« Nous appelons à un sursaut de l’action climatique », alerte au Sénat le président du Haut Conseil pour le climat

Auditionné au Sénat par la commission du développement durable ce 9 juillet, Jean-François Soussana a pointé le « retard important » en matière d’action publique pour la décarbonation en France.
Guillaume Jacquot

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Le Haut Conseil pour le climat tire un signal de détresse. La France n’est pas bien engagée pour respecter la trajectoire de décarbonation qu’elle est censée suivre. Six jours après la publication de son septième rapport annuel sur l’action climatique du pays, intitulé « Relancer l’action climatique face à l’aggravation des impacts et à l’affaiblissement du pilotage », cette instance consultative et indépendante a une fois encore fait part de ses inquiétudes, devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

Selon les données de ce rapport, la réduction des émissions de gaz à effet de serre s’est considérablement ralentie en France l’an dernier, avec une diminution de 1,8 %. Celles-ci avaient reculé de 6,7 % un an auparavant. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) est d’autant plus préoccupé que le fléchissement observé en 2024 est en grande partie la conséquence de facteurs « circonstanciels », en particulier météorologiques. La douceur de l’hiver en question a conduit à les ménages à moins se chauffer, et la pluviométrie importante a dopé l’électricité de source hydraulique. Le mix énergétique a par ailleurs bénéficié de la remise en route de plusieurs réacteurs nucléaires.

« Il faudrait multiplier par deux le rythme de décarbonation »

Les experts du HCC relèvent que les changements structurels sont « nettement insuffisants » et que la France n’est pas « à niveau » pour atteindre la cible de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Pour rappel, cette feuille de route fixe la cible d’une réduction d’au moins 40 % des émissions brutes de gaz à effet de serre en France en 2030, par rapport à 1990, et l’attente de la neutralité carbone à l’horizon 2050. « Il faudrait multiplier par deux le rythme de décarbonation », a résumé Jean-François Soussana, le président du Haut Conseil pour le climat. Sur certains segments, le décalage avec ce qu’il faudrait entreprendre pour réussir les objectifs dans les deux prochaines décennies est encore plus grand. Sur le bâtiment par exemple, les efforts devraient être 9 fois plus élevés. Pour le secteur des déchets, ce facteur monte à 29, ce qui montre l’ampleur des besoins.

« Le cadre de l’action publique a pris un retard important. Les efforts d’adaptation ont été intentionnalisés mais restent en décalage par rapport aux vulnérabilités et aux besoins. Nous appelons à un sursaut de l’action climatique, avec une consolidation du cadre d’action publique, un renforcement des actions structurelles, une gouvernance solide, un cap clair pour 2030 et la décennie suivante », a poussé cet ingénieur agronome.

« Les mesures de stop and go, cela nuit à la visibilité, à la pérennité de la politique climatique »

L’alerte du HCC intervient à un moment délicat pour le gouvernement, confronté à deux enjeux qui s’affrontent, d’un côté la nécessité de réduire la dépense publique, et de l’autre la nécessité de soutenir la transition écologique. Or, ces derniers mois, ce sont les moyens dédiés à ce type de politique publique qui ont sensiblement reculé, que ce soit en loi de finances ou à travers des mesures de gestion. « Nous savons à quel point il est difficile d’avoir une dynamique pérenne d’investissements dans le contexte budgétaire », a constaté Jean-François Soussana, tout en rappelant le coût de l’inaction climatique. Chaque degré de réchauffement mondial ferait perdre à l’économie mondiale 12 points de PIB.

Le président du HCC a par ailleurs fait part de son regret face à un certain nombre de reculs au niveau de l’écologie. « Nous avons été assez étonnés de voir que des mesures, qui rencontraient un succès important, comme le leasing social, comme les rénovations complètes, avaient été arrêtés, certes pour des raisons budgétaires, mais nous voulons vous indiquer que les mesures de stop and go sur ces mesures, cela décourage les investissements, cela nuit à la visibilité, à la pérennité de la politique climatique », a-t-il mis en garde. Et d’appeler à « bien cibler les aides » et à permettre une « offre abordable » pour les Français.

Le leasing social, ce système location de voitures électriques, destiné aux ménages modestes, pour moins de 100 euros par mois, avait été victime de son succès en 2024. Il avait dû être stoppé en raison du dépassement des objectifs initiaux. Il doit être relancé au mois de septembre. Quant aux rénovations dans l’habitat, cette politique fait les frais de la coupure temporaire, mais également des recentrages de MaPrimeRénov’. Les rénovations d’ampleur vont subir quelques modifications.

Au-delà de ce cadre budgétaire très contraint, Jean-François Soussana a appelé à des « rééquilibrages » au sein des lignes actuelles. En 2024, selon le HCC, 13 milliards d’euros sont allés subventionner les énergies fossiles, quand les crédits alloués aux instruments de la politique climatique ont représenté un peu plus de 13 milliards d’euros. Le président du Haut conseil a notamment appelé à « revoir les signaux prix », notamment en faisant évoluer les accises sur l’énergie, l’électricité étant actuellement défavorisées par rapport à la fiscalité qui pèse sur le gaz. De façon plus globale, le respect de la trajectoire carbone fixée par la France demanderait « des investissements chiffrés a minima à 37 milliards d’euros », a-t-il rappelé.

« La seule source d’électricité décarbonée, ça va être les renouvelables avant qu’on ait les nouvelles tranches nucléaires »

Au lendemain de l’adoption d’une proposition de loi de programmation énergétique au Sénat, le président du Haut Conseil pour le climat a également été interrogé sur les sujets d’électricité. Le débat public au sens large a par ailleurs été marqué par la tribune du président de LR, Bruno Retailleau, en faveur d’un arrêt des subventions publiques aux énergies éoliennes et photovoltaïque. Le scientifique a rappelé que le nucléaire ne pourrait pas suffire à absorber la hausse de la demande à venir. « On sait que le nouveau nucléaire, les premières centrales en production, d’après les estimations dont nous disposons arriveront en 2038, c’est bien sûr après l’objectif de 2030 […] Notre message : nous avons une décarbonation à opérer d’ici à 2030, et que la seule source d’électricité décarbonée, ça va être les renouvelables avant qu’on ait les nouvelles tranches nucléaires. »

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