Illustration Of Wheat Harvest
July 10, 2025, Geveze, France, France: This photograph shows tractors collecting straw after a combine harvester harvested wheat in a field on July 10, 2025 in Geveze near Rennes, France. (Credit Image: © Matthieu Mirville/ZUMA Press Wire)/SIPA60033780_000034/ZEUS/2507102333

« Ce n’est pas une histoire de paysans, c’est une histoire de société » : la pétition contre la loi Duplomb dépasse le million de signatures

Ce week-end, une pétition citoyenne demandant l’abrogation de la proposition de loi Duplomb, qui comporte des mesures controversées dans le secteur agricole, a dépassé le million de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. La rapidité inédite avec laquelle elle a été signée pose la question aux parlementaires de la marche à suivre.
Mathilde Nutarelli

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« Un record ! », s’enthousiasme le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon. La pétition demandant l’abrogation de la proposition de loi visant à lever les contraintes au métier d’agriculteur, dite loi Duplomb, a dépassé ce dimanche le million de signatures. Ce lundi à 17 heures, elle en totalisait plus de 1 400 000 sur le site d’Assemblée nationale.

Une pétition citoyenne demande l’abrogation de la loi Duplomb

La pétition, initiée par l’étudiante de 23 ans Eléonore Pattery, non-militante et non encartée, demande l’ « abrogation immédiate » de la proposition de loi Duplomb, « la révision démocratique des conditions dans lesquelles elle a été adoptée » et « la consultation citoyenne des acteurs de la santé, de l’agriculture, de l’écologie et du droit ». Elle qualifie ce texte d’ « aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire ». Pendant la dizaine de jours d’existence de la pétition, elle a été largement partagée sur les réseaux sociaux, par des comptes qui défendent l’environnement, comme @BonPote, mais aussi par des célébrités comme l’acteur Pierre Niney. Ce texte, définitivement adopté par le Parlement le 8 juillet dernier, contient plusieurs mesures polémiques : la réautorisation sous conditions d’un pesticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2020, la facilitation des projets de mégabassines ou encore une disposition facilitant les grands élevages. Ses partisans, eux, défendent un texte essentiel pour sauvegarder des filières agricoles qui risquent de disparaître.

« Ce texte était orthogonal à ce que voulaient les Français »

L’atteinte du million de signatures en un laps de temps si court est inédite. « Je suis étonné devant cette rapidité, c’est assez révélateur de la problématique de cette proposition de loi », réagit le sénateur socialiste de la Loire et agriculteur à la retraite Jean-Claude Tissot. Son collègue écologiste au Palais du Luxembourg, Daniel Salmon, n’est « qu’à demi surpris ». « On l’a répété dans l’hémicycle : ce texte était orthogonal à ce que voulaient les Français », assure-t-il. Les deux élus voient dans le succès fulgurant de la pétition le signe d’un réveil de la part de la population sur les sujets écologiques. « Ce n’est pas une histoire de paysans, c’est une histoire de société », croit l’élu ligérien. L’élu breton, lui, espère : « On va peut-être assister à un rebond des gens qui ne sont pas pris par les lobbies et qui n’ont pas encore succombé à la désinformation ».

Un texte « instrumentalisé par l’extrême gauche et par les écologistes »

Du côté des bancs de la droite de l’hémicycle, d’où est originaire l’auteur du texte, le sénateur LR de la Haute-Loire et éleveur Laurent Duplomb, le son de cloche est évidemment bien différent. « A l’heure des réseaux sociaux, dans une période calme avec peu d’actualité, c’est facile de surréagir », assure la présidente LR de la commission des affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi-Sassone. Pour l’auteur de la loi incriminée, interrogé ce matin sur RMC, la pétition a été « instrumentalisée par l’extrême gauche et par les écologistes ». Tous les deux dénoncent des arguments « dogmatiques et idéologiques », qui « mentent sur le fond des mesures contenues dans le texte », d’après Dominique Estrosi-Sassone. « On ne réautorise pas l’acétamipride, on propose une dérogation sous conditions, quand il n’y a pas de solution », assure-t-elle.

