Centrale nucleaire du Bugey

Nucléaire : Au Sénat, la fusion de l’ASN et de l’IRSN est validée, avec des modifications significatives

Les sénateurs ont adopté hier les articles du projet de loi visant à fusionner l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en une seule et même instance, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Introduite par le gouvernement via un amendement en février 2023, elle avait provoqué le courroux des sénateurs. Un an plus tard, après plusieurs rapports et consultations, la Chambre haute s’est montrée favorable à cette entreprise, sous certaines conditions, au grand dam de la partie gauche de l’hémicycle.
Mathilde Nutarelli

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Hier soir, le Sénat a débattu d’un texte attendu : le projet de loi « relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire ». C’est ce texte qui acte la fusion de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui contrôle les installations nucléaires, et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui mène des actions de recherche sur les sujets de nucléaire. Amorcée par le gouvernement en février 2023, elle avait suscité une forte levée de boucliers, de la part des agents des deux organismes d’un côté, et des parlementaires de l’autre. Un an et plusieurs rapports et consultations plus tard, la fusion a été validée par la Chambre haute, sous certaines conditions.

« La proposition de réforme introduite au milieu de la navette sur le texte Accélération du nucléaire n’était pas de bonne méthode »

C’est en février 2023 que la ministre de la Transition énergétique de l’époque, Agnès Pannier-Runacher, avait proposé de fusionner les deux instances, au travers d’un amendement au projet de loi d’accélération du nucléaire. Une méthode qui avait vivement déplu aux parlementaires, qui avaient rejeté ledit amendement. Un « manque de pédagogie » que le rapporteur centriste du projet de loi discuté hier au Sénat, Pascal Martin, déplorait en séance.

Le projet de fusion avait également fait vivement réagir les agents de l’IRSN, qui se sont mis en grève en mars 2023. Pour apaiser les esprits, le gouvernement avait alors décidé de changer de stratégie, d’entreprendre des consultations et de laisser le temps à l’étude de cette proposition. « La proposition de réforme introduite au milieu de la navette sur le texte Accélération du nucléaire n’était pas de bonne méthode, nous en avons tiré les conséquences », a reconnu hier soir Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui a repris le dossier en cours de route.

L’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’était emparé du sujet et avait remis, en juillet dernier, un rapport sur cette fusion. Il ne s’y montrait pas opposé à la fusion, à condition que l’attention soit portée sur le maintien de l’indépendance de la nouvelle structure.

Les organismes existants, l’ASN et l’IRSN, ont également été consultés avant la rédaction du projet de loi. Auditionnés par le Sénat le 17 janvier dernier, Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, et Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN, ne se disaient pas opposés par principe à cette fusion, sous certaines conditions. « On ne pourra pas faire face si on garde l’organisation telle qu’elle est aujourd’hui », avait même affirmé le premier devant les sénateurs.

« Depuis quatre semaines, il n’y a pas de ministre chargé de l’énergie »

C’est donc après ce long parcours que le projet de loi a démarré son périple parlementaire, dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, le 7 février. Outre la fusion de l’ASN et de l’IRSN en une nouvelle entité baptisée Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) au 1er janvier 2025, le texte prévoit d’assouplir les règles de la commande publique dans le cas des projets nucléaires.

Malgré les efforts faits par le gouvernement, l’examen du projet de loi au Sénat ne promettait pas d’être de tout repos. En effet, après la démission d’Élisabeth Borne et la nomination de Gabriel Attal, un nouveau gouvernement a été composé, et le deuxième volet du remaniement se fait attendre depuis une semaine. Dans la bataille, la ministre en charge du dossier énergétique a perdu son maroquin, et personne n’a pour l’instant été nommé à sa place. Bruno Le Maire a récupéré le dossier de la production d’énergie et Christophe Béchu la sobriété et l’efficacité énergétique ainsi que la sobriété nucléaire. Une situation qui a agacé les sénateurs de tous bords. Privés de ministre, ils n’ont pu recourir à la traditionnelle audition au préalable de l’examen du texte. « Depuis quatre semaines, il n’y a pas de ministre chargé de l’énergie. Bruno Le Maire a bien visité une centrale nucléaire hier, mais c’est Christophe Béchu qui est au banc cet après-midi », s’est indignée Dominique Estrosi-Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, avant l’examen du texte dans l’hémicycle, « Cette situation est inadmissible. La sûreté nucléaire est un sujet sérieux, ce projet de réforme concerne 2 000 agents publics et privés ; or le Gouvernement est aux abonnés absents ! Contributions tardives, refus d’auditions, il n’y a plus aucune chaîne de décision depuis quatre semaines ».

