Eoliennes : après un imbroglio sur le « droit de véto » des maires, le Sénat renonce à la mesure

Eoliennes : après un imbroglio sur le « droit de véto » des maires, le Sénat renonce à la mesure

Les sénateurs, qui examinent depuis jeudi matin le projet de loi sur les énergies renouvelables, ont finalement renoncé à instaurer un droit de veto des conseils municipaux sur l’implantation d’éoliennes ou d’autres installations de production d’énergie renouvelable. La droite, à l’origine de cette proposition, n’a pas voté sa suppression mais a choisi de s’abstenir, manière d’accorder son crédit au dispositif alternatif proposé par le gouvernement pour tenir compte de l’avis des élus locaux.
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Par Louis Mollier-Sabet et Romain David

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« Je ne voudrais pas être insistante, mais je voudrais être sûre de comprendre. » Françoise Gatel, sénatrice centriste, était loin d’être la seule à ne pas comprendre ce qu’il s’est passé au Sénat jeudi après-midi. La Haute Assemblée examinait le projet de loi « relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables », dont elle a eu la primeur, et qui vise, comme son nom l’indique, à simplifier et raccourcir les délais de procédure pour l’installation d’infrastructures énergétiques de type parcs photovoltaïques ou éoliennes. Un texte qui a soulevé de nombreuses inquiétudes chez les sénateurs qui ont identifié, durant l’examen en commission, un écueil : le grignotage, par l’administration centrale, des prérogatives des élus locaux en matière d’urbanisme, un sujet particulièrement sensible pour la bien nommée « Chambre des territoires ». Pour y remédier, le rapporteur LR Didier Mandelli proposait d’introduire une forme de « droit de veto » des conseils municipaux. En parallèle, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a poussé pour un mécanisme de planification au sein duquel les élus locaux auraient à la fois l’initiative et le dernier mot. Problème : les deux dispositifs, superfétatoires et ventilés sur différents articles, ont nourri de nombreuses incompréhensions pendant les débats. Avant que le principe du droit de véto ne soit finalement abandonné, la droite, qui l’avait pourtant défendu, préférant s’abstenir pour ne pas ajouter de la confusion à la confusion.

Une planification par zonages plutôt qu’un droit de veto

Si les débats ont suscité autant d’incompréhension sur l’ensemble des bancs de l’hémicycle, c’est que le fameux droit de véto sur l’implantation d’éoliennes ou d’autres installations de production d’énergie renouvelable n’était, dès le départ, pas bien emmanché. C’était un des principaux points d’achoppement entre la majorité sénatoriale et le gouvernement, sur un texte où la qualité du dialogue a par ailleurs été saluée, à la fois au Sénat et au sein de l’exécutif. Une fois n’est pas coutume, la recherche de compromis a considérablement compliqué l’examen en séance publique. Didier Mandelli avait en effet introduit à travers deux articles additionnels au projet de loi (article 1A et 1C) la possibilité pour les maires de définir sur leur commune des « zones propices à l’implantation d’installations et de production d’énergies renouvelables », et de soumettre ensuite les différents projets d’implantation à l’avis des conseils municipaux. Il était également question de faire bénéficier les communes limitrophes, impactées « visuellement » par lesdits projets, du même droit de veto.

Mais comme elle l’avait expliqué un peu plus tôt sur notre antenne, la ministre Agnès Pannier-Runacher, sans totalement balayer le dispositif élaboré par le rapporteur, était quant à elle plutôt favorable « à une forme de planification », moins centrée sur les projets en eux-mêmes que sur les territoires d’implantation, permettant aux élus « de définir des zones propices à l’accueil des énergies renouvelables et, sur cette base-là, de bénéficier d’un coup de pouce de l’Etat quand ils acceptent d’accueillir des projets. » Le gouvernement a fait inscrire ce mécanisme par amendement à l’article 3 du projet de loi, dédié aux documents d’urbanisme locaux. Les élus se sont ainsi retrouvés en séance face à un texte comportant deux volets de mesures plus ou moins similaires sur l’implication des maires dans l’implantation territoriale des énergies renouvelables, le tout distillé sur trois articles différents… Bref, de quoi embrouiller considérablement un texte supposé apporter de la simplification.