« On entend sans cesse cet argument », répond, lassé, Daniel Salmon, « dès qu’on s’oppose au verrouillage du système agricole en apportant une parole étayée par la science on est catalogué ‘wokistes’, ‘militants’ ». Il dénonce une « trumpisation » de la société française. « On peut aussi leur rétorquer qu’ils sont militants, à la botte des semenciers et de l’agro-industrie », rétorque Jean-Claude Tissot. « Seul un tout petit nombre d’agriculteurs milite pour ce texte-là, je peux vous présenter des milliers d’agriculteurs qui n’y sont pas favorables », affirme l’ancien éleveur.

Un débat en septembre à l’Assemblée ?

La pétition est un outil mis à disposition du public par l’Assemblée nationale. Dès les 500 000 signatures atteintes, la Conférence des présidents, son organe décisionnaire, peut décider d’organiser un débat en séance publique sur le sujet. Sa présidente, Yaël Braun-Pivet, s’y est dite favorable, ainsi que les élus de gauche, ou encore Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée. Pour cela, il faut que l’instance, qui ne se réunira pas avant septembre, vote.

Le débat en séance serait le premier qui aurait lieu sur le texte dans l’hémicycle du Palais Bourbon. Pour rappel, lors de l’examen de la proposition de loi par les députés, le texte avait été rejeté avant même son étude, via l’adoption d’une motion de rejet. Elle avait été votée, et c’est baroque, par ses partisans, qui dénonçaient « l’obstruction » de la gauche. Le texte a ensuite été transmis à une commission mixte paritaire (CMP), un organe composé de sept députés et sept sénateurs, qui doivent, à huis clos, se mettre d’accord sur une version finale du texte.

« Les CMP, ce sont des arbitrages de couloir, ce n’est pas un espace de débat démocratique »

Ce parcours inédit a provoqué la colère de la gauche et des écologistes. « Le débat n’a pas franchement eu lieu correctement, car l’Assemblée nationale a été ignorée », regrette Daniel Salmon, « les CMP, ce sont des arbitrages de couloir, ce n’est pas un espace de débat démocratique. La preuve, ce n’est pas public. Des choses aussi graves ne peuvent pas se régler en CMP ». Un point de vue que ne partage pas du tout sa collègue à la droite de l’hémicycle Dominique Estrosi-Sassone. « L’adoption de la motion de rejet est due à l’obstruction des groupes de gauche à l’Assemblée. Il n’y aurait de toute façon pas eu de débat, vu le nombre de leurs amendements », explique-t-elle. C’est elle qui a présidé la CMP sur la proposition de loi. « Elle a duré près de six heures, j’ai souhaité laisser place au débat et permettre à toutes les opinions de s’exprimer. Les débats s’y sont très bien passés », raconte-t-elle, « mais à la fin, il y a un fait majoritaire et c’est lui qui s’impose ».

L’exécutif temporise

La question qui se pose à présent, c’est la réaction de l’exécutif sur la question. Pour le moment, il temporise. Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on affirme que le Président « n’interférera pas avant l’examen du Conseil constitutionnel ». Ce dernier a en effet été saisi par députés et sénateurs de gauche sur le texte le 11 juillet. Ils sont convaincus que ce dernier est anticonstitutionnel et viole la Charte de l’environnement, qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Les Sages de la rue de Montpensier ont un mois pour se prononcer.

Une fois cet avis rendu, plusieurs options se présentent à Emmanuel Macron, s’il souhaite s’emparer du sujet. A gauche, on lui demande de solliciter un deuxième vote sur le texte, à défaut de quoi des textes revenant sur les mesures décriées seront présentés. « On se grandit à revenir sur des erreurs », encourage Daniel Salmon. « Je combats ce texte depuis décembre 2024, si on me dit qu’il n’ira pas au bout, ça me convient », affirme Jean-Claude Tissot, « il ne faut pas mettre un million et demi de personnes sous l’éteignoir ». A droite, c’est tout l’inverse : « A partir du moment où une loi est votée, il faut qu’elle s’applique. Le rôle du Parlement est suffisamment amoindri en ce moment pour qu’on le contourne », juge Dominique Estrosi-Sassone.

Alors que l’été s’annonce caniculaire, ponctué d’incendies ravageurs, le sujet de la politique agricole française risque bien de continuer d’occuper une place importante dans le débat public, jusqu’à la rentrée.

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