« Face aux risques naturels, nous sommes toujours dans la réaction et jamais dans l’anticipation », déplore Sébastien Leroy, maire de Mandelieu
Par Alexis Graillot
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Des crues historiques dans le Pas-de-Calais en novembre 2023 puis en janvier 2024, en passant par les incendies gigantesques en Gironde au cours de l’été 2022, mais aussi une période de sécheresse en plein mois de février 2023 dans les Pyrénées-Orientales. Plus récemment, nous avons encore en mémoire les crues dans les départements de la Gironde et des Deux-Sèvres historiquement peu touchés par ces phénomènes.
En bref, les exemples ne manquent pas ces dernières années pour constater un redoublement des aléas climatiques mais également une aggravation de leurs impacts sur les territoires, plongeant les populations entre colère, incompréhension, anxiété, lassitude et fatalisme.
Les émotions se mêlent, les enjeux se croisent, et questionnent, selon les mots de la présidente de la Délégation des collectivités territoriales au Sénat, Françoise Gatel, le « modèle de développement » des collectivités.
« 2/3 des communes concernées par au moins un risque naturel »
La sénatrice d’Ille-et-Vilaine a rappelé dans son propos liminaire que « ce qui était un phénomène exceptionnel devient un phénomène récurrent et préoccupant », puisqu’aujourd’hui, « deux tiers des communes sont concernées par au moins un risque naturel ». Cette multiplication des risques n’est pas sans conséquence puisque le risque inondation en lui-même concerne « 17 millions de personnes » selon Hervé Gillé, sénateur socialiste de la Gironde, département largement touché par les inondations de ces derniers jours.
Dans son sillage, le maire de Mandelieu-La Napoule et co-président de la mission prévention des risques, Sébastien Leroy précise que son territoire a été « dévasté par 3 incendies en moins de 4 ans », dépeignant une « situation particulièrement grave qui ne va que s’accentuer ». « Nous allons affronter des événements de plus en plus dévastateurs et imprévisibles » avance-t-il, soulignant que « des territoires qui n’ont jamais été frappés vont l’être par des risques qu’ils ne soupçonnent probablement même pas et ceux qui ont été dévastés le seront quant à eux davantage ». « Malheureusement, ce constat est à la fois tiré de l’enseignement que nous sommes toujours dans la réaction mais pas dans l’anticipation, que les efforts budgétaires qui sont débloqués le sont pour des réparations ,et que des crédits qui peuvent être alloués pour des modifications de transformation du territoire sur la résilience ne peuvent pas être mis en œuvre pour des questions de complexité ou de normes environnementales ou parfois même de contradictions entre différentes lois » s’alarme l’édile.
« Après les crues de l’Aa en 2002, nous pensions être relativement armés », déplore Christian Leroy, président de la communauté de communes du Pays de Lumbres, rappelant que les crues sur le territoire pas-de-calaisien ont été plus importantes en novembre 2023. « Nous étions dans cette logique de reconstruction sauf qu’en janvier 2024, les phénomènes d’inondation ont été plus importants qu’en novembre car les sols étaient totalement saturés d’eau » se désole l’élu, qui met en exergue « des impacts terribles puisque des habitations ont été inondées une deuxième fois (…), des cultures ont été perdues (…) et des industriels ont été touchés », faisant notamment référence à l’industrie papetière, vaste pourvoyeuse d’emplois dans la région. « On pensait qu’on avait un peu de temps devant nous (…) mais on va devoir s’adapter plus vite qu’on avait prévu » constate-t-il, déplorant un nouveau phénomène de « pluvio-anxiété » : « Désormais, la moindre goutte d’eau crée un stress terrible avec une impossibilité à se concentrer au travail ».
De la même manière, « 1/3 des emplois pourraient être menacés par ces enjeux », ce qui pose, selon Hervé Gillé, des interrogations sur des territoires où « les coûts de réhabilitation des digues sont tels que les fonds Barnier (qui « permet de soutenir des mesures de prévention ou de protection des personnes et des biens exposés aux risques naturels majeurs ») ne peuvent pas apporter les fonds supplémentaires ». « On est au pied du mur » lance-t-il.
« Le droit français est complètement déconnecté »
Ce « pied du mur », le sénateur de la Gironde ne semble pas être le seul à s’en inquiéter, le maire de Mandelieu-La Napoule, Sébastien Leroy, s’en prenant à l’architecture juridique française : « L’état du droit français est totalement déconnecté de cette réalité et n’est pas aujourd’hui en capacité de relever ce défi non seulement par sa complexité, sa contradiction en termes de normes, de réglementations et de loi et par la dispersion de l’autorité entre les différents acteurs de l’Etat ».
