Illustration: epandage de pesticide

Pesticides : le Sénat donne au gouvernement le pouvoir de suspendre les décisions de l’Anses

La majorité sénatoriale de droite et du centre a fait adopter mardi soir, dans le cadre de l’examen en première lecture d’une proposition de loi sur l’agriculture française, un dispositif controversé qui permet au ministre de l’Agriculture de retoquer des décisions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), s’il estime que les répercussions économiques l’emportent sur les risques sanitaires et environnementaux.
Romain David

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Le Sénat a adopté mardi soir une disposition qui doit permettre à l’exécutif, sous certaines conditions, de suspendre une éventuelle interdiction de produit phytosanitaire prononcée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). La Chambre haute examinait une proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France », cosignée par les sénateurs Laurent Duplomb (LR), Pierre Louault (Union centriste) et Serge Mérillou (PS). Ce texte, qui tire les enseignements d’un rapport sénatorial rendu en septembre dernier sur l’état de l’agriculture française, vise à s’attaquer à la surtransposition des normes et aux charges excessives qui frappent les agriculteurs, tout en répondant aux besoins d’investissements et de modernisation de la « ferme France ».

Les débats se sont cristallisés en fin de soirée, autour de l’article 13, prévoyant initialement de repréciser les critères appliqués par l’Anses dans le cadre des autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques. Mais cet article a été modifié lors de l’examen en commission par un amendement de la rapporteure LR Sophie Primas, également présidente de la commission des affaires sociales, afin de permettre au ministre de l’Agriculture de suspendre une décision de l’Anses par arrêté, « après avoir réalisé une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l’Union européenne, et évalué l’efficience de solutions alternatives ».

Ce dispositif, adopté avec 215 voix pour, en grande partie celles de la droite et du centre, et 117 votes contre, s’inscrit dans un contexte de tensions entre l’exécutif et cette agence gouvernementale dont plusieurs décisions ont été récemment remises en cause. Fin avril, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a obtenu que l’Anses revoie sa copie concernant l’interdiction de la phosphine, un insecticide utilisé dans le stockage des céréales. Le gouvernement craignait une déstabilisation du marché céréalier. En revanche, l’agence a reconfirmé l’interdiction du S-métolachlore sur de nombreux usages, un puissant herbicide dont plusieurs composés chimiques se retrouvent dans les eaux et les sols.

« Nous ne touchons pas aux missions de l’Anses »

Pour autant, mardi soir, le ministre s’est opposé à la mesure visant à élargir sa propre marge de manœuvre, et a choisi de soutenir les amendements de suppression présentés par la gauche sénatoriale, les écologistes en tête. Marc Fesneau s’est notamment inquiété d’une remise en cause des prérogatives de l’Anses. « L’objectif est d’essayer de construire avec l’Anses une stratégie sur les produits phytosanitaires qui ne soit pas seulement la stratégie de l’analyse scientifique, mais celle de la transition », a-t-il expliqué ce mercredi matin, au micro de la matinale de Public Sénat. Surtout, le ministre souhaite davantage travailler sur la mise en place d’une meilleure coordination européenne, afin d’éviter des distorsions de concurrence entre Etats membres. « Si des pesticides sont interdits en France et pas dans les 26 autres pays, qu’est-ce que j’ai gagné ? Serait-ce à dire que les 26 autres pays se moquent de la santé des gens ? Quel jugement d’arrogance ce serait de dire ça. »

« Nous ne touchons pas aux missions de l’Anses », a défendu Sophie Primas pendant les débats, assurant qu’il s’agissait d’abord de « redonner un pouvoir politique au ministre » pour une meilleure prise en compte du bénéfice-risque. Les Verts du Sénat, de leur côté, ont dénoncé un retour en arrière. « C’est inacceptable, nous avions obtenu, dans le cadre de la loi de 2014 sur l’avenir agricole, l’autonomie de l’Anses. La majorité sénatoriale remet en place une forme de tutelle pour pouvoir inscrire l’aspect économique dans la balance bénéfice-risque », s’étrangle le sénateur Joël Labbé, membre du groupe écologiste, solidarité et territoires, auprès de Public Sénat. « Même avec la meilleure volonté du monde, il n’y a pas grand-chose à sauver dans ce texte de loi, un agglomérat de reculs qui montre que la majorité sénatoriale s’accroche à un modèle obsolète. »

Un projet de loi sur l’avenir de l’agriculture française

Ce texte doit encore faire l’objet d’un vote solennel au Sénat, mardi prochain. Pour la majorité sénatoriale, il est un moyen de mettre la pression sur l’exécutif et de marquer le terrain alors qu’un projet de loi d’orientation agricole doit être présenté à la rentrée. « Il y a dans le texte du Sénat des sujets justes. Le mot compétitivité gênait certains dans l’hémicycle, mais il y a besoin que les gens gagnent leur vie et que l’on soit compétitif au niveau européen », a encore commenté Marc Fesneau au micro de Public Sénat. « Le projet de loi du gouvernement permettra au moins de clarifier certaines ambiguïtés, et de voir quelle est réellement la position du gouvernement vis-à-vis de l’Anses », conclut Joël Labbé.

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