La sortie progressive du bouclier tarifaire sur l’électricité s’annonce douloureuse pour les ménages, dont les factures ont déjà augmenté de 32 % depuis février 2022. Ce dimanche, Bruno Le Maire a confirmé sur TF1 que le prix de l’électricité augmenterait d’un peu moins de 10 % pour les abonnés au 1er février. Le tarif de base, plus connu sous son appellation de « tarif bleu » chez EDF, va être relevé de 8,6 %. Quant aux tarifs heures pleins et heures creuses, l’augmentation sera de 9,8 %, a détaillé le ministre de l’Économie et des Finances.
L’évolution des prix sur les marchés financiers aurait dû se traduire par une stabilité des prix réglementés, selon les calculs de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui se base sur les prix de gros des deux dernières années. La hausse des factures le mois prochain est la conséquence de la remontée d’une taxe sur l’électricité, abaissée au minimum fin 2021 pour amortir la flambée des prix de l’énergie. La taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TIFCE) va ainsi remonter en février de 1 à 21 euros par mégawattheure, comme l’autorise la loi de finances pour 2024.
Le rétablissement de cette assise au montant d’avant crise (soit 32,44 euros) se fera en deux temps. Bruno Le Maire annonce que le reste du chemin interviendra au 1er février 2025. Le rattrapage de 2024 permettra à l’État de récupérer six milliards d’euros de recettes, dans un contexte où Bercy s’est donné pour objectif de réduire le déficit public. Et même dix milliards, dans l’optique d’un rétablissement de la fiscalité à son niveau d’avant-crise. L’effet sur le budget des ménages sera bien réel pour les logements les plus exposés. Dans le cas d’une petite maison de quatre pièces chauffée à l’électricité, le surcoût annuel sera de l’ordre de 200 euros.
Une logique « budgétaire »
Mais il n’y a pas seulement des implications au niveau du pouvoir d’achat. Cette normalisation fiscale, après une année déjà salée, vient percuter la stratégie de transition énergétique du pays, relèvent plusieurs spécialistes, l’électricité française étant en grande partie décarbonée. « La logique est uniquement budgétaire et pas énergétique. C’est un raisonnement extrêmement court-termiste. Ce qui a coûté cher pendant la crise énergétique, ce sont les énergies fossiles, qui ont creusé la balance commerciale », relève Nicolas Goldberg, analyste des questions énergétiques au sein du cabinet Colombus consulting.
« Cela pose des questions sur la transition énergétique que l’on souhaite conduire. Ce n’est un bon signal envoyé aujourd’hui que d’augmenter l’électricité par les taxes. Ce n’est pas la même chose quand il y a des tensions conjoncturelles. Là, le caractère de la hausse est beaucoup plus durable, à un moment où on cherche à tourner les ménages vers les véhicules électriques ou les pompes à chaleur », explique Boris Solier, enseignant-chercheur en économie et responsable du master économie de l’énergie à l’université de Montpellier.
L’électricité plus taxée que le gaz
En termes de signal-prix, plusieurs observateurs du secteur ne manquent pas de relever une donnée marquante : le mois prochain, l’électricité sera désormais plus taxée le gaz. À 21 euros par mégawattheure, comme sera le cas au 1er février, la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TIFCE) sera supérieure à l’accise sur les gaz naturels à usage combustible (ex-TICGN), rehaussée à 16,37 euros en janvier. Celle-ci était à 8 euros jusqu’en décembre 2023 : « Une telle différence de fiscalité entre l’électricité et le gaz n’est pas cohérente au regard de nos objectifs climatiques », concédait d’ailleurs le ministre chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, devant le Sénat en novembre dernier.
« On sait qu’il faut accélérer très sérieusement sur l’électrification des usages. On passe un message qui est contraire : taxer moins le vecteur dont voulez baisser la consommation », observe le consultant Nicolas Goldberg, par ailleurs responsable énergie au laboratoire d’idées Terra Nova.
Autre conséquence du relèvement de l’accise sur l’électricité, qui est un montant fixe s’appliquant sur une quantité consommée, et non un prix : les contrats favorables aux consommations faibles en période de grand froid seront, en proportion, plus pénalisés. C’est le cas par exemple des 400 000 abonnés à l’option EDF « Tempo ». Bénéficiant d’un tarif plus avantageux la plupart de l’année, ces derniers sont incités en contrepartie à réduire fortement leur consommation en cas de pic, les jours de grand froid notamment.
Du fait de prix plus bas en moyenne sur l’année, la hausse de l’accise sera donc plus lourde en proportion pour ces abonnés, de 10,1 %. Or, « l’effacement » de leur consommation pendant ces périodes tendues pour le réseau électrique permet dans certains cas d’éviter le recours à une petite centrale thermique à gaz en appui, explique sur X (Twitter) Julien Gorintin, un spécialiste des données et des marchés de l’énergie. Même si la hausse reste proche de celle du tarif de base, « on va amoindrir les avantages de ces contrats, on désincite à adopter ces comportements vertueux », souligne Boris Solier.
Mur d’investissements énergétiques
Au-delà de sa volonté de mettre un terme au « quoiqu’il en coûte », le gouvernement évoque les investissements à venir. « C’est une décision difficile, mais c’est une décision qui est nécessaire pour garantir notre capacité d’investissement dans de nouvelles capacités de production électrique et puis pour sortir définitivement du quoi qu’il en coûte », justifiait hier Bruno Le Maire. Le chantier de six réacteurs nucléaires de type EPR va par exemple coûter près de 50 milliards d’euros.
L’un des autres enjeux pour l’État va être également d’anticiper les conséquences de l’érosion de la fiscalité tirée des énergies fossiles, notamment des carburants. Un rapport de la Direction générale du Trésor, paru en décembre, estimait à 13 milliards d’euros le manque à gagner sur la fiscalité des carburants dans les années à venir, et même 30 milliards d’euros à horizon 2050.
Les questions autour de la fiscalité sur l’électricité pourraient trouver des réponses au sein de la commission d’enquête du Sénat sur le prix de l’électricité, tout juste installée. « Quel est le niveau normal de taxe ? Cela fait partie des sujets de notre commission », confirmait son rapporteur Vincent Delahaye (Union centriste), sur notre antenne le 19 janvier.