« L’urgence de choisir ». Le titre du rapport de la mission d’information sénatoriale relative aux carburants durables et à l’hydrogène vert place l’importance d’une décarbonation impérative du monde des transports. Aujourd’hui, en France, le secteur représente 30 % des émissions de CO2, soit 126 millions de tonnes par an de polluants libérées dans l’atmosphère, ce qui en fait le premier secteur contributeur en termes d’émissions. Dans le secteur des transports, 94,9 % des polluants sont émis par le mode routier. « Décarboner le secteur des transports est un enjeu majeur pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 et de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 que se sont fixée la France et l’Union européenne », estime donc le sénateur centriste de Seine-Saint-Denis Vincent Capo-Canellas, rapporteur de la mission d’information. Il poursuit : « Les solutions pour décarboner les carburants sont multiples. La France dispose indéniablement de nombreux atouts, en termes de mix énergétique décarboné ».
La France est en train de développer d’autres types de carburants pour décarboner ses secteurs, notamment celui des transports. Le rapport évoque pêle-mêle les biocarburants, qui sont des carburants issus de la biomasse, les carburants synthétiques obtenus par mélange d’hydrogène avec du dioxyde de carbone ou de l’azote, l’hydrogène vert sans oublier l’électricité. Toutefois, de nombreuses réglementations de l’échelle locale à européenne complexifient le paysage énergétique. Face à ce constat, comme le révèle le rapport, les secteurs français relatifs à chaque mode de transport se sont dotés d’une feuille de route spécifique. Par exemple, l’automobile légère ainsi que le transport touristique fluvial se doteront majoritairement de moteurs électriques tandis que le transport ferroviaire régional, encore prédominé par le diesel, devrait privilégier l’hydrogène vert. En ce qui concerne les transports maritimes, les biocarburants pourraient devenir incontournables temporairement pour « assurer une transition entre l’énergie fossile et les e-carburants, qui devraient se développer à partir de 2030 ». Enfin, pour le secteur aéronautique, les annonces autour de l’électricité ou de l’hydrogène se multiplient, notamment lors du salon du Bourget en juin dernier. Pour le rapporteur Vincent Capo-Canellas, seuls les carburants durables seront efficaces. « L’électrification et l’hydrogène peuvent répondre à certains besoins mais, en l’état des capacités technologiques, ne peuvent apparaître comme des solutions de court terme pour les longs courriers, qui représentent l’essentiel des émissions ».
Pour se repérer dans le labyrinthe réglementaire de la « transition désordonnée » de décarbonation des transports, Vincent Capo-Canellas et la mission d’information se basent sur un triptyque : impulser, accompagner, simplifier. « Nous voulons être des aiguillons utiles », avance le sénateur. Si le rapport n’a pas encore la vocation à être traduit en proposition de loi, le sénateur espère qu’il puisse peser sur le projet de loi quinquennale sur l’énergie et le climat, qui entrera en débat au deuxième semestre et qui déterminera les futures programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) et stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour les cinq prochaines années.
Proposer un cadre économique clair
Le rapport propose d’éclaircir ce casse-tête des biocarburants, d’abord à l’échelle économique. Le sénateur centriste, déjà rapporteur de nombreux textes sur les mobilités durables, souhaite concentrer les forces financières françaises vers un objectif précis : « Le lancement des filières afin de créer des secteurs matures ». Ainsi, pour soutenir les filières énergétiques françaises, le rapporteur Vincent Capo-Canellas préconise de verser des fonds lors de la création des filières afin de les consolider avant même leur développement. Ensuite, lors des discussions sur le projet de loi de finances pour 2024, le sénateur centriste souhaite inclure un cadre global de financements sans non plus débattre à propos des taxations et débloquer des fonds de recherches pour chaque secteur énergétique. Enfin, le rapport mise sur une formation accrue pour attirer de jeunes talents dans les secteurs des transports et de l’énergie, car « la décarbonation n’est pas uniquement une contrainte, c’est aussi une opportunité en matière d’emplois ».
Ce cadre économique en France permettra par la suite de répondre à deux objectifs fondamentaux pour la France : la souveraineté industrielle et la résistance à la concurrence internationale. En investissant dès le lancement des filières, la France pourrait ainsi réduire les coûts de production d’une énergie décarbonée et donc devenir attractive, au moins à l’échelle européenne. « La concurrence mondiale est vive », soulève le sénateur centriste. « Aujourd’hui, les compagnies ont un intérêt à se fournir à l’étranger. On pourrait être cynique en disant, l’essentiel c’est qu’elles trouvent des biocarburants. Ce n’est pas l’objectif ». L’idée est donc de relocaliser une production grâce à des investissements massifs et des aides suffisantes.
Par ailleurs, le rapport pointe du doigt la nécessité pour l’Union européenne de revoir ses objectifs, ses normes et le respect strict de ceux-ci pour que « les entreprises européennes ne soient plus pénalisées ». Par exemple, Vincent Capo-Canellas souhaite miser sur les biocarburants de première génération, c’est-à-dire issus de cultures également utilisées par l’alimentation, alors que l’Europe limite leur utilisation à 7 % du mix énergétique du secteur des transports, de peur des conséquences négatives sur l’environnement. L’Union européenne souhaite miser sur les biocarburants de seconde génération, issus des résidus de paille ou de bois, que le sénateur juge « peu matures ».
Inclure les collectivités et les concitoyens
« Il y a des initiatives locales qui marchent. On gagnerait à s’en inspirer », note Vincent Capo-Canellas. « À la fois dans les territoires et dans les start-ups, il y a des procédés qui font que l’on réfléchisse différemment. Il y a beaucoup d’initiatives locales. Il faut qu’il y ait une vision nationale pour relier ces initiatives pour voir comment elles peuvent être mieux soutenues tout en laissant la clé aux collectivités territoriales ». Pour les sénateurs de la mission d’information, la transition énergétique se fera en priorité grâce aux prises d’initiatives aux plus petites échelles locales. En ce sens, l’État devrait soutenir ces idées territoriales faisant le pont entre elles grâce à une planification préétablie, qui ne serait pas contraignante. Par ailleurs, le rapporteur mise également sur des discussions entre État et collectivités en ce qui concerne la mobilisation de la biomasse afin de s’assurer de sa disponibilité pour l’usage énergétique.
De même, l’acceptabilité sociale de la transition énergétique est un facteur important pour s’investir pleinement dans celle-ci. Ainsi, le rapport pointe la nécessité de mener une réflexion autour des risques d’augmentation des prix des carburants, résultant de facto d’innovations de production plus coûteuses que pour les énergies fossiles. Pour le sénateur Vincent Capo-Canellas : « Nous ne devons pas laisser de côté nos concitoyens, qui doivent être pleinement accompagnés pour cette transition, qui peut s’avérer contraignante d’un point de vue financier ».