Epandage agricole

Autorisation du glyphosate : « La France était en position charnière et n’a pas pris ses responsabilités », estime le sénateur écolo Daniel Salmon

Le 16 novembre, la Commission européenne a renouvelé l’autorisation de l’utilisation du glyphosate pour 10 ans. À deux reprises, les États membres de l’Union européenne n’ont pas réussi à trouver un accord sur le sujet. De son côté, la France s’est abstenue, une position critiquée au Sénat, aussi bien par les défenseurs que par les opposants au pesticide controversé.
Rose Amélie Becel

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Fin du suspense. Jeudi 16 novembre, l’utilisation du glyphosate a été de nouveau autorisée pour 10 ans dans l’Union européenne. Une décision conforme aux plans de la Commission, qui avait formulé cette même proposition aux États membres le 20 septembre dernier. Le 13 octobre, les 27 étaient déjà invités à se prononcer sur cette ré-autorisation, mais l’abstention de plusieurs pays – dont la France – n’a pas permis de trouver une majorité.

La décision d’aujourd’hui a donc été prise en deux temps. D’abord, les 27 États membres étaient de nouveau invités à la table des négociations ce matin, mais ne sont toujours pas parvenus à un accord. Quelques heures plus tard, dans un communiqué, la Commission européenne – à qui revenait la décision finale faute d’accord – a donc annoncé qu’elle adoptait sa proposition formulée en septembre.

L’usage du glyphosate, herbicide le plus vendu en France, reste controversé. La décision de la Commission se fonde sur l’expertise de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a rendu un avis favorable sur le glyphosate en juillet dernier, estimant que la molécule ne présentait pas de « domaine critique de préoccupation ». Pourtant, d’autres organismes de recherche ont établi de leur côté la dangerosité de l’herbicide. La responsabilité de Bayer-Monsanto, qui commercialise la majorité des produits à base de glyphosate, a d’ailleurs déjà été reconnue dans les maladies de plusieurs agriculteurs.

Maintenir le glyphosate lorsqu’il n’y a pas « d’alternative crédible »

Pour le sénateur écologiste Daniel Salmon, la décision de la Commission acte un dramatique recul. « Combien faudra-t-il d’enfants nés avec des malformations, d’agriculteurs malades, pour qu’on se décide enfin à interdire le glyphosate ? », tonne l’élu breton. La veille, lors des questions d’actualité au gouvernement, il avait interpellé le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau à ce sujet. « Il y a des principes de réalité qui s’imposent, il y a des usages pour lesquels nous sommes aujourd’hui dans une impasse. Je pense à l’agriculture de conservation des sols, pour laquelle il n’y a pas d’alternative crédible [au glyphosate] », avait répondu le ministre pour défendre la persistance de l’usage de l’herbicide dans certains secteurs.

C’est pour cette même raison que le sénateur Pierre Médevielle (Les Indépendants) s’oppose à l’interdiction du glyphosate : « Nous avons déjà limité son usage, mais on ne peut pas vider complètement la trousse à pharmacie, il y aura toujours des ravageurs desquels il faudra se protéger ». Au-delà de l’absence d’alternatives, l’élu juge que le maintien du pesticide est nécessaire pour des raisons de souveraineté alimentaire. « Quand on voit les prévisions démographiques mondiales et le réchauffement climatique, on sait que les endroits propices à l’agriculture vont se raréfier alors que la population mondiale va croître. Notre agriculture doit redevenir exportatrice », estime Pierre Médevielle.

De son côté, Daniel Salmon balaye l’argument de la compétitivité de l’agriculture française : « Qu’est-ce que ça veut dire être compétitif ? Qui paye pour les externalités négatives du glyphosate ? Cette idée de la compétitivité est fabriquée par un marché néolibéral dans lequel on met en concurrence les agriculteurs du monde entier, pour aller aux coûts de production les plus faibles sans considérer les pollutions et la santé ».

Un « totem politique »

Pour les défenseurs de l’utilisation du glyphosate, l’interdiction du pesticide reste pour le moment injustifiée. « Le dogme environnementaliste nous emmène vers une réduction des pesticides par la suppression de molécules, mais pour réduire le volume de pesticides utilisés il faut utiliser des solutions techniques, grâce au progrès du matériel agricole », défend le sénateur LR Laurent Duplomb.

« C’est une molécule qui a été prise pour cible, par le président lui-même lorsqu’il proposait son interdiction en 2017, c’est un totem politique », constate de son côté la sénatrice LR Sophie Primas. « On a besoin de rationalité dans ce débat. Je trouve la position du ministre Fesneau intéressante, il dit : pas d’interdiction sans solution. On ne peut pas mettre en péril notre capacité de production sans alternative », ajoute l’élue.

Si Emmanuel Macron avait annoncé son souhait d’interdire la substance sous trois ans lors de son premier mandat, la position du gouvernement sur le sujet a bien évolué. Désormais, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau assume une sorte d’entre-deux. « La France n’est pas contre le principe de renouvellement de la molécule, mais veut réduire rapidement son usage et encadrer son utilisation, pour en limiter les impacts, et le remplacer par d’autres solutions chaque fois que c’est possible », a fait savoir le ministre suite à la décision de la Commission.

La France « n’a pas pris ses responsabilités »

Mais si la France ne s’oppose pas par principe au renouvellement du glyphosate, pourquoi s’est-elle abstenue de voter en faveur de la proposition de la Commission européenne, une première fois le 13 octobre et une seconde fois ce 16 novembre ? « Quand on s’abstient alors qu’on est en position de faire basculer un vote dans un sens ou dans l’autre, cela veut dire qu’on cautionne. La France était en position charnière et n’a pas pris ses responsabilités », analyse Daniel Salmon.

Sophie Primas est également insatisfaite de la position de la France sur ce sujet. « Ce qui me désole, c’est que c’est la Commission européenne qui a pris cette décision à la place des Etats, car ils n’ont pas eu le courage de la prendre eux-mêmes. Au fond, les Etats abstentionnistes sont favorables au maintien du glyphosate, mais n’osent pas le dire », fustige la sénatrice.

Selon des sources diplomatiques citées par l’AFP, sept Etats se sont abstenus lors du vote précédant la ré-autorisation ce 16 novembre. Aux côtés de la France, on retrouve notamment l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas. Au contraire, le Luxembourg, l’Autriche et la Croatie sont les trois seuls Etats qui se sont opposés au renouvellement du glyphosate.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route, on fausse toutes les références, on  va constater une baisse significative qui ne correspond pas à la réalité » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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