Sete: Bruno Le Maire visits the company Saipol for a green industry bill.

Biocarburants : face à une « transition désordonnée », le Sénat souhaite faire figure d’aiguillon

À l’heure où la transition énergétique en France doit s’accélérer, la mission d’information du Sénat sur les carburants durables et l’hydrogène vert formule 27 recommandations pour simplifier le nœud réglementaire.
Thomas Fraisse

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

« L’urgence de choisir ». Le titre du rapport de la mission d’information sénatoriale relative aux carburants durables et à l’hydrogène vert place l’importance d’une décarbonation impérative du monde des transports. Aujourd’hui, en France, le secteur représente 30 % des émissions de CO2, soit 126 millions de tonnes par an de polluants libérées dans l’atmosphère, ce qui en fait le premier secteur contributeur en termes d’émissions. Dans le secteur des transports, 94,9 % des polluants sont émis par le mode routier. « Décarboner le secteur des transports est un enjeu majeur pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 et de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 que se sont fixée la France et l’Union européenne », estime donc le sénateur centriste de Seine-Saint-Denis Vincent Capo-Canellas, rapporteur de la mission d’information. Il poursuit : « Les solutions pour décarboner les carburants sont multiples. La France dispose indéniablement de nombreux atouts, en termes de mix énergétique décarboné ».

La France est en train de développer d’autres types de carburants pour décarboner ses secteurs, notamment celui des transports. Le rapport évoque pêle-mêle les biocarburants, qui sont des carburants issus de la biomasse, les carburants synthétiques obtenus par mélange d’hydrogène avec du dioxyde de carbone ou de l’azote, l’hydrogène vert sans oublier l’électricité. Toutefois, de nombreuses réglementations de l’échelle locale à européenne complexifient le paysage énergétique. Face à ce constat, comme le révèle le rapport, les secteurs français relatifs à chaque mode de transport se sont dotés d’une feuille de route spécifique. Par exemple, l’automobile légère ainsi que le transport touristique fluvial se doteront majoritairement de moteurs électriques tandis que le transport ferroviaire régional, encore prédominé par le diesel, devrait privilégier l’hydrogène vert. En ce qui concerne les transports maritimes, les biocarburants pourraient devenir incontournables temporairement pour « assurer une transition entre l’énergie fossile et les e-carburants, qui devraient se développer à partir de 2030 ». Enfin, pour le secteur aéronautique, les annonces autour de l’électricité ou de l’hydrogène se multiplient, notamment lors du salon du Bourget en juin dernier. Pour le rapporteur Vincent Capo-Canellas, seuls les carburants durables seront efficaces. « L’électrification et l’hydrogène peuvent répondre à certains besoins mais, en l’état des capacités technologiques, ne peuvent apparaître comme des solutions de court terme pour les longs courriers, qui représentent l’essentiel des émissions ».

Pour se repérer dans le labyrinthe réglementaire de la « transition désordonnée » de décarbonation des transports, Vincent Capo-Canellas et la mission d’information se basent sur un triptyque : impulser, accompagner, simplifier. « Nous voulons être des aiguillons utiles », avance le sénateur. Si le rapport n’a pas encore la vocation à être traduit en proposition de loi, le sénateur espère qu’il puisse peser sur le projet de loi quinquennale sur l’énergie et le climat, qui entrera en débat au deuxième semestre et qui déterminera les futures programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) et stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour les cinq prochaines années.

Proposer un cadre économique clair

Le rapport propose d’éclaircir ce casse-tête des biocarburants, d’abord à l’échelle économique. Le sénateur centriste, déjà rapporteur de nombreux textes sur les mobilités durables, souhaite concentrer les forces financières françaises vers un objectif précis : « Le lancement des filières afin de créer des secteurs matures ». Ainsi, pour soutenir les filières énergétiques françaises, le rapporteur Vincent Capo-Canellas préconise de verser des fonds lors de la création des filières afin de les consolider avant même leur développement. Ensuite, lors des discussions sur le projet de loi de finances pour 2024, le sénateur centriste souhaite inclure un cadre global de financements sans non plus débattre à propos des taxations et débloquer des fonds de recherches pour chaque secteur énergétique. Enfin, le rapport mise sur une formation accrue pour attirer de jeunes talents dans les secteurs des transports et de l’énergie, car « la décarbonation n’est pas uniquement une contrainte, c’est aussi une opportunité en matière d’emplois ».

