« BNP Paribas ne finance pas la production d’hydrocarbures » : assignée en justice pour sa contribution au changement climatique, la banque se défend au Sénat

En février 2023, plusieurs ONG ont attaqué BNP Paribas en justice pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique. En cause : ses investissements dans l’industrie pétro-gazière. Auditionné dans le cadre de la commission d’enquête sur TotalEnergies, le directeur général de la banque répond à ces accusations.
Rose Amélie Becel

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« Ceux qui jugent du positionnement des banques dans le secteur de l’énergie nous classent très bien, sinon comme les meilleurs ». Auditionné au Sénat dans le cadre de la commission d’enquête sur TotalEnergies, Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas, a dressé un état des lieux de sa banque bien éloigné des accusations qui lui sont adressées.

Le rapport annuel Banking on climate chaos, publié chaque année par sept ONG pour répertorier les financements des banques dans les énergies fossiles, classe BNP Paribas comme le premier investisseur européen dans les activités pétro-gazières en 2022. En février 2023, l’établissement français est devenu la première banque à être assignée en justice en raison de son financement des énergies fossiles, sur la base de la loi sur le devoir de vigilance, qui oblige les multinationales françaises à limiter leurs impacts en matière d’environnement et de droits humains.

« Fin septembre 2023, 32 milliards de financements ont été utilisés pour le bas carbone »

Des accusations que la direction de BNP Paribas dément. « BNP Paribas ne finance pas la production d’hydrocarbures, ne finance pas l’expansion des ressources d’hydrocarbures, cette page est définitivement tournée », affirme Yannick Jung, responsable de l’activité bancaire du groupe en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

La banque affirme en effet « se désengager méthodiquement des activités de financement de la production d’énergies fossiles ». « Fin septembre 2023, 32 milliards de financements ont été utilisés pour le bas carbone, contre 17 milliards résiduels pour les énergies fossiles », se défend Yannick Jung, affirmant que BNP atteindra moins de 10 % de fossiles dans ses investissements en matière d’énergie d’ici 2030.

En parallèle, la banque affirme investir dans de nombreux projets d’énergies renouvelables d’ampleur. Carte d’Europe à l’appui, la direction du groupe a montré aux sénateurs les 17 grands projets d’énergies vertes dans lesquels elle est engagée sur le continent, « qui permettront de subvenir aux besoins annuels en électricité de plus de 15 millions de foyers ». BNP Paribas soutient ainsi financièrement le plus grand parc éolien maritime du monde, au Royaume-Uni.

« Beaucoup de gens dressent un portrait assez épouvantable de nous »

Ce tel décalage entre le discours de l’établissement et celui des ONG n’a pas manqué d’interpeller Yannick Jadot, rapporteur de la commission d’enquête. « Comment expliquer un tel fossé entre l’image que vous avez et les statistiques qui peuvent sortir à propos de votre portefeuille d’investissements dans l’énergie ? », interroge le sénateur écologiste.

Pour le directeur général de BNP Paribas, la réponse est simple : les études sur lesquelles se fondent ces accusations comportent des erreurs méthodologiques. Pendant la crise du Covid, la banque associée à deux autres établissements avait ainsi réalisé un prêt exceptionnel de 8 milliards d’euros à TotalEnergies. Un choix vivement critiqué à l’époque par les associations. « Beaucoup de ces gens qui dressent un portrait assez épouvantable de nous ont dit qu’avec ces 8 milliards on finançait des projets d’exploration et de production de pétrole un peu partout dans le monde, alors que cette ligne de prêt avait une durée de 365 jours. À l’époque, on ne faisait que notre devoir de banque. Une banque, en cas de crise, ça donne des liquidités », se défend Jean-Laurent Bonnafé.

Compte tenu de la moindre réglementation du secteur bancaire dans le reste du monde, BNP Paribas préfère attirer l’attention sur les stratégies des banques américaines et asiatiques, mauvais élèves dans le financement des fossiles. « Tous ceux qui disent qu’on pourrait faire mieux, quand ils regardent ce que font d’autres – en Asie ou en Amérique du Nord – ils voient bien que même si ce n’est pas parfait à 100 %, nous sommes tellement mieux », estime le directeur général du groupe. Il faut dire que, selon le rapport Banking on climate chaos, la banque américaine JP Morgan a investi plus de 434 milliards de dollars dans le secteur depuis 2016, contre 165 milliards pour BNP Paribas.

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Nouveau Plan Ecophyto : au Sénat, la droite applaudit et les écologistes dénoncent un « grand recul »

C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route, on fausse toutes les références, on  va constater une baisse significative qui ne correspond pas à la réalité » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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