Ce mercredi, Olivier Thibault, directeur général de l’Office français de la biodiversité (OFB) était auditionné par la commission du développement durable du Sénat, pour échanger avec les sénateurs sur le rapport rendu par la mission d’évaluation de la loi portant création de l’OFB. L’occasion d’évoquer, dans le contexte de la crise agricole, la question de l’armement des agents de cet établissement et l’application des normes environnementales.
Agriculture : face au « rouleau compresseur » de la FNSEA, les écologistes défendent leurs propositions
Par Romain David
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« On ne fera pas retomber la pression aussi longtemps que les engagements ne seront pas tenus ». Les syndicats d’agriculteurs surveillent comme le lait sur le feu les promesses formulées par le Premier ministre, Gabriel Attal, le 1er février pour faire retomber la grogne du monde paysan. « On continue à travailler avec le gouvernement pour que des annonces très concrètes, qui changent la vie dans nos exploitations, puissent être prises », expliquait ce jeudi, au micro de RTL, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, premier syndicat agricole. Le chef de l’Etat a « pris la mesure » de la crise, a estimé la Coordination rurale, deuxième syndicat du secteur, au sortir d’un entretien avec Emmanuel Macron mercredi soir. Depuis quelques jours, l’exécutif multiplie les rencontres avec les partenaires sociaux, manière de continuer à déminer le terrain une semaine avant l’ouverture du très médiatique Salon de l’Agriculture, qui pourrait rapidement tourner cette année à la confrontation entre agriculteurs et responsables politiques.
En face, les oppositions n’entendent pas laisser le gouvernement reprendre seul la main sur un dossier aussi sensible, qui risque fort de s’imposer comme l’une des principales thématiques de campagne pour les élections européennes de juin. « Elles seront l’occasion de démasquer les impostures. Alors nous verrons bien, parmi ceux qui prétendent soutenir les agriculteurs aujourd’hui, qui a voté une PAC en décalage complet avec les enjeux sociaux et environnementaux », tempête l’eurodéputé écologiste Benoît Biteau, lui-même céréalier et éleveur en Charente-Maritime. « Ce jour-là, il n’a pas manqué une seule voix dans les rangs macronistes ».
Les écologistes savent qu’ils jouent gros sur l’agriculture, entre d’un côté le défi que représente la nécessaire transition du système agro-alimentaire face au changement climatique, sujet sur lequel ils se veulent en pointe, et de l’autre le risque de la caricature, largement utilisée par leurs adversaires.
Les écolos face à la grogne des agriculteurs
« Au début de la crise, certains nous ont dit que ça allait être un moment difficile à passer pour les écologistes. Moi, je n’ai pas eu cette impression. Nous avons toujours eu de bonnes relations avec les agriculteurs, c’est avec le gouvernement que les choses sont compliquées », sourit Marine Tondelier, la secrétaire générale des Ecologistes-EELV. « Mes déplacements les plus fréquents, c’est pour aller visiter des fermes. En janvier, nous étions sur les barrages pour discuter avec tous les agriculteurs, y compris ceux qui ne sont pas d’accord avec nous. Nous savons quel modèle nous prônons, et nous savons aussi que nous allons avoir besoin de tout le monde pour y arriver ».
La députée de la Drôme Marie Pochon, fille de vigneron, rappelle que le premier candidat écologiste à une présidentielle, René Dumont, était agronome, engagé par rejet d’un système productiviste gourmand en produits phytosanitaires, et qu’il avait lui-même réprouvé. « Il nous faut reposer notre pacte social. On manque de débats sur les politiques agricoles et alimentaires dans ce pays, et pourtant les attentes citoyennes sont très fortes », explique l’élue en marge d’une conférence de presse organisée au siège du parti, dans le 10e arrondissement de Paris.
Une agriculture « à taille humaine »
Les écologistes y ont présenté un petit fascicule d’une trentaine de pages « pour une agriculture des gens et du vivant », qui liste l’essentiel de leurs propositions. Ils souhaitent mettre en place un « cadrage national » pour piloter et financer les installations d’agriculteurs, alors que la moitié des exploitants sera en âge de partir à la retraite d’ici une dizaine d’années. Ils réclament également une révision du plan stratégique national (PSN) qui gère la répartition des aides de la PAC, jugée trop favorable aux grosses exploitations, au détriment des plus modestes.
De manière générale, les écolos fustigent le système d’aide à l’hectare, colonne vertébrale de la PAC, qui selon eux pousse à l’agrandissement et à l’endettement. « C’est devenu manichéen. Vous avez des maraîchers qui ne touchent rien, et à côté, de gros céréaliers qui siphonnent l’essentiel des aides. Donner des milliers d’euros aux mêmes et rien aux autres, est-ce vraiment un levier du changement ? Aujourd’hui, quand vous traversez la vallée de la Marne, vous n’avez même plus un arbre pour vous pendre », soupire Benoît Biteau, qui souhaite que l’accès au foncier soit repensé au profit de projets « à taille humaine ».
Concernant l’épineuse question des salaires, les verts proposent d’expérimenter « un revenu de base paysan ». Ils militent également pour la création d’un « paiement pour services environnementaux », qui doit permettre de rétribuer les agriculteurs pour leurs pratiques vertueuses. Ils entendent aussi ouvrir la gouvernance des Chambres d’agriculture pour y intégrer les syndicats minoritaires, les collectifs citoyens mais aussi des représentants des ministères de la Santé et de l’Environnement.
