Ces derniers mois, la question des relations tendues entre l’OFB et les exploitants a alimenté la crise agricole. Dans un rapport, le Sénat recommande à l’agence de « rééquilibrer » ses missions, « afin d’atténuer l’image répressive attachée à l’établissement ». Les sénateurs ne souhaitent toutefois pas désarmer la police de l’environnement, véritable ligne rouge pour ses agents.
Le glyphosate réautorisé pour 10 ans ? « La proposition de la Commission européenne est scandaleuse ! »
Par Simon Barbarit
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« Je prends très mal cette décision. Elle va à l’encontre du sens de l’histoire et de la santé publique. Au crépuscule de son mandat de sénateur, l’écologiste, Joël Labbé, auteur de la loi qui bannit depuis 2017 l’utilisation des pesticides dans les espaces publics des collectivités locales et interdit sa vente aux particuliers, ne cache pas son inquiétude en prenant connaissance de la proposition de la Commission européenne.
L’exécutif européen a proposé mercredi de reconduire jusqu’au 15 décembre 2033 l’autorisation du glyphosate dans l’UE, sous certaines conditions. L’usage devra être assorti de « mesures d’atténuation des risques » concernant les alentours des zones pulvérisées. Les équipements devront permettre de réduire drastiquement les « dérives de pulvérisation ». Et l’utilisation pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant récolte) sera interdite.
Pour mémoire, l’autorisation actuelle du glyphosate dans l’Union européenne, principe actif que l’on retrouve dans plusieurs herbicides dont le Roundup, avait été renouvelée en 2017 pour cinq ans. Puis, elle avait été prolongée d’un an dans l’attente d’une évaluation scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Cette étude a relevé « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate, mais reconnu que le manque de données empêchait toute analyse définitive.
Le principe français : « Pas d’interdiction sans solutions de substitution »
La France s’est par le passé montrée proactive dans les restrictions de l’utilisation du glyphosate. Dans le sillage de la loi Labbé, promulguée en 2014, une proposition de résolution proposant d’intégrer ce texte à la législation européenne avait été adoptée à l’unanimité du Sénat. En 2017, c’est sous l’impulsion de la France que les dérogations à l’interdiction du glyphosate, initialement prévu pour 10 ans, avaient été ramenées à 5 ans. Emmanuel Macron avait fait la promesse, cette même année, d’interdire le glyphosate sous trois ans. Depuis son arrivée au pouvoir, soucieux de ménager les agriculteurs, Emmanuel Macron a depuis fait sien le principe de : « Pas d’interdiction sans solutions de substitution ».
« Je pense qu’Emmanuel Macron était surtout influencé par son ministre de l’écologie de l’époque, Nicolas Hulot. On aurait interdit le glyphosate deux ans avant les autres pays européens alors que l’Europe doit parler d’une seule voix. Pour le moment, nous n’avons pas de solutions de remplacement. Les agriculteurs n’utilisent pas des produits phytosanitaires par plaisir, c’est une charge. Mais c’est une molécule indispensable qui permet aussi de mieux capter le CO2 dans le sol. Quant à savoir dans quelle mesure, ce produit est dangereux, je fais confiance aux experts », estime le sénateur Les Indépendants, Pierre Médevielle, co-auteur d’un rapport sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences.
« La commission invite à empoisonner les Européens 10 ans de plus »
Le débat autour de l’interdiction du glyphosate tourne, en effet, régulièrement autour de batailles d’études. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) avait jugé l’an dernier que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de le classer comme cancérogène. Et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a estimé que le niveau de risque ne justifiait pas une interdiction. « Ce sont des études qui prennent en compte uniquement les principes actifs et pas les résidus de ces produits. La plupart sont financées par les parties prenantes, les lobbies de l’agrochimie. La proposition de la Commission est scandaleuse. Elle invite à empoisonner les Européens 10 ans de plus », tance l’eurodéputé écologiste David Cormand.
« Ces études ne prennent jamais en compte l’effet cocktail des adjuvants de ces produits », appuie Joël Labbé.
Interrogée sur franceinfo, Laurence Huc, directrice de recherche à l’Inrae et toxicologue, considère elle aussi que la proposition visant à prolonger l’autorisation du glyphosate « n’est pas basée sur des données sanitaires, mais sur des décisions économiques et politiques ».
« La Commission européenne s’est appuyée sur des recommandations indiquant que le glyphosate ne présente pas de danger particulier »
« L’Inrae est passé progressivement de la recherche appliquée, à la recherche fondamentale pour finir par de la recherche dogmatique. Elle théorise des éléments qui vont dans le même sens et qui ne permettent pas à l’agriculture française de rester compétitive. La commission européenne a été objective et s’est appuyée sur des recommandations indiquant que le glyphosate ne présente pas de danger particulier. Comment aurait-on fait pour lutter contre le chiendent qui a été un fléau pendant des siècles pour toutes les cultures sans glyphosate ? », rétorque le sénateur LR, Laurent Duplomb, co-auteur d’une proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France ».
« L’absence de solution alternative, c’est qu’on nous dit à chaque fois. Mais on a bien réussi à faire autrement après l’interdiction du glyphosate pour les terrains non agricoles », répond Joël Labbé qui garde espoir que la proposition de la commission ne sera pas adoptée par les 27.
Du côté des élus Renaissance, Stéphane Séjourné a affirmé que « cette proposition n’était pas acceptable » et invite la Commission à regarder « le compromis » trouvé en France : « interdiction par défaut. Si pas de solution de substitution, autorisation exceptionnelle », a-t-il résumé sur France Inter.
Une semaine après le discours sur l’Etat de l’Union de la présidente de la commission européenne, David Cormand se remémore les mots d’Ursula von der Leyen qui s’était dit convaincue « que l’agriculture et la protection de la nature peuvent aller de pair ». « A quelques mois des élections, la Commission donne des gages au PPE et à l’extrême droite. La proposition de la commission est la traduction du message qui consiste à dire que l’environnement, ça commence à bien faire », déplore l’eurodéputé.
Avant d’entrer en vigueur, la proposition de la Commission devra être validée par une majorité qualifiée des 27 Etats membres, lors d’un vote le 13 octobre. Si c’est le cas, chaque Etat aura la charge de définir des règles d’utilisation selon les cultures, conditions climatiques et spécificités géographiques locales.
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