LA-CHAPELLE-BASSE-MER : Watering system for agriculture.

Gestion de l’eau : « La sobriété n’est plus une option », alerte un rapport sénatorial

Hervé Gillé, le rapporteur de la mission d’information sur la gestion de l’eau, « écarte l’idée d’un moratoire » pour les bassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Adopter un moratoire est jugé trop politique, alors que les sénateurs veulent « remettre les gens autour de la table ». C’est la conclusion de cette mission : il faut recréer un dialogue entre tous les acteurs (Etat, élus locaux, agences de l’eau, agriculteurs, etc.) pour revoir notre gestion de l’eau.
François-Xavier Roux

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En février 2023, le groupe socialiste a demandé une mission d’information sur la gestion de l’eau. L’été 2022 a joué un rôle de révélateur sur les « limites capacitaires de nos gestions de crises ». Le mois de juillet 2022 a été déficitaire de 88% en eau, 600 arrêtés de restrictions ont été pris sur la saison. Mais les sénateurs veulent avant tout calmer le débat. Sans nier les « tensions hydriques » existantes, le rapporteur Hervé Gillé (PS) appelle à ne pas plonger dans « l’approche apocalyptique » sur le futur de l’eau. La mission d’information s’est fixée comme objectif « d’aller dans le factuel ». C’est pourquoi ils rejettent l’idée d’un moratoire pour les méga-bassines des Deux-Sèvres, demandé parles opposants. Ils portent plutôt le projet d’une médiation, avec tous les acteurs. Pour Hervé Gillé, « il faut aller jusqu’au bout », dans une démarche expérimentale, pour « consolider la connaissance ».

Un appel à « réarmer la politique publique de l’eau »

« Le sujet mobilisera malheureusement dans les semaines, les mois et les années à venir », regrette Hervé Gillé. La gestion de l’eau est source de crispation, et les tensions hydriques renforcent le besoin de gouvernance. Rémy Pointereau (LR), président de la mission d’information, déplore l’absence de politique nationale de gestion quantitative de l’eau depuis 23 ans, qui « risque de nous emmener dans le mur ». En 1999, Dominique Voynet, alors ministre de l’Aménagement du territoire, « a stoppé tous les grands projets de barrages ». Au cours de leurs travaux, les sénateurs ont constaté que la répétition des phénomènes de sécheresse fait naître « une grande détresse, une grande souffrance de toutes parts ». Recréer une politique de l’eau c’est soigner cette souffrance, mais aussi « défendre la souveraineté et l’indépendance alimentaire ».

En février, Emmanuel Macron a dévoilé un « plan-eau ». A travers 53 mesures, il projette de réduire de 10 % la quantité d’eau prélevée d’ici 2030, pour les secteurs de « l’énergie, l’industrie, le tourisme, les loisirs, l’agriculture ». Hervé Gillé se félicite que ce « plan aille dans le bon sens », mais sur le volet financier, il le juge « insuffisant ». La situation « n’est pas forcément dramatique », mais si elle se répète trop souvent, un manque de moyens pourrait entrainer une catastrophe. « Il faut se préparer » et « amorcer d’autres chemins pour améliorer la gestion de l’eau ». Le sénateur détaille que les précipitations ne vont pas diminuer, mais qu’elles seront différentes : 15% en plus en hiver, mais en parallèle il y aura une diminution de 10% en été. Pour éviter des crises trop importantes, il faut « une meilleure connaissance de la ressource, mais surtout une meilleure connaissance des prélèvements ». Toutefois, il affirme qu’actuellement « la sobriété n’est plus une option ».

Une gestion qui doit s’effectuer à tous les niveaux

Dans la gestion de crise, il est inconcevable pour les sénateurs de ne pas inclure les plus petits échelons territoriaux. « Il faut engager tout le monde, dans des chemins collectifs et des chemins partagés », détaille Hervé Gillé. En gestion de crise, les réponses apportées sont parfois identiques, comme les mesures restrictives. Cependant, certaines réponses sont « sources d’absurdités environnementales ». Le sénateur soutient une gestion de crise qui « doit s’affiner de plus en plus ». Pour cela, il faut « expertiser et affiner » au niveau local. Il est préconisé la création de « commissions locales de l’eau » (CLE) dans chaque sous-bassin. Les CLE devront avoir la capacité d’adaptation d’un schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), qui colle aux besoins réels de la localité. « Chaque projet se caractérise en fonction du territoire », explique le rapporteur. Il recommande d’inscrire une « gestion de l’eau plus volontariste dans les documents de planification », comme les PLU. Les élus locaux ont un « rôle primordial dans l’animation de la concertation et de l’animation » sur les projets de réserves, sujet dont ils sont « trop souvent dépossédés ».

La gestion de l’eau, c’est aussi la « mobilisation de tout à chacun, à la fois collectivement qu’individuellement ». A tous les niveaux, les sénateurs appellent à revoir la gestion de l’eau. A l’échelon le plus bas, ils suggèrent « la mise en place de mini-parlements de l’eau », et cela dans tous les territoires. Les départements ont un rôle dans l’ingénierie. Ils doivent être à « la croisée des chemins », alors que les régions doivent s’affirmer dans « la recherche ». La mission d’information conclut à « une solidarité nationale », dans la construction des projets. Les sénateurs préconisent la création d’un « cabinet d’ingénierie » pour venir en renfort des collectivités. Et l’Europe doit accompagner les processus d’irrigations. Ils proposent ainsi un schéma en entonnoir, où chaque niveau est indispensable pour accompagner l’échelon du dessous. Le rapporteur espère un entretien avec Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, pour présenter ses recommandations, et pour que l’exécutif s’en inspire dans la réflexion qu’il mène.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route, on fausse toutes les références, on  va constater une baisse significative qui ne correspond pas à la réalité » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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