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Les pistes des sénateurs pour concilier transition écologique et patrimoine traditionnel

La sénatrice Sabine Drexler (apparentée LR) a étudié comment concilier la rénovation énergétique du bâti ancien et la transition écologique. Cette mission part du constat que les politiques actuelles risquent de détruire le « patrimoine traditionnel » de la France. Sans se « soustraire » à la transition écologique, la sénatrice préconise une « adaptation » des méthodes de rénovation et des politiques pour préserver le patrimoine bâti.
François-Xavier Roux

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En 2021 est promulguée la loi « Climat et résilience » qui vise à lutter contre le dérèglement climatique. Elle instaure notamment le diagnostic de performance énergétique (DPE), obligatoire pour vendre et louer un bien immobilier. La sénatrice pointe un outil « inadapté » au bâti ancien, et qui atteint directement à sa préservation. Datant d’avant 1948, il représente 30 % du parc immobilier, soit 10 millions de logements. Il nécessite un « savoir-faire particulier mis en péril » par la rénovation énergétique. Sabine Drexler met en avant les atouts spécifiques du bâti ancien, comme une faible consommation énergétique, pour demander des politiques plus adaptées. Jusqu’alors, le DPE impose les mêmes critères de rénovation énergétique au bâti ancien qu’aux constructions récentes. Ces critères sont « inappropriés, inadaptés » pour Laurent Lafon (UC). Pour rentrer dans les clous, certains propriétaires vont détruire les spécificités du bâti ancien traditionnel. La sénatrice prend l’exemple de l’isolation par l’extérieure qui recouvre des maisons à colombages. L’une de ses recommandations est d’interdire ce mode d’isolation pour les maisons avec une façade traditionnelle.

Un « risque de voir disparaître une partie de notre bâti traditionnel », alerte Laurent Lafon

Les sénateurs veulent avant tout alerter sur le risque de disparition du bâti traditionnel. A vouloir lutter contre le réchauffement climatique, Laurent Lafon craint une « uniformisation » de l’immobilier, où les caractéristiques régionales seraient effacées. Pour la rapporteure, la mission d’information a pour but d’éviter « que la France ne se banalise ». La rénovation énergétique répond à un besoin écologique, un besoin de confort mais aussi à une injonction législative. La loi « Climat et résilience » fixe un calendrier de mesures restrictives pour inciter les propriétaires à entamer une rénovation énergétique de leur logement. Le diagnostic de performance énergétique établit une classification – sur une échelle de A à G, G étant appliqué aux logements considérés comme des « passoires thermiques » – du bâti en fonction de la consommation énergétique. En 2025, les logements classés G seront interdits à la location. Les propriétaires vont donc tout mettre en œuvre pour obtenir une meilleure classification, à l’aide d’une rénovation énergétique. Et ce, au détriment du patrimoine architectural traditionnel.

Laurent Lafon, le président de la commission, liste quatre risques majeurs à la rénovation énergétique si elle ne prend pas en compte les spécificités du bâti ancien. Progressivement, les bâtiments classés G, F et E seront interdits à la location d’ici 2034. Cela représente une part importante des logements, qui seraient donc vacants. Les sénateurs craignent l’accélération de « la désertification des centres anciens », qui abritent beaucoup de bâtis anciens. De plus, cela ne ferait « qu’aggraver la crise du logement ». Pour rentrer dans les bonnes classes, les propriétaires entreprendront la rénovation énergétique du bâtiment ancien, ce qui crée un « risque d’effacement progressif du patrimoine ». Avec cette disparition du « patrimoine bâti ancien traditionnel », c’est tout un savoir-faire qui ne serait plus entretenu. Le quatrième risque souligné par le président est « le gaspillage d’argent public », avec des « résultats insatisfaisants et intenables ». Les sénateurs formulent donc 10 recommandations pour une meilleure prise en compte du bâti ancien, et le concilier avec la transition écologique.

« Arriver à concilier les deux problématiques »

C’est le mot d’ordre des sénateurs. Ils ne veulent pas privilégier soit la transition énergétique, soit le bâti ancien. Sabine Drexler se dit « convaincue » sur la possibilité de mener ces deux projets de front, sans que l’un empiète sur l’autre. Mais pour le faire, « il est indispensable d’adapter le cadre juridique applicable ». Jusqu’alors, « le DPE ne prend pas en compte le patrimoine traditionnel quand il n’est pas protégé », avec les monuments historiques par exemple. Alors que certains bâtiments anciens possèdent un vrai ADN. Pour répondre à ce problème, il recommande une « adaptation » du DPE aux spécificités du bâti ancien, ainsi que « le prémunir contre les rénovations thermiques inappropriées ». La sénatrice du Haut-Rhin souligne l’utilisation de matériel naturel dans la construction du bâti ancien, la ventilation naturelle ou la très bonne isolation l’été, que le DPE n’identifie pas. Il est également demandé le calcul de « l’impact environnemental des travaux », faisant souvent exploser le bilan carbone des rénovations énergétiques des bâtiments anciens.

Il est aussi préconisé une meilleure identification du patrimoine ancien, et les connaissances liées, pour apporter des réponses énergétiques adaptées. Les sénateurs consacrent tout un volet sur les métiers ayant trait au bâti ancien. Alors que le métier d’architecte doit évoluer les prochaines années sachant que 80 % des logements de 2050 sont déjà construits, ils recommandent de « donner davantage de place aux questions liées à la réhabilitation du patrimoine bâti ». Tout un travail d’éducation et de sensibilisation doit être mené auprès des propriétaires et des collectivités territoriales pour les informer. La rénovation énergétique du bâti ancien est possible et souhaitable si elle est réalisée en adéquation avec les spécificités du patrimoine immobilier, expliquent-ils. Ces préconisations seront présentées dans les jours qui arrivent au ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, mais aussi à Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture. Le président de la commission souhaite une entrée en vigueur des recommandations avant 2025, année où le retour en arrière ne sera plus possible.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. 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Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. 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