Illustration  d un agriculteur qui pulverise son champ avec un desherbant

Le glyphosate réautorisé pour 10 ans ? « La proposition de la Commission européenne est scandaleuse ! »

La proposition de la commission européenne de prolonger l’autorisation du glyphosate dans l’Union jusqu’au 2033 indigne les élus écologistes. Il y a une dizaine d’années, une proposition de loi du sénateur écologiste, Joël Labbé interdisait l’usage du glyphosate pour les terres non agricoles.
Simon Barbarit

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« Je prends très mal cette décision. Elle va à l’encontre du sens de l’histoire et de la santé publique. Au crépuscule de son mandat de sénateur, l’écologiste, Joël Labbé, auteur de la loi qui bannit depuis 2017 l’utilisation des pesticides dans les espaces publics des collectivités locales et interdit sa vente aux particuliers, ne cache pas son inquiétude en prenant connaissance de la proposition de la Commission européenne.

L’exécutif européen a proposé mercredi de reconduire jusqu’au 15 décembre 2033 l’autorisation du glyphosate dans l’UE, sous certaines conditions. L’usage devra être assorti de « mesures d’atténuation des risques » concernant les alentours des zones pulvérisées. Les équipements devront permettre de réduire drastiquement les « dérives de pulvérisation ». Et l’utilisation pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant récolte) sera interdite.

Pour mémoire, l’autorisation actuelle du glyphosate dans l’Union européenne, principe actif que l’on retrouve dans plusieurs herbicides dont le Roundup, avait été renouvelée en 2017 pour cinq ans. Puis, elle avait été prolongée d’un an dans l’attente d’une évaluation scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Cette étude a relevé « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate, mais reconnu que le manque de données empêchait toute analyse définitive.

Le principe français : « Pas d’interdiction sans solutions de substitution »

La France s’est par le passé montrée proactive dans les restrictions de l’utilisation du glyphosate. Dans le sillage de la loi Labbé, promulguée en 2014, une proposition de résolution proposant d’intégrer ce texte à la législation européenne avait été adoptée à l’unanimité du Sénat. En 2017, c’est sous l’impulsion de la France que les dérogations à l’interdiction du glyphosate, initialement prévu pour 10 ans, avaient été ramenées à 5 ans. Emmanuel Macron avait fait la promesse, cette même année, d’interdire le glyphosate sous trois ans. Depuis son arrivée au pouvoir, soucieux de ménager les agriculteurs, Emmanuel Macron a depuis fait sien le principe de : « Pas d’interdiction sans solutions de substitution ».

« Je pense qu’Emmanuel Macron était surtout influencé par son ministre de l’écologie de l’époque, Nicolas Hulot. On aurait interdit le glyphosate deux ans avant les autres pays européens alors que l’Europe doit parler d’une seule voix. Pour le moment, nous n’avons pas de solutions de remplacement. Les agriculteurs n’utilisent pas des produits phytosanitaires par plaisir, c’est une charge. Mais c’est une molécule indispensable qui permet aussi de mieux capter le CO2 dans le sol. Quant à savoir dans quelle mesure, ce produit est dangereux, je fais confiance aux experts », estime le sénateur Les Indépendants, Pierre Médevielle, co-auteur d’un rapport sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences.

« La commission invite à empoisonner les Européens 10 ans de plus »

Le débat autour de l’interdiction du glyphosate tourne, en effet, régulièrement autour de batailles d’études. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) avait jugé l’an dernier que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de le classer comme cancérogène. Et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a estimé que le niveau de risque ne justifiait pas une interdiction. « Ce sont des études qui prennent en compte uniquement les principes actifs et pas les résidus de ces produits. La plupart sont financées par les parties prenantes, les lobbies de l’agrochimie. La proposition de la Commission est scandaleuse. Elle invite à empoisonner les Européens 10 ans de plus », tance l’eurodéputé écologiste David Cormand.

« Ces études ne prennent jamais en compte l’effet cocktail des adjuvants de ces produits », appuie Joël Labbé.

Interrogée sur franceinfo, Laurence Huc, directrice de recherche à l’Inrae et toxicologue, considère elle aussi que la proposition visant à prolonger l’autorisation du glyphosate « n’est pas basée sur des données sanitaires, mais sur des décisions économiques et politiques ».

« La Commission européenne s’est appuyée sur des recommandations indiquant que le glyphosate ne présente pas de danger particulier »

« L’Inrae est passé progressivement de la recherche appliquée, à la recherche fondamentale pour finir par de la recherche dogmatique. Elle théorise des éléments qui vont dans le même sens et qui ne permettent pas à l’agriculture française de rester compétitive. La commission européenne a été objective et s’est appuyée sur des recommandations indiquant que le glyphosate ne présente pas de danger particulier. Comment aurait-on fait pour lutter contre le chiendent qui a été un fléau pendant des siècles pour toutes les cultures sans glyphosate ? », rétorque le sénateur LR, Laurent Duplomb, co-auteur d’une proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France ».

« L’absence de solution alternative, c’est qu’on nous dit à chaque fois. Mais on a bien réussi à faire autrement après l’interdiction du glyphosate pour les terrains non agricoles », répond Joël Labbé qui garde espoir que la proposition de la commission ne sera pas adoptée par les 27.

Du côté des élus Renaissance, Stéphane Séjourné a affirmé que « cette proposition n’était pas acceptable » et invite la Commission à regarder « le compromis » trouvé en France : « interdiction par défaut. Si pas de solution de substitution, autorisation exceptionnelle », a-t-il résumé sur France Inter.

Une semaine après le discours sur l’Etat de l’Union de la présidente de la commission européenne, David Cormand se remémore les mots d’Ursula von der Leyen qui s’était dit convaincue « que l’agriculture et la protection de la nature peuvent aller de pair ». « A quelques mois des élections, la Commission donne des gages au PPE et à l’extrême droite. La proposition de la commission est la traduction du message qui consiste à dire que l’environnement, ça commence à bien faire », déplore l’eurodéputé.

Avant d’entrer en vigueur, la proposition de la Commission devra être validée par une majorité qualifiée des 27 Etats membres, lors d’un vote le 13 octobre. Si c’est le cas, chaque Etat aura la charge de définir des règles d’utilisation selon les cultures, conditions climatiques et spécificités géographiques locales.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route, on fausse toutes les références, on  va constater une baisse significative qui ne correspond pas à la réalité » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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