Gaz russe : « TotalEnergies respecte totalement les sanctions européennes », appuie Stéphane Séjourné

Auditionné par la commission d’enquête sur les obligations de TotalEnergies en matière climatique, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a ménagé la chèvre et le chou tout au long de son audition, dans la lignée des précédentes auditions de ses collègues du gouvernement, Bruno Le Maire et Christophe Béchu. Bousculé par plusieurs sénateurs de gauche sur les activités du groupe en Russie et en Afrique subsaharienne, le locataire du quai d’Orsay a estimé que ce n’était pas le rôle de la France d’intervenir dans les choix souverains des Etats étrangers, ainsi que des décisions d’investissement d’entreprises privées comme le géant français.
Alexis Graillot

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Un ministre en cache souvent un autre. Fraîchement nommé dans le gouvernement de Gabriel Attal au quai d’Orsay, l’ancien patron de Renaissance, a lui aussi passé son oral devant la commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies, afin d’expliciter la politique étrangère de la France en matière d’investissements étrangers. A la clé, des réponses qui n’ont pas toujours convaincus les sénateurs, face à un ministre, qui pour le coup, a tenu une position très diplomatique, soucieux de ne fâcher personne, rappelant que l’entreprise agissait « dans le cadre strictement légal ». Une affirmation que ne conteste pas les ONG, qui auditionnées il y a deux jours, ont déploré les « failles » mêmes de ces dispositifs légaux.

« Total est peut-être soumis à des réglementations plus dures et plus restrictives qu’un certain nombre d’entreprises, qui n’ont pas le devoir de vigilance », défend le ministre, qui assure qu’« il vaut mieux que ça soit une entreprise française qui a plus de réglementations et plus de contraintes, que d’autres entreprises qui participent à ces marchés », faisant référence à certains projets très controversés d’extraction d’énergies fossiles en Afrique. Toutefois, il balaye les arguments d’une quelconque responsabilité française dans ces projets : « On ne peut pas contraindre les pays de développer leur propre mix énergétique dans le cadre des accords internationaux qui ont été pris », explique-t-il, estimant que « ce n’est pas au quai d’Orsay d’empêcher un certain nombre d’engagements commerciaux sur lesquels les entreprises se déterminent elles-mêmes ». « Notre objectif est de donner une lecture géopolitique et une expertise à toutes les entreprises françaises qui souhaitent investir dans un pays » … expertise non réclamée aujourd’hui par TotalEnergies.

« Appuyer notre commerce extérieur et la stratégie d’export de nos entreprises »

Dans la lignée de son collègue à la Transition écologique, Christophe Béchu, auditionné quelques minutes plus tôt, le ministre réitère que « le soutien à nos intérêts économiques est au cœur de la politique étrangère de la France », et ceci « en pleine cohérence avec l’agenda ambitieux sur les enjeux climatiques, environnementaux et les droits humains ». Une stratégie qui passe selon le ministre, par « appuyer notre commerce extérieur et la stratégie d’export de nos entreprises ». « Nous aidons nos entreprises à appréhender le contexte politique, économique et social local », explique-t-il, rappelant les obligations des firmes en matière de « devoir de vigilance » et d’« obligations de transparence ».

« La France doit continuer à peser dans le monde et cela dépendra de la capacité de nos entreprises à s’implanter sur les marchés étrangers et s’implanter dans le tissu économique », insiste le locataire du quai d’Orsay, pour qui ces actions représentent une « nécessité » et un « devoir », tout en s’inscrivant dans un « cadre très précis ». Un cadre « qui ne passe pas par un soutien financier aux projets d’exportation », répète-t-il, détaillant : « L’Etat français ne finance pas les activités du groupe à l’étranger en matière d’exploration, de production, de transport ou même de stockage des énergies fossiles, et l’Etat n’est pas actionnaire non plus du groupe et ne participe donc pas à ses instances de gouvernance », se défend-il, souhaitant ainsi prouver l’incapacité de son ministère d’avoir, de quelque manière que ce soit, une influence quelconque sur le processus décisionnel du groupe.

Cette démonstration n’a guère convaincu les sénateurs, en premier lieu, Pierre Barros, élu communiste du Val-d’Oise : « Quand on écoute tous les ministres, Total doit être un partenaire, un atout et une entreprise française qui doit accompagner la politique de la France dans les objectifs du GIEC, et qui pour le coup, est une piètre contributrice de l’effort aussi au niveau national », tempête-t-il, dénonçant un « dumping international » du groupe. De son côté, le ministre des Affaires étrangères explique, tout comme Christophe Béchu, que « Total se diversifie dans le renouvelable ».

 Est-ce que (...) vous assumez d’être dans la continuité de cette politique qui met l’appareil diplomatique français au service de Total, pour qu’il développe de nouveaux projets, notamment de pétrole et de gaz dont on sait pertinemment qu’ils sont une faute climatique ? 