Une situation qui place les maires selon l’élu dans une position extrêmement délicate : « Le maire se retrouve dans une situation inextricable puisqu’il doit sensibiliser à la fois ses habitants sur des risques dont il n’a parfois pas la connaissance précise, gérer des crises avec des moyens qui ne sont pas adaptés et préparer son territoire à affronter les crises suivantes ». « Tout est fait pour empêtrer son action » tance le co-président de la mission prévention des risques.
« Nous avons recensé 243 PAPI (programme d’actions de prévention des inondations, en d’autres termes, un « un appel à projets concourant à la prévention des risques d’inondation ») qui constituent des processus pertinents mais relativement lourds » constate Hervé Gillé. Un avis que partage Stéphane Coudert, directeur territorial du CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) Hauts-de-France, établissement public qui intervient régulièrement sur ces PAPIs, qui alerte sur « des études complexes et coûteuses avec des injonctions contradictoires ». « Nos CT ont besoin d’être accompagnées par le CEREMA » remarque de son côté Françoise Gatel pour qui « la coordination ne peut marcher que lorsque les gens se connaissent et qu’ils ont travaillé ensemble sur le sujet ».
« Le statut de l’élu local doit être repensé »
Ces considérations passées et ces « injonctions contradictoires » étant unanimement dénoncées, vient le temps de repenser le statut de l’élu local, en premier lieu celui en première ligne face à ces aléas : le maire. « Le statut du maire n’est plus adapté à la mission qui est la sienne, en particulier s’il est sur un territoire à risque, il est responsable personnellement et pénalement de tout ce qui peut arriver y compris de ce qui n’est pas de son fait et peut être poursuivi de manière extrêmement active », constate amer, Sébastien Leroy, arguant qu’il est nécessaire de « travailler sur la rémunération des élus », « un maire d’une petite commune ayant la même responsabilité qu’un édile d’une grande métropole car il doit tout gérer par lui-même ».
Maire d’un côté, préfet de l’autre, le maire de Mandelieu-La Napoule renvoie l’Etat à ses responsabilités : « Aujourd’hui, le délai pour obtenir des autorisations afin de réaliser des ouvrages sur des cours d’eau est de 10 ans », plaçant le maire « dans une impasse ». Pour l’édile, il faut « rétablir l’autorité du préfet au niveau local pour qu’il puisse être avec le maire dans une action libre et un contrôle a posteriori dès qu’il y a urgence ». La présidente de la Délégation des collectivités territoriales, Françoise Gatel poursuit le propos, mettant en avant l’ « impérieuse urgence et nécessité d’avoir un patron dans les territoires qui doit avoir une autorité réelle sur l’ensemble des services connectés ».
Pour autant, pas question pour l’ensemble des élus locaux interrogés, quel que soit leur échelon d’évacuer leurs responsabilités. Pour le sénateur Hervé Gillé, il y a « des vrais efforts à faire sur les nouvelles architectures sur les territoires inondables ». La gestion du fil de l’eau est une stratégie majeure et doit être intégrée dans les documents d’urbanisme ». Même son de cloche pour Sébastien Leroy : « Le plan intercommunal de sauvegarde peut laisser penser à l’édile qu’il n’est plus responsable. (…) Il faut redonner au maire la liberté d’aménager son territoire et de rendre des comptes ». « La catastrophe et le fléau ne se renseignent pas au préalable sur la carte administrative » ironise de son côté Françoise Gatel, pour qui nous devons « être à l’échelle de pertinence car certaines communes impactées le sont parfois en raison des décisions d’autres communes ».
Quoiqu’il en soit, les intervenants partagent la nécessité pour les élus d’exercer un « travail de pédagogie encore plus fort » afin d’intégrer une « culture du risque » et au-delà même, une « mémoire de risque » afin de tirer les leçons des événements passés pour mieux reconstruire. A ce titre, « les projets AMITER qui visent à faire des territoires tests dans lesquels on réfléchit à comment aménager le mieux par rapport à un risque constituent un bon exemple » note Didier Felts, responsable du groupe Eau Risques Résiliences chez Cerema. « La résilience, c’est d’abord repenser nos actions » souligne-t-il.
A l’aube de la future loi sur le statut de l’élu qui a débuté son examen ce mercredi 28 février en commission des Lois du Sénat, Françoise Gatel, qui a porté cette proposition, promet : « Nous allons mettre en place une autorisation d’absence du maire pendant les calamités », concluant par une maxime : « Si tout n’est pas dans la loi, il existe un esprit à préserver pour que la loi soit au service de la finalité de l’exercice ».
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