C’est une nouvelle étape qui s’inscrit dans un long cheminement. Avec l’explosion des livraisons pendant le confinement, les sénatrices et sénateurs communistes avaient déposé dès 2020 une proposition de loi pour protéger les travailleurs des plateformes type Uber (voir notre article). Fondant notamment leurs espoirs sur un arrêt de la Cour de cassation de mars 2020 qui avait requalifié l’activité d’un chauffeur Uber en contrat de travail, les communistes entendaient élargir cette protection à l’ensemble des travailleurs des plateformes.
Mais ce n’est pas à l’échelle nationale que la première victoire a été remportée. Au printemps 2024, les Vingt-Sept sont tombés d’accord sur un projet de directive européenne régulant le travail sur les plateformes, qui a ensuite été largement adopté au Parlement européen (par 554 voix contre 56). La mesure principale de cette directive est la présomption d’une relation de travail – et pas d’indépendance – entre les travailleurs et leur plateforme de rattachement qu’il revient à ces dernières de réfuter (voir notre article). Cette inversion de la charge de la preuve doit être transcrite au niveau national et il appartient donc au législateur français de définir la « réfutabilité » de cette présomption de salariat, et ainsi d’établir les critères permettant aux plateformes de prouver qu’une relation contractuelle avec un livreur Uber Eats, par exemple, ne constitue pas une relation de subordination qualifiant un contrat de travail.
Prix de la course : « On est à la limite de l’insolence »
C’est dans ce contexte que le groupe communiste a inscrit dans sa niche parlementaire du 19 février une proposition de résolution visant à appliquer cette directive européenne en droit français. « Le but est d’accélérer la transcription de la directive », explique Pascal Savoldelli, auteur de cette proposition de résolution ainsi que de la proposition de loi de 2020. Le sénateur communiste avait aussi été rapporteur en 2021 d’une mission d’information sur l’ubérisation de la société dont les conclusions avaient été adoptées à l’unanimité au Sénat et entend se baser sur ce travail pour obtenir une large majorité à la chambre haute. « Nous posons finalement la question de la cohérence du Sénat, ainsi que celle de sa capacité d’initiative », résume-t-il. « Cela pose aussi la question de la continuité entre des décisions prises au Parlement européen – où les équilibres politiques ne nous sont pas favorables, ça ne vous aura pas échappé – et au Sénat », ajoute la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman, qui poursuit : « La France a pris un engagement au niveau européen. C’est aussi une question démocratique qui se pose aux parlementaires du socle commun. »
L’exécutif dispose de deux ans pour transposer la directive européenne en droit national, soit une échéance en 2026. « Nous n’avons aucune nouvelle de l’exécutif, qui ne semble pas avoir l’intention d’accélérer le processus », regrette Pascal Savoldelli. Le sénateur communiste y voit un manque de volonté politique du gouvernement et du Président de la République, « pointé dans les révélations Uber Files » (voir notre article) sur un sujet d’une actualité sociale pourtant toujours brûlante. « Des premières négociations entre les plateformes et des représentants des travailleurs avaient abouti à une proposition d’une hausse de 10 centimes par course pour les livreurs Uber. J’étais dans une ‘dark kitchen’ à Ivry l’autre jour, la course pour Bagolet [environ 10 km, ndlr] était à 5,30 euros. C’est à la limite de l’insolence », relate le sénateur du Val-de-Marne. Le vote au Sénat aura lieu ce mercredi 19 février, alors qu’il reste un peu plus d’un an au gouvernement pour transposer la directive européenne.