640 térawattheures (TWh). Ce sont les prévisions hautes de la consommation électrique de la France en 2035, selon le Réseau de transmission de l’électricité (RTE), gestionnaire du réseau français. Un chiffre, qui passerait inaperçu s’il n’était pas alarmant. « Il y a urgence », s’inquiète Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE. Pour mieux comprendre l’enjeu de cette prévision, il est important de rappeler qu’aujourd’hui, en France, la consommation d’électricité s’élève à 460 TWh, un niveau acceptable et en adéquation avec la production nationale d’en moyenne 513 TWh sur les cinq dernières années.
Surtout, depuis un an, l’actualité internationale rappelle qu’il est dorénavant nécessaire de décarboner la société en faveur des énergies renouvelables. D’une part, pour des questions de lutte contre le réchauffement climatique car les États européens doivent se conformer aux nouveaux objectifs plus ambitieux décidés par Bruxelles afin de réduire de 55 % les émissions des gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990 (au lieu de -40 %). Un point de passage jugé essentiel afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. D’autre part, la guerre en Ukraine a pointé la dépendance de l’Union européenne au gaz russe. En France, selon le gouvernement, encore 60 % des énergies consommées sur une année sont d’origine fossile. Celles-ci représentent même deux tiers du mix énergétique de nos entreprises.
« Les nouvelles ambitions européennes imposent une électrification accélérée », explique le Président de RTE, Xavier Piechaczyk dans d’un entretien pour Le Monde. Pour transformer le mix énergétique français en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’électricité décarbonée est la piste privilégiée. Le rapport de RTE note ainsi qu’entre 2025 et 2035, la consommation augmentera de 10 TWh chaque année. Un rythme qui « n’a plus été atteint depuis les années 80 ». Or, en face, en considérant que les investissements dans le nucléaire permettront de produire jusqu’à 400 TWh annuellement, les énergies renouvelables ne produisent que 120 TWh au cours d’un an. Pour ajuster la production sur la consommation, le calcul est simple : la France doit doubler sa production électrique renouvelable, hors nucléaire, en l’espace de 12 ans. Xavier Piechaczyk résume ainsi la stratégie à adopter : « Plus de renouvelables, et plus vite dans les prochaines années ».
« Décréter qu’il faut aller vite peut générer des crispations des habitants et des élus locaux »
« Atteindre d’ici 2035 une production électrique bas-carbone de 600 TWh minimum apparaît ambitieux, mais faisable », se réjouit Xavier Piechaczyk. Le plus rapide sera le mieux pour l’administration, qui mise avant tout sur l’énergie solaire et éolien terrestre. En fin d’année dernière, les sénateurs se sont déjà penchés sur la question. Le projet de loi en faveur de ces énergies, promulgué le 11 mars dernier, permet de simplifier les démarches administratives pour l’installation de projets, limiter les recours juridiques en défaveur et définir des « zones d’accélération », favorables aux énergies renouvelables. Sans oublier l’élément central de cette politique : les élus locaux. « Décréter qu’il faut aller vite peut générer des crispations des habitants et des élus locaux », soutient Laurence Garnier (LR) qui souhaite calmer les ardeurs de RTE.
Cette position semble avoir fait consensus au Sénat. « On gagne du temps en faisant une bonne concertation avec les élus locaux en amont plutôt que de se retrouver avec des contestations juridiques après », justifie Ronan Dantec, l’un des deux seuls sénateurs écologistes membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Ainsi, pour les sénateurs, pour avancer plus vite il faut d’abord savoir prendre son temps. Didier Mandelli, rapporteur LR du projet de loi, tient à rassurer l’administration : « Pour avoir vu la ministre de la Transition énergétique cette semaine, elle m’a confirmé que le Ministère était pris d’assaut par des élus souhaitant instaurer un projet d’implantation d’énergies renouvelables. Il ne faut pas partir du constat que les élus ne sont pas favorables. Au contraire, ils sont engagés ! ». Ainsi, les élus locaux ne devraient plus, comme le déplore les sénateurs, être mis en opposition aux objectifs nationaux de neutralité carbone mais y être associés.
La sobriété énergétique « était une option, elle devient nécessaire »
Si la France tient ses objectifs en termes de production, la prévision optimiste de RTE table sur 650 TWh produits, soit une marge étroite de 10 TWh vis-à-vis de la consommation annuelle. Pour garantir l’approvisionnement en électricité, sans difficulté, de chaque ménage et chaque entreprise – sans trop importer – le gestionnaire de l’électricité estime qu’il n’est plus possible de conserver le même mode de vie. La sobriété énergétique « était une option, elle devient nécessaire », note le Président du RTE. « Sur la sobriété, nous ne sommes pas en avance », regrette le sénateur écologiste Ronan Dantec, également membre du groupe de travail « sobriété » dans le cadre de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui sera débattue au Sénat à l’automne.
Or, selon l’institut de sondage Ipsos, les Français ne sont pas encore prêts à atteindre ces objectifs. Par exemple, seulement 10 % des citoyens sont prêts à remplacer un véhicule à essence ou diesel par une voiture électrique en cas de panne. La réduction d’une pièce la superficie de leur habitat, les Français refusent à 70 %. « Nous avons déjà imposé un bon nombre de choses déjà par nos textes précédents, notamment pour les entreprises. Est-ce qu’il faut rendre cette sobriété obligatoire ? Je ne pense pas », note Didier Mandelli. « Il faut avant tout faire appel à la pédagogie ». Ronan Dantec promet que la question de l’accompagnement des Français pour plus de sobriété sera posée dans le cadre de la PPE.