« Il n’y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B », lançait le 1er juin 2017 Emmanuel Macron à Donald Trump après le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, adopté par 195 pays deux ans plus tôt, pour maintenir l’augmentation de la température de la planète en dessous des 2 degrés. Il réitère ses propos le 25 avril 2018 devant le Congrès américain, véritable pied de nez à Donald Trump.
Mais quelques années plus tard, Emmanuel Macron semble avoir euphémisé son discours. Ce jeudi, à l’occasion d’un sommet européen à Bruxelles réunissant les 27 dirigeants nationaux de l’Union, le président français a prévu de donner un coup de frein aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre en mettant sur la table le sujet. Alors qu’il n’était pas prévu à l’ordre du jour, c’est Emmanuel Macron lui-même qui a souhaité en discuter avant que la Commission ne fasse sa proposition de réduction pour 2040.
Pour éviter de subir une attaque en justice, l’UE doit soumettre des objectifs intermédiaires de réduction des émissions de gaz à effets de serre afin d’atteindre la neutralité carbone, prévu par le Pacte vert européen, à l’horizon 2050. D’ici à 2030, l’Union doit faire baisser ses émissions de 55 % et doit normalement se doter, à partir du 2 juillet prochain, d’un objectif pour 2040 qui sera vraisemblablement de 90 % de réduction des émissions.
« Préserver notre compétitivité et notre objectif de neutralité carbone en 2050 »
« Cela doit permettre de discuter des conditions qui permettront de préserver notre compétitivité et notre objectif de neutralité carbone en 2050 », a justifié l’Elysée, soulignant le décrochage économique de l’Union par rapport aux Etats-Unis et à la Chine. Selon un proche d’Emmanuel Macron, contacté par Le Monde, « on garde l’objectif [de 2050] mais on est pragmatique sur les trajectoires ».
Pourtant, au cours de son premier mandat, Emmanuel Macron s’était, à de nombreuses reprises, montré volontaire sur la question de la transition climatique notamment en créant en 2022 un secrétariat général à la Planification écologique (SPGE). En 2019, le président français annonçait même la constitution d’une « Convention citoyenne pour le climat ». Mais cette posture a semble-t-elle faibli depuis. En mai 2023, il a appelé de ses vœux à une « pause réglementaire européenne » sur les normes environnementales. Il justifiait déjà à l’époque le besoin de faire une « pause réglementaire massive pour revenir sur des réglementations, y compris récentes, qui entravent notre capacité à innover ».
Interrogé par Public Sénat, le responsable du centre énergie de l’Institut Jacques Delors, Phuc-Vinh Nguyen, inscrit cette « forme de pression » dans la « lignée de ses récentes prises de position ». « Nous nous sommes bien rendu compte que la transition écologique n’était plus sa priorité », souligne le chercheur. « Désormais ce n’est plus une simple vision, mais il faut voir concrètement ce qu’il propose ».
« Le nucléaire a toujours fait partie des demandes historiques du président »
Mais ce revirement français peut aussi s’expliquer par la question du nucléaire. Alors que le nouvel objectif 2040 doit être accompagné d’un texte censé fixer le cap des Etats membres sur les énergies, la France réclame que le nucléaire soit traité sur le même pied d’égalité que les autres énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire. La Commission qui a toujours refusé d’accéder à cette demande, a fait hier un pas en direction de l’Hexagone, en présentant un nouveau régime d’aides d’Etat qui, en plus de bénéficier aux technologies vertes, bénéficiera au nucléaire.
« Le nucléaire a toujours fait partie des demandes historiques du président », précise Phuc-Vinh Nguyen. « Si la Commission cède sur la question du nucléaire, Emmanuel Macron continuera-t-il dans sa pause réglementaire ? » Le président français a fait du nucléaire l’un des principaux objectifs de son second mandat. En 2022, il annonçait la construction de six réacteurs de grande puissance, dits « EPR 2 ». « Cette politique nucléaire, qu’il affirme de plus en plus fortement, peut expliquer sa position », juge Yamina Saheb, autrice du dernier rapport du Giec et spécialiste de la sobriété et de l’énergie.
L’Union européenne divisée
Au vu du poids de la France au sein de l’Union européenne, plusieurs experts jugent qu’il y a fort à parier que la position française risque de faire réviser à la baisse les objectifs de diminution des émissions de 2035. « La France est en tête », a déclaré un responsable européen interrogé par l’Observatoire de l’Europe.
Et cette position arrive au mauvais moment dans un contexte d’attaques continues contre le Pacte vert européen. En première ligne : la Hongrie de Viktor Orbán ou l’Italie de Giorgia Meloni qui militent toujours plus pour un abaissement des normes environnementales. Les dernières élections européennes ont également renforcé le camp du moins-disant environnemental avec une droitisation du Parlement européen. Désormais, les pays partisans du Pacte vert comme l’Espagne, le Danemark ou encore la Suède disposent d’une voix moindre pour tenter de maintenir les objectifs de neutralité carbone.
« Ce sera un très mauvais signal pour le monde »
« La seule chose qu’Emmanuel Macron réussira en soulevant le sujet [l’objectif 2040], c’est de rendre l’UE encore plus divisée », avertie le même responsable européen contacté par l’Observatoire de l’Europe. Un second ajoute : « Ce sera un très mauvais signal pour le monde ».
A la veille de la COP 30, qui doit se tenir à partir du 10 novembre prochain au Brésil, le revirement français envoie un mauvais signal à la lutte contre la crise climatique. Le 19 juin dernier, une étude réalisée par un consortium d’instituts de recherches a révélé que la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré n’est désormais « plus atteignable ».