Centrale nucleaire de Dampierre en Burly

Nucléaire : un rapport parlementaire remet la fusion de l’ASN et de l’IRSN sur la table

Un rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques se prononce pour la fusion de l’ASN et de l’IRSN, relançant ainsi la réforme de la sûreté nucléaire abandonnée en mai par le gouvernement. Un revirement qui pourrait annoncer une réforme assez rapide, mise en place entre l’automne 2023 et l’année 2024.
Louis Mollier-Sabet

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Le sujet commence à ressembler à un serpent de mer. Annoncée par communiqué en plein milieu de la navette parlementaire du texte nucléaire en février dernier, la fusion de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avait d’abord été abandonnée. Le projet avait en effet fait les frais du climat parlementaire tendu à cause de la réforme des retraites en étant supprimé par les députés la veille du 49-3. La fusion des deux organismes avait finalement été abandonnée par le gouvernement face à l’enthousiasme très modéré des LR sur la question, et la mesure ne figurait pas dans le texte voté en commission mixte paritaire par les parlementaires le 4 mai dernier.

Le gouvernement « confirme » son « intérêt » pour la réforme de la sûreté nucléaire

Mais le feuilleton ne s’arrêtera donc visiblement pas là. Ce mardi 11 juillet, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (l’Opecst) a en effet remis son rapport sur l’évaluation de la fusion de l’ASN et l’IRSN et propose de « mettre fin à l’ambivalence » de la division de la gestion de la sûreté nucléaire française entre l’ASN et l’IRSN, en fusionnant les deux organismes dans une Autorité indépendante en sûreté nucléaire et radioprotection (AISNR). Le député Renaissance Jean-Luc Fugit et le sénateur LR Stéphane Piednoir remettent ainsi le sujet sur la table, avec une potentielle majorité Ensemble – LR pour voter la mesure cette fois-ci.

Le rapport de l’Opecst n’est évidemment pas contraignant et fait simplement office de travail parlementaire préparatoire et de signal politique. Pour que cette fusion soit effective, il faudra un véritable texte de loi. Pour le moment, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher a simplement « confirmé », lors d’une audition par la commission des Affaires économiques du Sénat ce mercredi, « l’intérêt » du gouvernement pour « mener cette réforme de la sûreté nucléaire », et la « préparer à la montagne qu’elle devra gravir pour faire face à tous les dossiers qui vont arriver sur sa table. »

 

 

Une fusion pour « faire face » aux « nouveaux défis » de la filière nucléaire

Sur le fond du dossier, le rapport se prononce donc finalement pour un rapprochement de « l’autorité » et de « l’expert. » En effet, l’ASN joue un rôle d’autorité administrative et a donc une fonction de décision sur les questions de sûreté nucléaire, tandis que l’IRSN joue plutôt un rôle d’expertise et de recherche. Lors de l’épisode de la découverte d’un phénomène de corrosion sous contraintes de certains réacteurs au printemps dernier, c’est l’ASN qui a pris la décision d’arrêter les réacteurs, puis qui a autorisé EDF à les remettre progressivement en marche, après de nombreux tests effectués par l’IRSN.

Le rapport de l’Office ne met pas fondamentalement en cause cette répartition des compétences, et salue même la « réputation élevée » et le « haut niveau de sûreté » du modèle français. Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir insistent ainsi sur le « continuum » déjà en place entre la décision et l’expertise en matière de nucléaire, malgré l’existence de deux entités séparées : « Les détracteurs d’une évolution des structures actuelles de contrôle de sûreté nucléaire laissent entendre que celle-ci ne permettrait plus d’assurer une séparation claire entre l’expertise et la décision. C’est d’abord méconnaître le continuum qui existe entre ces deux activités. »

Le but serait donc d’augmenter la force de frappe de la sûreté nucléaire française, afin de pouvoir « faire face » aux « nouveaux défis » qui attendent la filière dans les prochaines années. Construction des nouveaux réacteurs EPR2, des SMR, adaptation au changement climatique et à « la montée des menaces cyber », la prolongation du parc existant et le démantèlement des centrales, la gestion des déchets nucléaires… Autant de défis qui justifient, d’après les parlementaires, la réorganisation de la sûreté et la fusion de l’ASN et de l’IRSN en une entité.

Maintien d’un département de recherche et augmentation des moyens

Du côté des critiques, c’est bien cette potentielle confusion et perte d’indépendance du volet recherche et expertise, incarnée par l’IRSN, qui inquiète. Pour répondre aux craintes de certains parlementaires, mais aussi de certains acteurs du secteur, au premier rang desquels les salariés de l’IRSN, le rapport de l’Opecst réaffirme la fonction de recherche de la nouvelle entité proposée. « Au vu de la qualité des travaux de recherche menés par l’IRSN, qui bénéficie d’une réelle reconnaissance au niveau européen et international dans son domaine. La nouvelle entité devra inclure un département dédié à la recherche, capable de renforcer cette position de pôle d’excellence internationale dans le domaine de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection », écrivent ainsi Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir.

En outre, les parlementaires proposent de maintenir la publication des rapports d’expertise qui était faite par l’IRSN auparavant, mais en la rendant « concomitante » de la publication des décisions de l’autorité, « dans un souci d’apaisement » et afin de « préserver l’indépendance de l’expertise. » De même, la fusion devra s’accompagner de garanties en termes de moyens pour la nouvelle entité, avec des augmentations d’effectifs dès 2024 et un « renforcement de l’attractivité des métiers, y compris sur le plan des rémunérations », préconisent les parlementaires. « Un rapprochement ou une réorganisation ne peut, en tout état de cause, être couronné de succès que dans un contexte de croissance des moyens. Un éventuel rapprochement entre l’ASN et l’IRSN ne saurait avoir lieu à effectifs constants », détaille ainsi le rapport de l’Opecst.

« Une nouvelle réforme peut être engagée dès la rentrée 2023 »

Les parlementaires insistent aussi sur le timing de ce « rapprochement » entre l’ASN et l’IRSN. « Puisqu’est projetée une évolution structurelle, il faut s’attendre à ce que son appropriation par les acteurs fasse l’objet d’une courbe d’apprentissage : le risque n’est pas exclu que l’organisation ait d’abord tendance à piétiner, voire à légèrement régresser, avant de s’engager sur la voie d’un progrès global », explique l’Opecst en pointant une « fenêtre d’opportunité relativement étroite, sans doute d’ici fin 2024. »

Afin que les moyens soient augmentés, il faudrait donc allouer des crédits supplémentaires à la sûreté nucléaire lors du projet de loi de finances 2024, qui sera examiné à l’automne prochain. « Compte tenu des délais inhérents à toute réorganisation, il y aurait péril à atermoyer, alors qu’une éventuelle réforme peut être engagée dès la rentrée 2023 », concluent Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir. Un premier rendez-vous est donc pris lors de l’examen du budget 2024, et nul doute que le feuilleton de la fusion de l’ASN et de l’IRSN n’est pas terminé.

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