Loi climat : le Sénat met fin aux vols intérieurs en cas d’alternative en train de moins de 2h30

Loi climat : le Sénat met fin aux vols intérieurs en cas d’alternative en train de moins de 2h30

Les sénateurs ont adopté l’article 36 du projet de loi climat et résilience qui interdira les liaisons aériennes nationales régulières, dès lors qu’une alternative en train durant moins de deux heures et demie est possible. La ligne Orly-Bordeaux sera la seule concernée.
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Pas de changement de vol, ni de turbulences. Le Sénat, à majorité de droite et du centre, a voté ce 24 juin l’une des dispositions essentielles et symboliques du projet de loi climat et résilience. Il s’agit de la suppression de lignes aériennes intérieures, lorsqu’une alternative en train de moins de 2h30 existe, la durée défendue à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Sauf si les lignes en question transportent au minimum 50 % de passagers en correspondance, pour éviter le report vers des plateformes étrangères.

« Les lignes concernées sont toutes desservies par le TGV », a précisé Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique. Cette mesure est inspirée des propositions sorties de la Convention citoyenne pour le climat, à ceci près que les citoyens avaient placé la barre bien plus haut, en demandant la fin des vols intérieurs, lorsqu’une alternative en train de moins de quatre heures existe.

L’écologiste Ronan Dantec « surpris » que l’article ait survécu à l’examen en commission

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a suivi l’Assemblée nationale et le gouvernement. Elle a estimé avoir trouvé un équilibre et une « interdiction raisonnable », qui permet d’effectuer un aller-retour dans la même journée et de conserver les « chances de désenclavement des territoires ».

Même si le groupe écologiste du Sénat défendait une durée de 3h30 pour les alternatives en train (soit l’équivalent environ d’un Paris-Marseille), il s’est dit « surpris » que le rapporteur Philippe Tabarot (LR) ne « supprime pas totalement l’article », selon les mots de Ronan Dantec. « En gardant l’article, vous dites bien qu’il y a un vrai coût environnemental spécifique du transport aérien, et que ce n’est pas neutre de faire 2h30 en avion. Il est important qu’il y ait un consensus là-dessus pour dire que ce n’est pas un transport comme les autres. »

Les lignes d’aménagement du territoire préservées

Comme l’amendement écologiste fixant un seuil à 3h30, l’amendement des socialistes repoussant le curseur à trois heures n’a pas été retenu. Pas plus qu’un amendement porté par six sénateurs centristes ou LR pour réduire la durée à deux heures, un seuil moins ambitieux. « On viderait totalement la mesure d’effets », s’est étonnée la ministre Emmanuelle Wargon.

Face aux inquiétudes de certains sénateurs du Rassemblement démocratique social et européen (RDSE) qui craignaient une perte d’attractivité territoriale avec cet article (ils en demandaient la suppression), le rapporteur Philippe Tabarot a rappelé que les lignes d’aménagement du territoire étaient « sanctuarisées ». Ces lignes soutenues par la puissance publique sont vitales pour désenclaver certains territoires.

Les députés avaient fait évoluer le texte, en ajoutant qu’un décret devait permettre de déroger à l’interdiction lorsqu’une ligne aérienne assure « majoritairement » le transport de passagers en correspondance. En commission, les sénateurs ont « clarifié » la disposition en précisant que pour se maintenir, les lignes doivent assurer « à plus de 50 % » le transport de passagers en correspondance. Dans les faits, l’article 36 ne concernerait plus qu’une seule ligne encore ouverte, selon le rapport sénatorial : la ligne Orly-Bordeaux.

Empêcher d’autres compagnies qu’Air France d’ouvrir des lignes en concurrence avec le train

Deux élus de Gironde (Alain Cazabonne, centriste, et Nathalie Delattre, RDSE) ont tenté sans succès de retarder l’entrée en vigueur de l’article de fin mars 2022 à janvier 2023, le temps que les « secteurs économiques » impactés « puissent au mieux s’organiser ». L’amendement n’a pas été adopté, malgré un avis de sagesse du rapporteur.

Air France s’est déjà engagé l’an dernier à arrêter, avant même le projet de loi, trois lignes reliant Orly. Il s’agissait d’une condition pour être renfloué par l’Etat après les pertes dues à la crise sanitaire. L’article du projet de loi aurait essentiellement pour but d’empêcher d’autres compagnies aériennes de prendre le créneau, notamment les compagnies à bas coût qui développent un réseau domestique en France.

Avant la crise sanitaire, plusieurs lignes exploitées par Air France étaient concernées par le périmètre d’interdiction de l’article adopté : trois dessertes vers Orly (Bordeaux, Lyon, Nantes), quatre vers Roissy (Bordeaux, Lyon, Nantes et Rennes) ainsi que la ligne Lyon-Marseille.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. 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Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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