Commission d’enquête TotalEnergies : qu’est-ce qu’une « bombe carbone » ?

La commission d’enquête sur les obligations climatiques de TotalEnergies poursuit son travail au Sénat, avec l’audition de deux membres des collectifs à l’origine de la cartographie des « bombes carbone ». Ces 425 gisements d’énergies fossiles émettront chacun plus d’une gigatonne de CO2 au cours de leur exploitation, TotalEnergies est associé à 23 d’entre eux.
Rose Amélie Becel

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Ce 8 février, la commission d’enquête sur les obligations climatiques de TotalEnergies auditionnait Oriane Wegner, co-fondatrice du collectif Eclaircies, et Lou Welgryn, co-présidente de l’ONG Data for Good. Ensemble, les deux associations ont créé en octobre dernier la plateforme carbonbombs.org, qui répertorie les sites d’exploitation fossile les plus émetteurs de gaz à effet de serre sur la planète. Leur cartographie recense 425 gisements de pétrole, de gaz ou de charbon, tous émettront plus d’une gigatonne de CO2 au cours de leur exploitation.

Près de 300 de ces véritables « bombes carbone » sont déjà en cours d’exploitation, mais une centaine d’autres sont encore au stade de projet. « L’année 2023 est la plus chaude jamais enregistrée au cours de ces 40 dernières années, mais ce sera aussi vraisemblablement la plus froide des 40 années à venir. De nouveaux projets pétro-gaziers continuent d’être lancés malgré cet état d’urgence climatique certain », constate Oriane Wegner.

Des projets fossiles « superflus » et « néfastes »

L’origine du projet de carbonbombs.org s’appuie sur les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dont le directeur exécutif a déclaré il y a 3 ans qu’il ne devrait y avoir « aucun nouvel investissement dans des projets d’extraction de pétrole, gaz et charbon, à partir de 2021 », pour viser une trajectoire de zéro émission d’ici 2050. « Les projets de bombes carbone sont superflus par rapport à cette trajectoire de zéro émission visée par l’AIE, et ils sont néfastes car ils mettent en danger notre capacité à atteindre nos engagements climatiques », explique Oriane Wegner.

Lors d’une précédente audition de la commission d’enquête, la climatologue du Giec Valérie Masson-Delmotte avait en effet affirmé que, pour maintenir la planète sur la trajectoire des 1,5 °C de réchauffement, il ne fallait pas émettre plus de 250 gigatonnes de CO2. Si les 425 projets de bombes carbone venaient à être exploités, ce « budget carbone » serait largement dépassé. Les émissions seraient même deux à trois fois supérieures à ce budget, affirme Oriane Wegner.

TotalEnergies, 4ème plus gros exploitant de bombes carbone

Dans le cadre de leur travail de cartographie, les deux collectifs ont estimé que TotalEnergies était associé à l’exploitation de 23 bombes carbone, ce qui la classe à la 4e position des entreprises impliquées dans ces projets, derrière deux compagnies chinoises et la firme saoudienne Saudi-Aramco. Des projets pétroliers et gaziers variés, présents sur plusieurs continents, « qui auraient des émissions associées de 60 gigatonnes de CO2 », indique Lou Welgryn.

Devant les sénateurs, l’analyste de Data for Good détaille le cas de plusieurs projets exploités par TotalEnergies, notamment celui de North Field, au Qatar, un champ pétrolier et gazier qui pourrait émettre plus de 11 gigatonnes de CO2. Sur ce site, « TotalEnergies a des participations anciennes, mais vient aussi d’être sélectionné en tant que premier partenaire international dans un projet d’extension », explique Lou Welgryn. Une extension sur laquelle il est notamment prévu d’exploiter du gaz naturel liquéfié (GNL), « un type de gaz composé à 90 % de méthane, un gaz à effet de serre dont le pouvoir de réchauffement est 30 fois supérieur à celui du CO2 ».

Lors de son audition, Valérie Masson-Delmotte avait également alerté sur les dangers de ce gaz naturel, sur lequel mise pourtant TotalEnergies pour réduire ses émissions. La stratégie de la firme française pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, point central au cœur des travaux de la commission d’enquête, est ainsi remise en question. « Cette diminution de l’exploitation des produits pétroliers est compensée par la hausse de la vente de GNL, qui reste une énergie fossile et non une énergie de transition comme elle est présentée par TotalEnergies », défend Lou Welgryn.

Une responsabilité partagée avec les Etats et le secteur bancaire

De manière plus globale, l’analyste qui travaille également pour Carbon4Finance – une société de conseil qui accompagne les entreprises du secteur financier dans leur stratégie bas-carbone – dénonce les investissements insuffisants des énergéticiens dans les énergies renouvelables. « En 2021-2022, il y a eu une explosion des bénéfices de ces entreprises, or cette explosion des profits n’a pas permis d’augmenter la part des investissements bas carbone », estime Lou Welgryn.

Mais, pour les deux expertes auditionnées, les entreprises pétro-gazières ne portent pas à elles-seules la responsabilité de l’existence de bombes carbone. Les banques, les assurances et les Etats ont également leur rôle à jouer. « On sait que, depuis l’accord de Paris, TotalEnergies a reçu 52 milliards d’euros des 60 plus grandes banques mondiales, dont 18 milliards de banques françaises », détaille Lou Welgryn. Des investissements qui pourraient être évités, selon l’analyste, par « la mise en place d’un taux différencié pour le financement des produits verts », pour le rendre plus compétitif et décourager le financement des énergies fossiles.

Du côté des Etats, Oriane Wegner esquisse également quelques pistes de solutions, notamment un « retour de l’Etat au capital de TotalEnergies, pour renforcer le contrôle public sur sa stratégie ». Des déclarations qui ne seront sans doute pas au goût de Patrick Pouyanné. Le 7 décembre, à l’occasion de la présentation des résultats financiers de la firme, le PDG s’est dit « choqué qu’on utilise les moyens de l’Etat pour faire une enquête sur la stratégie d’une entreprise privée ».

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