« Est-ce qu’un conseil municipal pourra décider, oui ou non, de l’implantation d’éoliennes sur son territoire ? », a interrogé le LR Philippe Mouiller, membre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Franck Montaugé, sénateur socialiste, ne semblait pas y voir plus clair que ses collègues de la majorité sénatoriale : « Le maire a-t-il un droit de véto ? Je crois que oui, mais je ne suis pas sûr d’avoir compris. »

Didier Mandelli, Agnès Pannier-Runacher, mais aussi Sophie Primas, la présidente de la commission des Affaires économiques, se sont ainsi succédé au micro pour tenter d’apporter de la clarté, et reposer « le dispositif dans sa globalité », selon les mots de la sénatrice des Yvelines. « L’administration vous donne le potentiel énergétique de votre territoire, ensuite chaque maire définit les zonages dans lesquels il souhaite recevoir des énergies renouvelables. Et tout ça va redescendre grâce à cet article 3 dans les documents d’urbanisme opposables : le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et le plan local d’urbanisme (PLU) », a-t-elle expliqué. « Le maire est à l’origine du zonage, et il est à la fin du dispositif dans cette phase de planification », a-t-elle encore précisé, un sous-amendement du rapporteur Patrick Chauvet ayant mis en place un « avis conforme » du conseil municipal sur la proposition de zonage arrêtée dans les documents d’urbanisme.

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« Au sein des LR, nous avons un véritable dilemme »

En clair : la validation du conseil municipal ne se fait plus « projet par projet », mais « à l’échelle d’une zone », à la fois sur son périmètre et le type d’implantation souhaité (éolien, solaire, hydraulique, etc.), a résumé la ministre de la Transition énergétique. « Plutôt que d’aller parler ici à l’agriculteur, là à un propriétaire foncier dans une zone mal située, le porteur de projet pourra directement examiner la liste des zones prioritaires. Cela lui fait gagner du temps et de l’argent », a-t-elle également défendu. Ce dispositif ayant été adopté à main levée en début de soirée, la question du maintien d’un droit de véto stricto sensu s’est aussitôt posée, les communes étant désormais en mesure de fixer les règles du jeu en matière d’énergie renouvelable sur leur territoire. « Ce droit de veto n’est pas un bon service que l’on rend aux maires, puisqu’ils auront une forte pression de la population », a voulu alerter le sénateur Les Indépendants Pierre Médevielle.

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La droite, surtout, n’a pas caché son embarras. « Au sein de notre groupe politique, nous avons un véritable dilemme. Nous sommes arrivés en début d’examen avec la ferme intention de faire en sorte que le droit de veto s’impose pour tous les projets portés par les maires. On a évolué au gré des propositions faites, on sent bien que tout n’est pas affiné, abouti. Il y a encore des zones de difficultés pour savoir si globalement le conseil municipal a réellement la capacité de prendre des décisions pour son territoire et ne subit pas ce qui s’impose encore trop souvent aujourd’hui, à savoir l’implantation de projets privés », a expliqué Philippe Mouiller. « Nous allons, majoritairement, nous abstenir », a-t-il indiqué, espérant que la navette parlementaire puisse préciser le dispositif. « L’abstention est un message politique que nous vous donnons ce soir », a-t-il ajouté à l’adresse du gouvernement.

En cas d’avis non conforme d’une commune, pourra-t-on construire des éoliennes sur son territoire ?

Dernier point soulevé par les sénateurs, et resté peu éclairci malgré toutes ces explications : si le conseil municipal refuse de valider les documents d’urbanisme, des projets pourront-ils tout de même être implantés sur le terrain de la commune en question ? « Sur l’avis conforme, il n’y a pas un droit de véto préalable, mais au bout du bout du bout, avis conforme cela voudra dire que si l’on ne veut pas d’une zone de construction, il n’y en aura pas. Il faut se parler franchement », a regretté le sénateur communiste Fabien Gay. À l’inverse, le sénateur écologiste Ronan Dantec a estimé que dans la rédaction de compromis entre le gouvernement et les commissions, « ceux qui ne joueront pas le jeu auront aussi des énergies renouvelables sur leur territoire » : « En dehors des zones prioritaires, là où tous les territoires ne joueront pas le jeu, ce sera plus difficile mais ce sera possible », a-t-il souligné. « Sinon on aura des communes qui ne remonteront rien, dans aucun sens et une France qui se marginalisera économiquement. »

« On prendra le temps de travailler le texte » au fil du processus législatif, a voulu rassurer Agnès Pannier-Runacher. L’objectif : « faire en sorte qu’il ne soit pas une usine à gaz trop complexe pour les élus des territoires ».

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