Paris TotalEnergies: scuffles between police and demonstrators

Blocage de l’AG de Total : « Le but, c’est de choquer volontairement et de faire changer les mentalités »

C’est tôt ce vendredi matin que des militants d’Alternatiba, des Amis de la Terre, d’ANV-COP21, d’Attac, de Greenpeace, de Scientifiques en rébellion et d’Extinction Rébellion ont tenté de bloquer l’Assemblée générale de Total, prévue à 10 heures salle Pleyel à Paris. Assis par terre pour empêcher les actionnaires d’accéder au bâtiment, ils ont été évacués par les forces de l’ordre, non sans grenades lacrymogènes. L’assemblée générale a bien eu lieu à l’heure prévue, mais les images ont enflammé les réseaux sociaux. Qui sont ces militants, quel est leur objectif avec ces actions ? Gauthier Simon, doctorant et enseignant en science politique à l’institut de recherche Montesquieu (Université de Bordeaux) répond aux questions de Public Sénat pour y voir plus clair.
Mathilde Nutarelli

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Peut-on parler de mouvement climat ?

Le terme de mouvement climat est un peu difficile à utiliser. Il l’est depuis les marches pour le climat fin 2018 et en 2019, surtout en Belgique et en France. Je ne l’utilise pas dans mes travaux, parce que c’est un terme un peu fourre-tout, on peut aussi dire un « signifiant flottant », il faut le compléter. Si on ne le fait pas, cela nous empêche de voir toute la diversité des pratiques.

Les activistes qui ont bloqué l’AG de Total ce matin s’inscrivent dans une forme de radicalisation du mouvement climat depuis la fin de 2019, avec le déploiement d’actions de désobéissance civile. Avant cela, le mouvement prenait surtout la forme d’appels à la grève, avec une certaine approbation de l’opinion. Maintenant, on constate un changement du répertoire des pratiques militantes. Il y a d’ailleurs un débat entre les chercheurs pour le qualifier. Est-ce une politisation ou une radicalisation ? Sur le terme de radicalisation, il y a une forte connotation.

Comment expliquer le changement des modes d’actions depuis 2019 ?

Si on regarde la sociologie des personnes qui se mobilisent, il y a une surreprésentation des catégories supérieures, des jeunes, beaucoup de femmes, une population sensibilisée à l’écologie. C’est un lieu commun de le dire, mais il y a une vraie éco-anxiété chez eux. Comme dans une religion, ils ont le sentiment d’être croyants et pratiquants écologiques dans un monde qui n’est pas croyant. S’installe alors une dissonance cognitive dans la manière dont ils ressentent les choses et le monde qui les entoure, l’écart est vertigineux. Leur action est donc proportionnée au mal-être ressenti par ces militants. C’est un militantisme existentiel, avec des actions très spectaculaires, une certaine esthétique, notamment avec le « vandalisme vertueux » des tableaux, par exemple. Cela est corrélé au faible nombre de militants que comptent proportionnellement ces organisations militantes, par rapport aux organisations traditionnelles. Il y a un mode d’évolution liée à un critère quantitatif : s’il y a peu de monde à mobiliser, il sera plus efficace de mener des actions spectaculaires plutôt que d’organiser des marches.

Ces derniers mois, de plus en plus de ces actions spectaculaires sont menées. Est-ce parce qu’il y a plus de militants qu’avant ou bien ces mêmes militants sont-ils devenus super actifs ?

Les militants sont super-actifs, avec d’importants phénomènes de burnout militant. Cela renvoie au militantisme existentiel. Contrairement au militantisme communiste du vingtième siècle, le militantisme ne s’arrête pas à la maison, il va jusqu’à la poubelle et à la manière dont on produit et on trie ses déchets. Il y a une charge du militantisme écologiste tout le temps, partout, une fatigue mentale. Elle renvoie à cette peur existentielle d’un avenir incertain, décuplé par le sentiment de vivre dans un monde qui ne s’y intéresse pas.

Par militantisme existentiel, j’entends la manière dont le militantisme écologiste politise le quotidien, la vie de tous les jours, et l’extraordinaire, à travers des actions de désobéissance civile, et qui renvoie à l’avenir. Il y a une forme de salut dans ce militantisme, et c’est pour cela que c’est un enjeu de vie, qui va jusque dans les questions de procréation, avec les mouvements « no kids » par exemple.

Y a-t-il une convergence entre ces mouvements associatifs et les partis politiques ?

Pour la sphère politique, si on se contente de regarder à la surface, il y a une opposition, une antinomie, avec ces mouvements. Il faut analyser cela par un choc des temporalités. Il y a une temporalité du politique, de la Première ministre, par exemple, et il y a la temporalité telle qu’elle est perçue par le militant.

Là où l’on doit sortir de la surface, c’est quand la Première ministre, en parlant des militants qui ont bloqué l’AG de Total ce matin, dit qu’ils sont dans leur rôle d’alerter. Habituellement, le débat posé est caricatural, entre conviction et responsabilité. Or, la responsabilité peut être alimentée par la conviction et vice versa. Par exemple, lors du blocage de l’AG de Total de ce matin, l’eurodéputée Manon Aubry était présente. Cela montre que des sphères politiques sont proches de ces sphères militantes. On constate ce phénomène à l’échelle municipale. Après la vague verte de 2020, à Bordeaux par exemple, il y a une porosité entre ce monde associatif et les élus municipaux. Les élus, d’anciens militants, gardent des liens avec des amis toujours engagés. Tous ces gens se connaissent, parlent entre eux. Quand on creuse un peu, les discours de façade ne tiennent plus vraiment.

Les actionnaires de Total ne changeront pas d’avis, alors quel est le débouché espéré par ces militants ?

C’est l’ouverture de la fameuse fenêtre d’Overton. Elle explique comment rendre acceptable par l’opinion ce qui était auparavant jugé inacceptable. Cela se fait progressivement, pour passer du stade de l’impensable à celui de la politique publique. En bloquant l’AG de Total, évidemment, on ne fait changer d’avis à peu près personne, mais les militants le savent très bien. Le but, c’est de choquer volontairement et de progressivement faire changer les mentalités de manière involontaire. C’est de faire infuser, pour que dans quelques années, il y ait davantage de questions posées sur Total.

Ce n’est pas une théorie utilisée uniquement par ces mouvements radicaux, le gouvernement l’utilise aussi avec des think tanks, comme l’Institut Montaigne, par exemple. Le think tank jette le sujet à la mer, de manière un peu radicale pour choquer, il laisse infuser pour qu’ensuite le gouvernement prenne une position plus nuancée, plus prudente. Il y a donc une interaction entre ces militants radicaux et les sphères politiques, et un besoin réciproque.

Quel est le rapport de ces militants à la violence et aux forces de l’ordre ?

C’est une question qu’ils doivent traiter avec équilibre. Car s’il y a trop de violences, il y a une forme de basculement de l’agenda politique. Si on prend Sainte Soline ou Notre-Dame des Landes, par exemple, les problèmes qui ont été posés dans le débat public par ces actions ont moins été de l’ordre de l’aménagement du territoire que du maintien de l’ordre. Sur Sante-Soline, il n’y a pas vraiment eu de débat sur la question des bassines. On a finalement parlé d’écoterrorisme. Dans le blocage de l’AG de Total il y a d’ailleurs un renversement du stigmate, car ils traitent Total de terroriste. Mais l’idéal serait qu’il soit possible de parler sereinement des questions d’aménagement du territoire.

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