y a la hausse du Smic, mais c’est tout », s’inquiète Mylène Jacquot. « C’est un aussi un outil pour mesurer l’impact des mesures, or c’est toujours embêtant de casser le thermomètre. »
Les documents budgétaires laissent entendre que la décision est déjà prise. On comprend à la lecture des projets annuels de performances (PAP), annexés au projet de loi de finances, que le gouvernement a conçu le budget sans intégrer la Gipa. Dans ces « bleus budgétaires », il est fait mention d’une « non-reconduction de l’indemnité dite de garantie individuelle de pouvoir d’achat pour l’année 2025 ». Le ministère de la Fonction publique n’a pas répondu à notre sollicitation.
« Les agents publics ne doivent pas être les boucs émissaires de la dette »
Cette garantie individuelle de pouvoir d’achat n’est d’ailleurs par le seul élément d’inquiétude des syndicats. L’agenda social remet aussi sur la table le « projet de loi pour l’efficacité de la fonction publique », contre lequel les syndicats sont vent debout. Il avait été mis de côté avant les élections européennes de juin. Stanislas Guerini, qui avait supervisé la préparation du texte, entendait développer la rémunération au mérite et remettre en cause les catégories administratives (A, B et C) de la fonction publique.
Les syndicats ne cachent pas leurs craintes à propos du projet de loi de finances, qui prévoit 2 200 suppressions de postes (1 200 pour les ministères et 1 000 pour les opérateurs). Au total, l’État prévoit 21,5 milliards d’euros de réduction de dépenses dans son seul périmètre, et celui de ses opérateurs, dans le projet de loi initial. Bercy veut rajouter 5 milliards d’euros d’effort supplémentaire, au cours de la discussion parlementaire par voie d’amendements. « On ne sait pas où ça va tomber, c’est énorme proportionnellement », commente Mylène Jacquot.
« On a des attentes fortes sur plusieurs négociations, on veut avancer sur la qualité de vie au travail, sur l’attractivité de la fonction publique, sur des mesures d’accompagnement des agents publics. Là, je crains que l’on soit bien loin de ses enjeux là, à cause du contexte politique. On le redit, on ne souhaite pas que les agents publics soient les boucs émissaires de la dette », ajoute cette voix de la CFDT.