Le principe de la fusion validé sous conditions

Malgré tout, la Chambre haute s’est entendue sur les articles du projet de loi, avant le vote solennel qui aura lieu le 13 février prochain. La majorité sénatoriale, si elle s’est opposée au projet de fusion l’année dernière, n’était pas contre, sur le fond. Après les consultations et les nombreux rapports, elle a préféré un texte contenant une fusion de l’ASN et de l’IRSN, sous plusieurs conditions. « Je ne nie pas que cette réforme comporte des risques, je l’ai toujours dit. Mais les amendements adoptés en commission apportent des réponses, notamment afin de distinguer expertise et décision », a défendu en séance le rapporteur Pascal Martin. Avec son collègue de la commission des affaires économiques, le LR Patrick Chaize, ils ont ainsi souhaité mettre plusieurs garde-fous à la nouvelle ASNR, suivant entre autres les recommandations de Bernard Doroszczuk. En l’espèce, le Sénat a renforcé la séparation, au sein de la nouvelle ASNR, entre les compétences d’expertise et de décision, a plaidé pour une meilleure transparence en rendant obligatoire la publication des résultats d’expertises, a permis le maintien des partenariats de recherche entre l’ASNR et les industriels du secteur, et a souhaité renforcer l’information du Parlement et des citoyens. Leur but est ainsi d’améliorer l’efficacité de la sûreté nucléaire, alors que la France vient de décider d’entamer un plan très ambitieux de relance du nucléaire. « La fusion mettra fin aux frictions entre ASN et IRSN et aux différences de priorisation, source de délais dans la prise de décision », s’est félicité Pascal Martin dans l’hémicycle.

« Cette réforme est trop rapide »

Si la majorité sénatoriale a adopté la fusion, en revoyant la copie du gouvernement, le projet est loin d’avoir convaincu tout le monde. Au Sénat, la gauche et les écologistes, déjà opposés en 2023, maintiennent leur rejet. Le groupe socialiste et le groupe écologiste ont déposé chacun une motion de rejet en séance, qui n’ont pas abouti. « Cette réforme est trop rapide », s’est désolé Ronan Dantec, sénateur écologiste de la Loire-Atlantique. Il est rejoint par son collègue socialiste Franck Montaugé, qui relève que « tous les organismes et parties prenantes ont émis des doutes, à l’instar du Conseil national de la transition écologique (CNTE) et de l’ANCCLI. Il en va de même pour les agents de l’ASN et de l’IRSN ».

Ce que la gauche du Sénat reproche à la fusion, c’est d’abord le risque qu’elle crée de porter atteinte à la sûreté nucléaire en ne séparant pas capacité de décision et d’analyse. « Le démantèlement de l’IRSN est incompréhensible, sauf à vouloir affaiblir un contrepouvoir objectif. La répétition en boucle des termes fluidification’ et ‘simplification’ sonne creux, car notre système dual fonctionne », s’est désolé dans l’hémicycle l’écologiste Daniel Salmon. Quelques minutes plus tard, le communiste Fabien Gay abonde dans ce sens : « Le gouvernement a toujours considéré l’IRSN comme un frein au développement du nucléaire ». Le risque serait ici que l’expertise et la recherche soient noyées dans les demandes inhérentes à l’activité d’une autorité concernant la sûreté des centrales. Ronan Dantec résume : « La fusion fera perdre en diversité et en triangulation de l’analyse des risques ».

Par ailleurs, les sénateurs de gauche et écologistes, se faisant le relais d’une tribune parue dans Libération le 30 janvier signée par des chercheurs et de parlementaires, craignent que cette dernière ne cause une grande déstabilisation des deux organismes, alors que c’est maintenant qu’ils vont être le plus sollicités. La relance du nucléaire nécessite des besoins de personnels et de moyens supplémentaires. Les craintes portent également sur les conditions de travail, les rémunérations et les statuts des agents et salariés de l’ASN et de l’IRSN. La promesse de Christophe Béchu d’augmenter les rémunérations et d’offrir de meilleures opportunités de carrière n’a pas rassuré l’opposition sénatoriale, alors que l’IRSN a perdu des effectifs depuis l’annonce de la réforme, et qu’avec l’ASN, ils peinent à recruter, concurrencés par les salaires très élevés des start-up du nucléaire.

L’opposition des groupes de gauche du Sénat ne devrait pas empêcher cette fusion d’être adoptée dans la Chambre haute lors d’un vote solennel le 13 février prochain. Pour autant, si la majorité du Palais du Luxembourg se fait l’alliée de circonstance du gouvernement sur ce dossier, l’entente devrait être de courte durée. En effet, une loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, attendue depuis plusieurs mois, n’a toujours pas été votée, ce qui provoque l’ire des sénateurs de tous bords.

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