Pollution

Emballages plastiques : le Sénat pointe « la fausse bonne idée » de la consigne pour recyclage

Trois ans après la promulgation de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), le Sénat publie ce mardi un rapport critique sur la tenue des promesses de réduction et de réemploi des emballages d’ici à 2030. La consigne pour recycler les bouteilles plastiques, la mesure phare de la loi, « n’apparaît pas comme un levier pertinent ».
Thomas Fraisse

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« Les retards accumulés par la France, tant en matière de prévention que de collecte et tri pour recyclage, appellent une action déterminée ». Cette action déterminée passera, selon la sénatrice Marta de Cidrac (LR) et rapporteure d’une mission d’information sénatoriale, issue de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a rendu son rapport ce mardi. La sénatrice avance 28 propositions. Une « pression courtoise », d’après ses termes, est envoyée au gouvernement, plus spécifiquement au ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, et à la secrétaire d’État chargée de l’Écologie, Bérangère Couillard.

Les retards sur les objectifs que Marta de Cidrac évoque et qui nécessitent d’être rappelés au gouvernement, sont issus de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC). Promulguée en février 2020, cette loi prévoit d’organiser une collecte plus ambitieuse des emballages afin d’assurer leur réemploi ou leur recyclage et donc de facto diminuer la pollution. Par exemple, l’interdiction de la vaisselle jetable dans les chaînes de restauration rapide, instaurée au 1er janvier 2023, a été votée dans le cadre de la loi AGEC.

Une mesure phare de cette loi n’est, toutefois, pas jugée pertinente : celle des consignes de recyclage pour les bouteilles en plastique. Pourtant plébiscitées par la grande majorité des Français, selon l’étude de l’Ademe, les consignes n’ont pas retenu les faveurs des sénateurs. Celles-ci auraient permis aux Français de retourner leurs bouteilles en magasin en échange d’un petit montant d’argent, au préalable appliqué au prix de la bouteille lors de l’achat, afin d’élargir considérablement l’assiette des bouteilles recyclées et réduire la quantité de bouteilles en circulation. Un modèle, qui est déjà appliqué en Allemagne mais qualifié de « fausse bonne idée » par Marta de Cidrac. « La consigne pour recyclage n’apparaît pas, à ce stade, comme un levier pertinent.  Séduisant au premier abord, le dispositif est en réalité porteur de nombreux effets pervers », avance-t-elle.

« Soyons dans le bon équilibre »

La consigne des bouteilles en plastique semblait pourtant conrrspondre aux objectifs français. « Nous estimons, à travers nos études et nos auditions, que le fait de mettre en place la consigne pour recyclage n’apporte aucun bénéfice financier, environnemental ou économique », tance Marta de Cidrac. Tout d’abord en termes de lutte contre la pollution. Selon les chiffres avancés par l’Allemagne, cela n’a pas limité Outre-Rhin la part de bouteilles plastiques en circulation. Bien au contraire, la part de bouteilles réutilisables a diminué de 38 % entre 2004 et 2018. En clair, l’instauration des consignes a conduit à une pérennisation de la production et de la consommation de bouteilles en plastique. Ensuite, Marta de Cidrac se désole que le débat ne se concentre que sur les bouteilles plastiques. Alors qu’elles ne représentent qu’un centième des déchets et un peu plus de 15 % des emballages plastiques, la focalisation sur les bouteilles peut limiter les efforts réalisés sur les autres plastiques. Selon une étude de l’Ademe, les simulations en vue d’une instauration du système de consignes présentent des taux de collecte des emballages légers inférieurs à ceux des scénarios sans consigne. « Quand on regarde le volume des déchets que l’on produit, ce n’est qu’un problème de gisement », s’insurge Marta de Cidrac. « Une fois que l’on aura résolu le problème, le reste des plastiques on les oublie ? Soyons dans le bon équilibre ! »

D’un point de vue économique et financier, là aussi le Sénat est dans la critique. Le dispositif serait « économiquement irrationnel », selon le rapport, en raison d’une coexistence de deux collectes. Le coût du scénario avec consigne est estimé à partir de 2029 entre 181 et 229 millions d’euros supplémentaires par rapport à un scénario sans consigne. Par ruissellement, ce coût sera ensuite imputable aux consommateurs et aux collectivités locales. « En définitive, la consigne pour recyclage constitue pour l’heure une impasse », tranche la sénatrice LR.

Toutefois, la consigne n’est pas en général à jeter. Seule celle destinée au recyclage des bouteilles plastiques est critiquée. Le rapport évoque même, dans ses 28 propositions, l’idée de renforcer le principe de consigne pour réemploi des emballages en verre déjà très utilisée en Alsace. Quant aux consignes pour le recyclage des bouteilles en plastique, les sénateurs souhaitent peser sur les débats européens pour permettre à chaque pays de choisir.

Prévenir puis guérir

Petite particularité des propositions de la sénatrice Marta de Cidrac, elles sont chronologiques : communiquer puis inciter et améliorer avant de contrôler. Bien que la loi soit actée depuis trois ans, la mission d’information n’oublie pas que la pandémie de Covid-19 est apparue seulement un mois après la promulgation du texte. Cette période, qui a mis au placard de nombreux textes, a fortement ralenti le calendrier mais aussi la communication autour de celui-ci. « J’estime nécessaire de lancer une campagne nationale de grande ampleur », suggère la sénatrice.

Ensuite, une fois que les Français seront pleinement informés des objectifs pris par le législateur, le gouvernement se doit de les inciter à participer à un effort collectif. « Nous devons soutenir le développement de la tarification incitative, dont l’efficacité n’est plus à prouver, en levant les freins financiers et techniques à son implication ». Ce dispositif incite les ménages à réduire leurs quantités de déchets, en favorisant par exemple le tri, en les obligeant à payer une somme indexée au volume de déchets produits. Cette tarification s’applique aujourd’hui à 10 millions de personnes contre une nécessité de l’utiliser sur 41,5 millions en 2029 pour atteindre les objectifs, selon le rapport. « Il est important de passer par le volet prévention pour ensuite que dès lors que vous êtes informé, il faut sanctionner », pointe Marta de Cidrac. Aux collectivités seront appliquées des sanctions administratives et des malus aux ménages, qui n’ont pas été définis.

Dès lors que les Français s’inscrivent dans la démarche de recyclage et réemploi des emballages, encore faut-il que les systèmes de collecte en face suivent. Ainsi, les sénateurs de la mission d’information proposent de renforcer l’utilisation des bacs de tri pour collecter les déchets hors foyer, en les testant par exemple lors des évènements sportifs que sont la coupe du monde de rugby 2023 en France et les Jeux Olympiques de Paris en 2024. La généralisation des poubelles jaunes au sein des foyers devra aussi rapidement être atteinte. Marta de Cidrac propose aussi d’adapter les collectes en fonction des habitats : des dispositifs sociaux d’incitation pour les quartiers prioritaires ou les territoires ultra-marins et des moyens conséquents pour les zones touristiques. Par contre l’atteinte des objectifs n’est possible, comme le conclut la sénatrice, « que si nous mettons en œuvre toutes ces mesures-là. Sinon, nous ne les atteindrons pas ».

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