Lutte contre l’artificialisation des sols : le Parlement adopte définitivement un texte pour redonner de la souplesse aux élus locaux

Les sénateurs ont approuvé à leur tour ce 13 juillet le compromis trouvé sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs du zéro artificialisation nette.
Guillaume Jacquot

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Ultime feu vert parlementaire, au terme d’un long processus législatif semé d’embûches. Les sénateurs ont définitivement adopté ce 13 juillet la version finale de la proposition de loi « visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols ». Le texte de compromis, déjà voté par les députés la veille, a été adopté à la quasi-unanimité (343 voix pour, 1 contre, 16 abstentions).

D’origine sénatoriale, cette initiative vise à assouplir les modalités de l’objectif de réduction de bétonisation des terres, le zéro artificialisation nette (ZAN). Depuis plusieurs mois, cette disposition phare de la loi « climat et résilience » de 2021 virait au casse-tête pour les maires, qui dénonçaient son calendrier tout comme son caractère homogène. Une mission de contrôle sénatoriale a débouché sur le vote d’un texte en mars, avant d’être inscrit à son tour à l’agenda l’Assemblée nationale en juin, sous la pression des sénateurs. Le texte avait été remanié. Au terme d’une trentaine d’heures de débats cumulées dans les deux hémicycles, le texte a fait l’objet d’un accord la semaine dernière entre députés et sénateurs (relire notre article). Six heures ont été nécessaires pour que les deux assemblées s’entendent.

« Nous pouvons nous féliciter de cet aboutissement, trouver un accord n’a pas été sans mal […] Cette commission mixte paritaire a bien failli ne pas aboutir », a rappelé ce jeudi Jean-Baptiste Blanc (LR), le rapporteur de la proposition de loi au Sénat.

Une garantie rurale : un hectare attribué à chaque commune

Pour rappel, le ZAN consiste à réduire de moitié d’ici à 2031 la construction sur des espaces naturels et agricoles par rapport à la décennie précédente puis, à l’horizon 2050, à ne plus bétonner de sols à moins de « renaturer » des surfaces équivalentes.

Jean-Baptiste Blanc a particulièrement salué le fait que le texte final « préserve les points essentiels du Sénat ». L’un de ces apports est la création d’une « garantie rurale », un droit à construire d’au moins un hectare, attribué aux communes, et mutualisable avec d’autres. Les députés ont finalement accepté qu’elle ne soit pas uniquement réservée aux communes rurales.

L’un des points névralgiques du débat s’est joué sur le sort réservé aux « projets d’envergure nationale », comme les infrastructures de transport ou les grands projets industriels. Les maires craignaient qu’en accueillant de tels projets, leur solde de terres artificialisables soit considérablement réduit. Le Sénat souhaitait donc les exclure du décompte des 125 000 hectares d’artificialisation autorisée jusqu’en 2031 pour le pays. Finalement, ces hectares seront comptés à part, c’est-à-dire déduits de l’enveloppe globale autorisée par le ZAN, et le solde sera réparti entre les différentes régions. Autre évolution : la proposition de loi instaure une « commission de conciliation », où les régions pourront faire valoir leurs désaccords sur les projets qualifiés d’ampleur nationale.

La « grande victoire » de Valérie Létard

La ministre chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure, a salué le « chemin de consensus » qui s’est dessiné pour aboutir à des « mesures de bon sens », qui permettront une « meilleure appropriation de l’objectif » du ZAN. « C’est un texte de compromis, qui permet d’adapter les dispositions de la loi climat et résilience, aux réalités des territoires, sans revenir pour autant sur les objectifs et la trajectoire que nous nous étions collectivement fixés en 2021 », a-t-elle ajouté.

La sénatrice centriste, Valérie Létard, qui avait présidé la mission de contrôle sénatoriale sur le ZAN, a qualifié cet épisode de « grande victoire ». Élue du Nord – département très concerné par la problématique avec des réalisations et des projets d’usines géantes de batteries et l’aménagement du canal Seine-Nord – elle estime que la proposition représente « une avancée » pour les territoires « vers quelque chose de plus praticable et soutenable ». La sénatrice, qui n’a pas souhaité se représenter aux sénatoriales du 24 septembre, peut partir avec l’esprit du devoir accompli.

« À la première alerte sur les décrets, nous rouvririons le chantier législatif »

Cette étape ne signe pas pour autant la fin de l’histoire au Sénat. Beaucoup d’orateurs ont estimé que le projet de loi de finances, avec ses financements et la question de la fiscalité, sera l’heure de vérité. « Pas de ZAN sans moyens, sans reconquête de nos friches », a averti Valérie Létard. « Vous aurez beau avoir des droits à construire, il ne se construira rien », s’est également inquiétée Cécile Cukierman (communiste), elle aussi très engagée sur la reconversion des sites industriels à l’abandon.

Les associations d’élus promettent également de rester sur le qui-vive. Dans un communiqué, l’association des petites villes de France (APVF) appelle « à la vigilance ». « Il est essentiel de trouver, sans plus attendre, des solutions de financement de long terme afin d’accélérer la réhabilitation des friches, le renouvellement urbain et la refondation de la fiscalité locale », demande l’association présidée par l’ancien député Christophe Bouillon (PS).

« Ce texte, il va falloir maintenant le faire vivre », a appelé le rapporteur Jean-Baptiste Blanc. L’autre point d’attention sénatorial se focalisera sur les textes réglementaires. Pour accélérer le calendrier, les sénateurs ont fait une concession majeure à leurs yeux : une partie des solutions présentes dans leur texte initial passera par décrets. « Nous continuerons à être extrêmement vigilants sur leur contenu jusqu’à leur publication finale […] À la première alerte sur les décrets, nous rouvririons le chantier législatif », a-t-il prévenu.

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Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. 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