Retraites : les partenaires sociaux entament une négociation de trois mois, à l’issue incertaine

Syndicats et organisations patronales ont fixé le cadre général de leurs rencontres hebdomadaires pour aboutir, si cela est possible, à des solutions communes pour équilibrer le régime des retraites et corriger la dernière réforme de 2023. Le plus dur commence pour ce « conclave » voulu par Matignon.
Guillaume Jacquot

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En trois mois, ils vont devoir trouver les voies d’un compromis pour ramener à l’équilibre le système des retraites d’ici cinq ans, tout en trouvant des axes d’amélioration dans la réforme de 2023, promesse initiale de ce « conclave ». Voici la tâche difficile qui attend les partenaires sociaux au cours des prochaines semaines, maintenant que le diagnostic financier de la Cour des comptes sur le sujet est connu. La première réunion, ce 27 février, de cette « délégation paritaire permanente » voulue par François Bayrou, était uniquement consacrée à l’organisation des prochaines séances de travail. Une série de rendez-vous thématiques vont se succéder chaque semaine pour les organisations syndicales et les organisations patronales, avant d’aboutir à d’éventuelles solutions partagées fin mai, ce qui s’annonce complexe, en raison des divergences de départ.

Plusieurs sujets vont être passés en revue : le paramètre de l’âge, la question des retraites des femmes et de l’égalité professionnelle, les sujets relatifs à l’usure professionnelle et à la pénibilité, ce qui concerne les carrières longues et les départs anticipés, l’emploi des seniors, ou encore l’introduction d’une dose de retraite par capitalisation.

Une première journée marquée par le départ de Force ouvrière

La négociation, qui s’est ouverte en début d’après-midi dans des locaux des services du Premier ministre, a été marquée dès l’ouverture par le départ de Force ouvrière (relire notre article), qui avait affiché son scepticisme avant même la rencontre. Son négociateur Michel Beaugas a demandé à prendre la parole en premier et a fait savoir que son syndicat refusait de participer à une « mascarade ». « Ni le format, ni le périmètre, ni la méthode ne nous conviennent », a-t-il expliqué. Le courrier transmis aux partenaires sociaux par François Bayrou la veille, pour cadrer les débats, « a fini par nous convaincre de ne pas venir », a-t-il ajouté. Le Premier ministre a fixé un retour à l’équilibre du système de retraites à l’année 2030.

Le départ de l’un des cinq organisations représentatives pour les salariés (avec un poids de 17,6 %) fissure le front syndical dès l’ouverture du « conclave ». Plusieurs autres centrales ont dit « regretter » le départ de FO. L’ensemble des organisations toujours présentes autour de la table comptent pour le moment aller au terme de l’exercice. « On a été surpris par le départ de FO. On a bien l’intention de se battre contre cette réforme […] Pour l’instant, on a décidé dans nos instances qu’on aviserait au fur et à mesure des réunions », a réagi Denis Gravouil, négociateur pour la CGT.

« C’est forcément difficile, mais c’est loin d’être impossible », selon Yvan Ricordeau (CFDT)

« La CFDT fera tout pour relever le défi », a promis de son côté Yvan Ricordeau, pour la CFDT. Le syndicat réformiste estime que l’enjeu social est de « bouger sur les 64 ans », l’âge de départ fixé dans la dernière réforme, mais aussi d’obtenir des améliorations « dans la prise en compte de pénibilité » ou dans la situation des femmes. Le responsable juge qu’il faut aussi répondre à la « contrainte » des six milliards d’euros qui manquent en 2030. « C’est forcément difficile, mais c’est loin d’être impossible. C’est 6 milliards sur 350 milliards, avec un cocktail de mesures, la CFDT fera en sorte d’agir pour les trouver. »

La négociatrice de la CFE-CGC, Christelle Thieffain, a estimé que l’irruption de l’équilibre à l’horizon 2030, tel qu’il a été posé dans la lettre du Premier ministre, posait « question ». « Le sujet de démarrage c’était de nous mettre autour de la table et de trouver les moyens pour améliorer la réforme des retraites. C’était à équilibre constant », a-t-elle rappelé, promettant toutefois de prendre ses « responsabilités ».

« Je veux tout mettre sur la table. Si c’est une fin de non-recevoir, nous reviendrons devant les citoyens et nos adhérents », a prévu Pascale Coton (CFTC), accusant « le Medef et le Premier ministre » de ne « pas prendre [leurs] responsabilités ».

Le Medef promet d’être « vigilant » sur le retour à l’équilibre

Interrogés sur leur position, les représentants du patronat ont rappelé leur attachement à garantir l’équilibre budgétaire de la réforme. « Nous voyons mal comment la cible d’un retour à l’équilibre en 2030 pourrait être atteinte si l’on remet en cause la règle des 64 ans », a fait savoir ce matin dans les colonnes du Monde le président du Medef, « pessimiste sur l’issue des discussions ». « Nous arrivons dans un état constructif. Simplement, il faut avoir conscience du fait que la réforme Borne de 2023 a produit un certain nombre d’effets, on voit d’après le rapport de la Cour des comptes, que ces effets sont insuffisants pour être à l’équilibre », a défendu à la sortie de la réunion Diane Deperrois, pour l’organisation patronale. Le Medef a promis d’être « vigilant » sur l’atteinte de l’équilibre financier.

« Aujourd’hui, je trouve que ceux qui quittent la table prématurément ne sont pas à la hauteur des enjeux », a épinglé Éric Chevée pour la Confédération des PME (CPME). L’organisation veut étudier la possibilité de faire varier l’âge de départ en fonction de l’espérance de vie, mais aussi introduire un débat sur une introduction d’une part de retraite par capitalisation.

10,4 milliards d’euros, le coût d’un retour aux 62 ans

Les différents acteurs avaient également la possibilité de demander des éléments complémentaires aux chiffres figurant dans le rapport de la Cour des comptes. La CGT, qui réclamait un chiffrage d’un retour de l’âge de départ à 62 ans, a obtenu une première réponse : le coût tourne autour de 10,4 milliards d’euros. La centrale a également demandé à réactualiser le chiffre d’une étude de 2011, qui faisait état de 6 milliards d’euros de cotisations supplémentaires pour les régimes, si l’égalité hommes-femmes était atteinte pour les salaires.

Les syndicats et les organisations patronales devraient rentrer dans le dur dès le mois de mars. « Nous en sommes encore aux escarmouches », a estimé le négociateur de la CGT. « Le but du jeu, c’est de rapprocher les points de vue. Personne n’a encore commencé aujourd’hui […] La question, c’est en quoi on va être en capacité d’ouvrir des solutions dans les trois mois qui viennent », résume son homologue de la CFDT.

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