Panneau Agriculture Biologique

Filière bio : des agriculteurs qui se sentent « inquiets » et « abandonnés »

Les agriculteurs bio estiment avoir été lésés lors des négociations entre le gouvernement et les agriculteurs. Sur le plan environnemental, ils dénoncent des engagements qui n'ont pas été tenus. Ils se rassemblent devant l’Assemblée nationale ce mercredi, car ils s’estiment être les grands oubliés du gouvernement.
Rédaction Public Sénat

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Dans un communiqué publié le 2 février, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) estime que les agriculteurs bio ont été « abandonnés » par le gouvernement au moment de la négociation de sortie de crise. Aujourd’hui, le secteur bio, déjà fragilisé par les aléas climatiques, doit aussi faire face à une chute de la demande. Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, pointe du doigt différents facteurs à cette crise : une forme « d’industrialisation » de la filière (qui cherche à faire des économies d’échelle), la fin de l’aide au maintien, ou encore la mise en concurrence entre le label bio et le label HVE (Haute valeur environnementale). Pour y répondre, les sénateurs écologistes et les agriculteurs bio demandent un soutien public à la hauteur des enjeux et le respect de toutes les normes environnementales.

Une aide de 271 millions d’euros

Parmi les premières réponses de Gabriel Attal aux agriculteurs, la mise en place d’une aide d’urgence de 50 millions d’euros pour la filière bio avait été annoncée. La sénatrice Antoinette Guhl (Les Écologistes) dénonce une somme insuffisante pour les 60 000 fermes engagées en bio : « Cela reviendrait à moins de 1000 euros par ferme, dans un contexte d’effondrement de la demande. ». Philippe Camburet, le président de la Fédération nationale de l’agriculture biologique NAB, lui, invite le gouvernement à s’engager à hauteur de 271 millions d’euros. Les députés s’étaient déjà mis d’accord sur cette somme lors du vote du projet de loi finances 2024, en novembre dernier. L’amendement transpartisan avait finalement été supprimé par l’exécutif, avant l’adoption du projet de loi via l’article 49-3.

Outre l’adoption d’un fonds d’urgence, Antoinette Guhl insiste sur l’importance de l’encadrement des marges pour les distributeurs. Selon elle, ces derniers ont profité de la hausse de la demande en bio pour s’octroyer une marge plus importante : « Pour un kilo de pommes non bio, la marge des distributeurs est de 87 centimes. Pour un kilo de pommes bio, la marge est de 2,17 euros ». La sénatrice de Paris déplore un « système perdant-perdant » dans lequel les consommateurs finissent par se déporter vers des produits moins chers, mais « nocifs pour la santé ».

Les sénateurs écologistes et les agriculteurs de la filière bio, partagent les revendications de tout le secteur et exigent également l’application des lois Egalim. Philippe Camburet revient notamment sur la disposition de 2018. Le texte prévoyait que la part des produits bio constitue 20% de l’offre en restauration collective : « L’objectif aurait dû être atteint en janvier 2022. Deux ans plus tard, on a atteint uniquement 10% du marché ». Antoinette Guhl ajoute, elle, que cette obligation devrait également être « étendue à toute la restauration commerciale ».

Arrêt du plan Ecophyto : un problème de santé publique

Pour répondre aux demandes de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, le premier Ministre a annoncé une mise à l’arrêt du plan Ecophyto. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique a de son côté annoncé une révision du texte, qui aboutira fin février. Laurence Marandola, fait part de son inquiétude, alors que la Confédération paysanne n’a toujours pas été consultée à l’heure actuelle : « Cela ne nous évoque rien de bon ». Elle rappelle que lors du dernier vote début janvier, le syndicat s’était prononcé contre l’adoption de ce plan. Si elle concède que des mesures intéressantes avaient été intégrées, elle déplore néanmoins l’absence d’objectif clair de réduction des pesticides.

La FNAB partage la réserve de la Confédération paysanne, et s’inquiète de voir certaines mesures disparaître, tels que le doublement des surfaces bio d’ici 2030 ou encore la possibilité d’indemniser les agriculteurs bio, dont les cultures ont été contaminées par les pesticides des producteurs voisins.

La sénatrice Antoinette Guhl fustige, elle, un problème de santé publique : « Ca n’est certainement pas en supprimant les normes que l’on permettra une meilleure qualité de vie des paysans ». Elle rappelle que les agriculteurs restent les principales victimes de la pollution phyto sanitaire, comme le précise une étude de Santé Publique France (2021).

Renforcer la politique commune européenne

Ce mardi, Ursula von der Leyen a annoncé vouloir « retirer » le projet législatif visant à réduire de moitié l’usage des pesticides dans l’Union Européenne d’ici 2030. Philippe Camburet considère cette décision comme « un très mauvais signal envoyé à l’agriculture biologique ». Pour le président de la FNAB, aujourd’hui, la filière bio a besoin d’un « Green Deal renforcé ». Selon lui, l’objectif d’atteindre 25% de surfaces bio en 2030 est en train de s’éloigner. Il prend notamment pour cible les velléités de l’agriculture conventionnelle qui souhaite « libéraliser toujours plus en renforçant l’utilisation de l’eau et des OGM, tout en accordant une part minime à la recherche. »

De son côté, la porte-parole de la Confédération paysanne fustige une annonce « extrêmement grave » qui confirme « l’abandon de toute ambition de politique commune ». Mais pour Laurence Marandola, le plus grand risque pour l’agriculture biologique en Europe ce sont les NGT (les nouveaux OGM), qui empêcherait toute traçabilité des produits.

À l’échelle européenne, la FNAB, elle, défend une réorientation de la Politique agricole commune (PAC). Philippe Camburet insiste notamment sur la nécessité d’une rémunération pour accompagner les mesures de protection environnementales. Il évoque notamment la réduction des produits phyto-sanitaires pour protéger la qualité de l’eau, la lutte contre l’effondrement de la biodiversité, et enfin la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il rappelle notamment que « l’agriculture biologique a le bilan carbone le plus prometteur, car elle n’utilise pas d’engrais azotés de synthèse ».

La mobilisation se poursuit

Si la Confédération paysanne se réunira ce mercredi pour décider des suites de sa mobilisation, la FNAB, elle, a donné rendez-vous à ses soutiens devant l’Assemblée nationale ce 7 février. Leur objectif : « Nous voulons les convaincre du coût réel de l’agriculture biologique pour la société. Notre bilan est bien moindre que celui de l’agriculture qui pollue et qui rend malade. ».

Le salon de l’Agriculture se tiendra à Paris du 24 février au 3 mars. Un rendez-vous très attendu par la FNAB, qui attend des réponses concrètes sur l’avenir de la filière bio en France. Face aux difficultés, les producteurs craignent que la filière n’attire plus assez de nouvelles installations, voire, qu’elle ne parvienne plus à retenir ceux qui finissent par se tourner vers l’agriculture conventionnelle.

Myriam Roques-Massarin

Dans la même thématique

Tractor spray fertilise field pesticide chemical
8min

Environnement

Nouveau Plan Ecophyto : au Sénat, la droite applaudit et les écologistes dénoncent un « grand recul »

C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route on n’aura plus rien pour les années d’avant, on va avoir une grosse baisse, c’est normal » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

Le

Filière bio : des agriculteurs qui se sentent « inquiets » et « abandonnés »
5min

Environnement

Environnement : le Portugal, paradis des énergies vertes ?

En 2023, la production d’énergies renouvelables a atteint un record historique au Portugal. Bénéficiant des vents de l’Atlantique, le pays s’appuie sur l’énergie éolienne, et fait le pari de l’innovation. Reportage.

Le