Agriculture epandage de pesticides.

Loi d’orientation agricole : « On risque de créer des conflits entre impératif agricole et santé publique »

Présentée ce 3 avril en conseil des ministres, la loi d’orientation agricole suscite déjà des critiques. Déclaration de l’agriculture comme « intérêt général majeur », assouplissement des sanctions pour infraction environnementale, accélération des procédures de recours contre des projets agricoles… Des voix s’élèvent pour critiquer les reculs environnementaux provoqués par le texte.
Rose-Amélie Bécel

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« La construction d’une ferme des mille vaches deviendra-t-elle prioritaire face à l’enjeu de protection de l’environnement ? » C’est l’interrogation du sénateur socialiste Jean-Claude Tissot, après la présentation en conseil des ministres du projet de loi d’orientation agricole. Attendu par le secteur depuis de longs mois, percuté par la crise, le texte du gouvernement promet notamment d’ériger l’agriculture comme « intérêt général majeur », au même titre que l’environnement.

Une mesure qui suscite la colère des associations environnementales. « L’ajout dans l’article 1 de la notion “d’intérêt général majeur” pour l’agriculture, dont l’impact doit encore être soumis à débat juridique, tend à confirmer une volonté d’opposer développement agricole et environnement », estime le collectif Nourrir, qui fédère plusieurs dizaines d’associations paysannes.

Le ministre de l’Agriculture se défend de toute opposition entre agriculture et environnement

« Bien sûr que cela peut déplaire aux associations ! Pendant vingt ou trente ans, ce sont elles qui ont mis en avant la santé et l’environnement contre tout », rétorque Laurent Duplomb. Pour le sénateur LR, ce projet de loi ne va d’ailleurs pas assez loin pour renforcer la compétitivité de l’agriculture française, minée selon lui par les normes environnementales : « Nous avons l’agriculture la plus respectueuse de l’environnement et la meilleure en termes de qualité au monde. Qu’on arrête d’introduire des injonctions contradictoires qui tuent notre agriculture pour ensuite faire des importations. »

De son côté, Jean-Claude Tissot craint que la mesure ne génère plus de tensions : « On risque de créer des conflits entre impératif agricole et santé publique. Comment seront gérés ces conflits si tous les modèles agricoles, qu’ils soient vertueux ou non, sont considérés comme prioritaires ? »

À la sortie du conseil des ministres, Marc Fesneau s’est défendu de toute volonté d’opposer agriculture et défense de l’environnement dans son projet de loi. « Je n’ai jamais vu un agriculteur m’expliquer qu’il n’y avait pas de besoins de transition, d’amélioration des sols, de penser le cycle de l’eau dans sa durée, ou de réduire l’usage des phytosanitaires », estime le ministre de l’Agriculture.

L’allègement des sanctions en cas d’infraction environnementale, « c’est la porte ouverte à tous les excès »

Au-delà de cette déclaration d’intérêt général majeur, d’autres dispositions interrogent les organisations environnementales. Le gouvernement entend, par exemple, limiter la durée des procédures de recours contre des projets hydrauliques ou la construction de bâtiments d’élevage. Une mesure dangereuse, juge Greenpeace dans un communiqué : « Les projets qui sont le plus contestés devant les tribunaux sont les projets d’agriculture industrielle ayant des conséquences dramatiques sur les territoires. Accélérer les contentieux juridiques est une méthode dysfonctionnelle : plutôt que d’alléger les tribunaux et d’apaiser les débats, cela risque au contraire d’engendrer encore plus de dépôts de recours juridiques et de profonds clivages. »

Autre source d’inquiétude : l’allègement des sanctions en cas d’infraction environnementale. « Lorsqu’une atteinte est involontaire ou due à la méconnaissance, il vaut mieux privilégier une logique de réparation plutôt que d’enclencher une procédure pénale », explique le ministère de l’Agriculture. « C’est la porte ouverte à tous les excès », déplore Jean-Claude Tissot, qui craint une nouvelle fois que cette mesure oppose monde agricole et défenseurs de l’environnement.

Enfin, alors que le projet de loi affirme « la nécessaire préservation de la biodiversité », la question de l’usage des produits phytosanitaires n’y est pas traitée. Une nouvelle version du plan Ecophyto, mis en pause par le gouvernement au cœur de la crise agricole, doit être présentée prochainement.

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