Sur le volet de la formation, ils appellent au renforcement des volumes d’heures consacrés à l’agroécologie et à la culture biologique dans l’enseignement agricole. Enfin, sur un plan plus international, les écologistes veulent sortir des accords de libre-échange et interdire toutes les importations de produits alimentaires qui ne respecteraient pas l’ensemble des directives sanitaires, sociales et environnementales de l’Union européenne.
Certaines de ces mesures, notamment sur l’alimentation, sont déjà déclinées au niveau local depuis plusieurs années, au sein des collectivités passées aux mains des écolos. Le parti se félicite « d’un excellent bilan » dans la banlieue lyonnaise et à Nantes, où les verts siègent dans la majorité municipale. « De l’échelon communal à l’Union européenne, nous portons, en cohérence, les mêmes propositions », insiste la députée Marie Pochon.
« Le gouvernement veut tout réarmer, mais pour l’instant, c’est l’écologie qui s’est pris une balle »
À la fois « texte de cadrage et feuille de route », ces différentes propositions doivent servir de base au travail d’amendement du projet de loi d’orientation et d’avenir agricole (LOA), promis par Emmanuel Macron en septembre 2022, rebaptisé entretemps « loi d’orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture », et qui continue à se faire attendre. Une première mouture a été présentée en décembre, axée sur les transmissions d’exploitations et l’enseignement agricole. Mais après le mouvement de janvier, le gouvernement a promis d’y joindre un volet consacré à la simplification, ce qui devrait repousser la présentation du projet de loi en Conseil des ministres de plusieurs semaines. « C’est devenu un texte essentiellement pédagogique. Le ministère continue de travailler dessus mais a priori, sur le pôle climatique, ce sera une fuite en avant », déplore Marie Pochon.
« Le gouvernement veut tout réarmer, mais pour l’instant, c’est l’écologie qui s’est pris une balle », cingle Marine Tondelier. Les verts estiment que les annonces faites par Gabriel Attal ne répondent pas à la diversité des situations. La secrétaire nationale des écologistes considère la mise en pause du plan Ecophyto comme un drame pour les apiculteurs à l’heure où les populations d’abeilles s’effondrent. Elle y voit le symptôme d’une déconnexion entre la toute-puissante FNSEA, interlocutrice privilégiée du gouvernement, et une partie de sa base, ce qui ouvrirait un espace d’expression pour les propositions écologistes. « La FNSEA n’est pas monolithique, il existe des divergences d’une région à l’autre », soutient Marine Tondelier.
« Un malaise grandissant » du côté de la FNSEA
« La hausse de la taxe sur le gazole non routier (GNR), qui a mis le feu aux poudres, avait été topée à Bercy par la direction du syndicat. C’est Gabriel Attal qui me l’a dit. En échange, les 70 millions d’euros dégagés auraient dû bénéficier aux agriculteurs, mais auxquels ? Lorsque l’a FNSEA est revenue vers sa base pour leur expliquer, elle a été incapable de faire accepter cette mesure », explique encore Marine Tondelier. « Les agriculteurs ne le diront pas à la télé, car ils voient bien que le rouleau compresseur de la FNSEA leur permet, à l’arrivée, d’obtenir quelques trucs, mais il y a un malaise grandissant. Ils défendent leurs revenus, car ils sont dans l’urgence, mais ils ont bien conscience que ce modèle les envoie dans le mur ».
« Les annonces profiteront surtout aux exploitants des grandes plaines céréalières du bassin parisien, elles ne répondent pas aux préoccupations des plus petits, qui ont pourtant été les premiers à se mobiliser. Mais on a bien vu qui était à la manœuvre », abonde l’eurodéputé Benoît Biteau. Une manière de cibler Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, également président du conseil d’administration d’Avril, un géant de l’agroalimentaire spécialisé dans les huiles.
Dépasser les clivages politiques
« Nous n’avons pas que des amis chez les agriculteurs et les syndicats, il faut le reconnaître. Mais nous ne sommes plus prisonniers d’une vision caricaturale », explique le sénateur écologiste Daniel Salmon. Pourtant, si les écologistes estiment que leurs idées progressent sur le terrain, et notamment dans le monde rural, leur poids dans l’arène politique réduit grandement leur marge de manœuvre.
La droite sénatoriale, qui domine au Sénat, a réussi à faire adopter en mai dernier une proposition de loi fleuve « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France ». Ce scénario reste inimaginable pour les verts qui ne comptent qu’une petite quarantaine de parlementaires : « Comment voulez-vous discuter d’un texte de 25 articles avec deux niches de quatre heures par an ? », soupire Daniel Salmon. Pas d’autre choix donc qu’une stratégie des petits pas : Marie Pochon annonce ainsi le dépôt d’une proposition de loi « visant à instaurer des prix minimums d’achat des produits agricoles ». Un texte similaire est également défendu par les insoumis. « Ce que nous proposons est partagé en très grande partie par nos alliés de gauche », souligne la députée.
Du côté du Sénat, Daniel Salmon espère une issue favorable pour sa proposition de loi sur « la préservation et la reconquête de la haie ». Le soutien des socialistes et des communistes lui semble acquis, et il espère encore glaner suffisamment de voix du côté de la droite et du centre. « Les propositions de loi courtes, centrées, ont l’avantage de mettre en lumière des problèmes particuliers. Mais elles peuvent aussi nous permettre, sur un certain nombre d’éléments, de construire des textes partisans. »
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