Ce cadre économique en France permettra par la suite de répondre à deux objectifs fondamentaux pour la France : la souveraineté industrielle et la résistance à la concurrence internationale. En investissant dès le lancement des filières, la France pourrait ainsi réduire les coûts de production d’une énergie décarbonée et donc devenir attractive, au moins à l’échelle européenne. « La concurrence mondiale est vive », soulève le sénateur centriste. « Aujourd’hui, les compagnies ont un intérêt à se fournir à l’étranger. On pourrait être cynique en disant, l’essentiel c’est qu’elles trouvent des biocarburants. Ce n’est pas l’objectif ». L’idée est donc de relocaliser une production grâce à des investissements massifs et des aides suffisantes.

Par ailleurs, le rapport pointe du doigt la nécessité pour l’Union européenne de revoir ses objectifs, ses normes et le respect strict de ceux-ci pour que « les entreprises européennes ne soient plus pénalisées ». Par exemple, Vincent Capo-Canellas souhaite miser sur les biocarburants de première génération, c’est-à-dire issus de cultures également utilisées par l’alimentation, alors que l’Europe limite leur utilisation à 7 % du mix énergétique du secteur des transports, de peur des conséquences négatives sur l’environnement. L’Union européenne souhaite miser sur les biocarburants de seconde génération, issus des résidus de paille ou de bois, que le sénateur juge « peu matures ».

Inclure les collectivités et les concitoyens

« Il y a des initiatives locales qui marchent. On gagnerait à s’en inspirer », note Vincent Capo-Canellas. « À la fois dans les territoires et dans les start-ups, il y a des procédés qui font que l’on réfléchisse différemment. Il y a beaucoup d’initiatives locales. Il faut qu’il y ait une vision nationale pour relier ces initiatives pour voir comment elles peuvent être mieux soutenues tout en laissant la clé aux collectivités territoriales ». Pour les sénateurs de la mission d’information, la transition énergétique se fera en priorité grâce aux prises d’initiatives aux plus petites échelles locales. En ce sens, l’État devrait soutenir ces idées territoriales faisant le pont entre elles grâce à une planification préétablie, qui ne serait pas contraignante. Par ailleurs, le rapporteur mise également sur des discussions entre État et collectivités en ce qui concerne la mobilisation de la biomasse afin de s’assurer de sa disponibilité pour l’usage énergétique.

De même, l’acceptabilité sociale de la transition énergétique est un facteur important pour s’investir pleinement dans celle-ci. Ainsi, le rapport pointe la nécessité de mener une réflexion autour des risques d’augmentation des prix des carburants, résultant de facto d’innovations de production plus coûteuses que pour les énergies fossiles. Pour le sénateur Vincent Capo-Canellas : « Nous ne devons pas laisser de côté nos concitoyens, qui doivent être pleinement accompagnés pour cette transition, qui peut s’avérer contraignante d’un point de vue financier ».

Dans la même thématique

Biocarburants : face à une « transition désordonnée », le Sénat souhaite faire figure d’aiguillon
4min

Environnement

« BNP Paribas ne finance pas la production d’hydrocarbures » : assignée en justice pour sa contribution au changement climatique, la banque se défend au Sénat

En février 2023, plusieurs ONG ont attaqué BNP Paribas en justice pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique. En cause : ses investissements dans l’industrie pétro-gazière. Auditionné dans le cadre de la commission d’enquête sur TotalEnergies, le directeur général de la banque répond à ces accusations.

Le

Tractor spray fertilise field pesticide chemical
8min

Environnement

Nouveau Plan Ecophyto : au Sénat, la droite applaudit et les écologistes dénoncent un « grand recul »

C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route, on fausse toutes les références, on  va constater une baisse significative qui ne correspond pas à la réalité » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

Le

Biocarburants : face à une « transition désordonnée », le Sénat souhaite faire figure d’aiguillon
5min

Environnement

Environnement : le Portugal, paradis des énergies vertes ?

En 2023, la production d’énergies renouvelables a atteint un record historique au Portugal. Bénéficiant des vents de l’Atlantique, le pays s’appuie sur l’énergie éolienne, et fait le pari de l’innovation. Reportage.

Le