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Green Deal : « Si nous faisons une pause, notre transition écologique sera made in China »

Le Green Deal ou Pacte vert européen cristallise la colère des agriculteurs dans toute l’Union européenne. En réponse, la Commission a déjà fait un pas en arrière en retirant un texte clé qui visait à réduire de moitié l’usage des pesticides. Pourtant, d’après les experts, ce paquet de lois si décrié, pourrait être la clé pour l’Union européenne, pour se démarquer à l’avenir des Etats-Unis et de la Chine. Explications avec le podcast « Trait d’Union ».
Audrey Vuetaz

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Des centaines de milliers de manifestants, parfois très jeunes, dans les rues de nombreuses capitales européennes, nous sommes en 2019 et ils participent à la « marche du siècle » pour le climat.

C’est dans ce contexte que le Pacte vert européen ou Green deal voit le jour quelques mois plus tard. Il est porté par Ursula Von der Leyen, la toute nouvelle présidente de la Commission européenne, une Allemande, membre du PPE, la droite conservatrice.

L’écologie, ce n’est pas son cœur de métier, mais elle est influencée par l’arrivée de nombreux députés européens à la fibre écologiste fraichement élus au Parlement. Les citoyens européens ont parlé via les urnes, ils veulent plus d’écologie.

 

Alors tout se lance à marche forcée, avec beaucoup d’ambition. Le Pacte Vert qui regroupe une cinquantaine de textes doit permettre à l’Union européenne d’être neutre en carbone d’ici 2050 et de respecter ainsi les accords de Paris.

« Par exemple, d’ici à 2030, on va devoir doubler la part des énergies renouvelables dans notre mix énergétique, on va devoir aussi réduire très fortement notre consommation énergétique en isolant beaucoup plus les logements, on va également appliquer le principe de pollueur-payeur à l’aviation, au maritime qui jusqu’à présent étaient des secteurs qui n’étaient pas du tout touchés par la politique climatique, » explique Neil Makaroff, directeur du think tank Strategic perspectives et expert des politiques climatiques européennes.

 

En 2023, la machine du Pacte vert se grippe

 

Après une trentaine de textes ambitieux adoptés, et ce, malgré la crise du Covid et la guerre en Ukraine, les premiers freins commencent à se faire ressentir au Parlement européen.

« Le premier texte qui a bloqué, c’est la création d’une taxe carbone sur l’essence et le fioul que les ménages utilisent pour se chauffer. C’est un sujet très sensible politiquement, donc en contrepartie on a créé un fonds social européen pour aider ces ménages à acheter des pompes à chaleurs ou rénover leur logement. Le problème c’est que ce fonds social est beaucoup trop faible dans son montant pour vraiment les aider à faire face, » souligne Neil Makaroff.

 

 

Le paroxysme est atteint l’été dernier sur le texte « restauration de la nature » et notamment sur son volet agricole qui doit permettre de transformer 10% des terres en zones à haute diversité. La droite, l’extrême-droite et certains libéraux tirent à boulets rouges sur cette idée, dans le camp d’en face la gauche et d’autre libéraux veut aller encore plus loin. Les débats se crispent.

 

« On est dans quelque chose de politique, souligne Jérémy Decerle, eurodéputé Renew et éleveur, c’est toujours plus facile de s’adresser à un agriculteur en lui disant qu’on s’est opposés à un texte qui allait lui mettre des contraintes, sans lui expliquer le reste. »

« Depuis quelques mois, on voit monter une vague anti-climat », abonde Neil Makaroff, « pourtant, toute pause réglementaire est dangereuse, parce que la Chine et les Etats-Unis, eux, ne s’arrêtent pas. L’Europe risque d’être déclassée d’un point de vue industriel.  Si on ne fait rien, notre transition écologique va être une transition made in China, nous n’aurons pas d’industrie en Europe, pas d’emploi en Europe. A mon avis, il faut continuer, en accompagnant mieux les ménages et les agriculteurs. Le Pacte vert a été très fort sur le déploiement, maintenant, il faut s’assurer que tout le monde ait les outils de la transition, notamment les classes moyennes et populaires. »

Le volet social de la transition sera donc à construire dans le prochain mandat, si le Pacte vert ne connait pas de coup d’arrêt, après les européennes de juin prochain. 

 

Retrouvez « Trait d’union » le podcast d’Audrey Vuetaz ici

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Nouveau Plan Ecophyto : au Sénat, la droite applaudit et les écologistes dénoncent un « grand recul »

C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route on n’aura plus rien pour les années d’avant, on va avoir une grosse baisse, c’est normal » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. 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