Yannick Jadot, sénateur écologiste de Paris

Les actions du groupe dans certains Etats au cœur des discussions

Un argumentaire loin de convaincre le rapporteur écologiste de la commission d’enquête, Yannick Jadot, qui à plusieurs reprises, a interpellé le ministre sur les ambigüités stratégiques de la diplomatie française : « Est-ce qu’à l’image d’un de vos prédécesseurs, Jean-Yves Le Drian (NDLR : qui avait lui aussi été auditionné il y a quelques semaines par le Sénat), vous assumez d’être dans la continuité de cette politique qui met l’appareil diplomatique français au service de Total, pour qu’il développe de nouveaux projets, notamment de pétrole et de gaz dont on sait pertinemment qu’ils sont une faute climatique ? », tonne l’ex-candidat à la présidentielle, appelant à sortir de la « malédiction du pétrole ». L’élu de Paris se déclare « choqué » de l’inauguration de champs gaziers en Azerbaïdjan, alors que ce dernier « organise l’épuration ethnique [des Arméniens] au Haut-Karabagh ».

Faisant part de son inquiétude sur les activités du groupe au Mozambique, alors que les services français dénotent « quelques 1500 personnes tuées ou disparues à la suite des attaques djihadistes » dans le pays, Yannick Jadot poursuit en s’indignant du mégaprojet pétrolier de l’entreprise en Ouganda, décrivant « un projet qui déplace des dizaines de milliers de personnes, dans des cadres extrêmement répressifs avec un risque environnemental majeur ». « Total étant la France en Ouganda, que fait-on pour que la France ne soit pas associée à un projet extrêmement dangereux pour le climat, pour l’environnement et les populations locales ? », se demande-t-il.

Une inquiétude partagée par son collègue socialiste Jean-Claude Tissot : « Est-ce que votre gouvernement, dès l’invasion de la Russie en Ukraine, a formellement demandé à Total Energies de se retirer de la Russie ? », interroge-t-il. Sans répondre directement à la question, Stéphane Séjourné affirme que la France a « poussé pour tout un paquet de sanctions », minimisant ses importations en gaz. Reconnaissant néanmoins qu’« il reste encore un certain nombre d’exportations sur le GNL (NDLR : Gaz naturel liquéfié) », ainsi qu’un « volet infime » en matière de gaz (15% du gaz utilisé en France provient de Russie, « soit 4% du mix énergétique »), le ministre rappelle sa volonté que « la France soit totalement autonome en hydrocarbures russes », d’ici 2027, bottant en touche sur d’éventuelles collusions de TotalEnergies avec le régime du Kremlin : « Total respecte totalement les sanctions européennes », appuie-t-il.

Sur les critiques de Yannick Jadot, Stéphane Séjourné se montre plus offensif, estimant qu’il revient « aux pays de décider ce qu’ils font de leurs propres ressources dans le cadre des engagements internationaux qu’ils ont pris ». « Pas de mansuétude » non plus sur l’Azerbaïdjan, le ministre martelant que « la France n’importe pas de gaz en provenance de ce pays ». Quant au très controversé projet tanzano-ougandais, il déploie un argument similaire à celui qu’il a employé quelques minutes plus tôt envers la Russie : « La France n’est pas partie [prenante] du projet porté par Total en Ouganda et en Tanzanie », indique-t-il.

 Pour 2024, les négociations climatiques s’annoncent difficiles 

Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères

« Eviter tous les risques de conflit d’intérêt »

Une fois n’est pas coutume, ces propos ont suscité a minima le scepticisme de Yannick Jadot, qui dénonce des « portes tournantes » entre des fonctionnaires qui ont longtemps travaillé au sein des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, avant de rejoindre TotalEnergies. Chiffres à l’appui, Stéphane Séjourné se défend de tout conflit d’intérêt, précisant que « huit diplomates ont effectué une mobilité depuis vingt ans », en direction du groupe français. « Fin 2023, nous avions 434 agents en mobilité extérieure du ministère dont huit au sein d’ONG, soit autant qu’à Total », assure-t-il, rappelant que ces mobilités sont « sous contrôle de la HATVP (NDLR : Haute autorité pour la transparence de la vie publique) ». « Dans ce cas, pouvez-vous vous engager à ce que le gouvernement ne donne plus de badge dans les COP aux lobbies des énergies fossiles et particulièrement à Total ? », interpelle Yannick Jadot. « Il vaut mieux avoir dans le cadre des discussions, ceux qui participeront à la solution et doivent transformer le modèle, que ne pas les avoir », tempère le chef du quai d’Orsay, assurant néanmoins que « nous devons être très cohérents et très vigilants pour éviter tous les risques de conflit d’intérêt dans le cadre des discussions et des négociations ».

Défendant la position française, il constate que l’Hexagone est « le seul pays à plaider à la COP28 en faveur d’un calendrier précis des énergies fossiles d’ici 2050 », tout en étant « pleinement conscients que de tels engagements peuvent aussi heurter la stratégie de développement et de croissance de certains pays ». A cet égard, il concède que « pour 2024, les négociations climatiques s’annoncent difficiles », tout en rappelant les engagements présidentiels de « six milliards d’euros par an en faveur des pays les plus vulnérables ».

La commission d’enquête reprendra ses travaux tambour battant le lundi 29 avril avec l’audition de …. Patrick Pouyané, PDG du groupe.

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