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Pesticides : quelles sont les alternatives à l’acétamipride ?

Alors que la réautorisation sous conditions de l’acétamipride met en émoi le pays, entre partisans et opposants, l’Anses a déjà émis des avis à son sujet, avec des propositions d’alternatives. Quelles sont-elles ? Sont-elles vraiment efficaces ?
Mathilde Nutarelli

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Les Français n’ont jamais autant entendu le nom de cet insecticide que ces dernières semaines. Depuis le vote de la loi Duplomb, qui réautorise sous conditions l’utilisation de l’acétamipride, et la pétition pour l’abroger qui a dépassé 1 700 000 signatures, ce pesticide est devenu la source de vifs débats.

L’acétamipride : à quoi ça sert ?

Cet insecticide, interdit depuis 2018 en France, et qui sera interdit en 2033 dans l’Union européenne, permet de lutter contre les insectes « suceurs », qui s’attaquent à la sève des plantes. En France, deux filières affirment qu’il est indispensable à leurs cultures. D’abord, les cultivateurs de betteraves à sucre, qui l’utilisent pour tuer les pucerons verts, ces insectes qui trouent la plante pour boire sa sève et qui ainsi lui inoculent un virus, celui de la jaunisse. Il empêche la croissance du plant et teinte ses feuilles en jaune. « Cela divise le rendement par deux », explique Emeric Duchesne, agriculteur de blé, colza, betterave à sucre et pois de conserve dans l’Oise. Ensuite, les cultivateurs de noisettes y ont recours pour se débarrasser des balanins, ces charançons qui dévorent les fruits à coque.

« Ce produit reste très toxique »

Du fait de sa toxicité pour l’environnement, ce produit fait l’objet d’une attention particulière. « Ce produit reste très toxique », explique Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS, écologue, « il reste des traces importantes dans l’environnement pendant plusieurs dizaines de jours, et on la retrouve dans l’eau de pluie ». Le scientifique est formel : « Là-dessus, il y a un consensus total ». Sur la toxicité pour la santé humaine, il existe moins d’études, mais Philippe Grandcolas explique qu’on retrouve des traces d’acétamipride dans le liquide céphalorachidien.

Mais face à ces risques, les agriculteurs sont pris en tenaille : impossible pour eux d’être rentables si la moitié de leur récolte est décimée par la jaunisse ou par le balanin. D’où la mobilisation très tendue autour de l’acétamipride. Le mot d’ordre des partisans de la loi Duplomb, c’est le « pas d’interdiction sans solution ». Face à la pression nouvelle de la pétition contre le texte, signée en un temps record par plus d’un million de Français, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, qui s’est dit défavorable à titre personnel à la réintroduction du pesticide, a annoncé qu’elle souhaitait que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) rende un avis sur le produit.

L’Anses a rendu deux avis sur les néonicotinoïdes

Or, comme l’ont souligné nos confrères du Monde, l’autorité a déjà mené ce travail à deux reprises. Une première fois en 2018 et une seconde en 2021. L’avis de 2018, qui porte sur les alternatives aux néonicotinoïdes, dont l’acétamipride fait partie, étudie toutes les autres solutions à ces produits. L’avis de 2021, lui, répond à la problématique spécifique de la betterave à sucre. Pour cette problématique en particulier, l’Agence identifie plusieurs alternatives dans ses rapports. Elle préconise ainsi l’association de deux insecticides autorisés, le lambda-cyhalothrine et le pyrimicarbe, ou encore l’utilisation d’autres produits rapidement substituables aux néonicotinoïdes : le flonicamide et le spirotétramate, à l’impact plus limité sur l’environnement.

« L’Anses mentionne aussi la possibilité d’utiliser des substances répulsives, certaines sont beaucoup moins toxiques », explique Philippe Grandcolas. Ces produits, au lieu de tuer les insectes, les éloignent des cultures. « En règle générale, on a un problème toxicologique bien moindre avec les répulsifs. Le souci, avec les pesticides, c’est qu’ils visent le métabolisme chez les plantes, les insectes, les champignons en fonction de principes assez généraux. Ils sont assez peu ciblés ».

Une startup française développe une solution innovante, sans impact néfaste sur l’environnement et la santé

Parmi les solutions d’avenir, on compte le produit développé par la startup française Agriodor. Elle fabrique des granulés qui émettent des odeurs qui repoussent les pucerons ou qui modifient leur cycle de reproduction. D’après son fondateur et président, Alain Thibault, cela réduit la présence de pucerons de 50 à 60 % dans le champ de betteraves. « On combine notre solution avec des insecticides », explique-t-il, « on ne dit pas qu’il ne faut plus d’insecticides, mais qu’il faut en utiliser le moins possible ». L’application du répulsif permet d’avoir moins recours à l’insecticide, puisque le nombre d’insectes à éliminer est réduit. En combinant son produit avec un insecticide, comme l’acétamipride, il l’assure, la lutte contre les pucerons est « plus efficace que l’insecticide seul ». Alain Thibault est formel : « L’avenir de la protection des cultures, c’est de la combinatoire ». Et avec Agriodor, pas de risque pour la santé humaine ou pour l’environnement. « Notre produit ne laisse pas de résidu dans le sol et dans l’eau, donc n’a pas d’impact sur l’humain ou l’environnement », se réjouit-il.

« Agriodor retarde l’arrivée des pucerons », confirme Emeric Duchesne, qui utilise les granulés depuis trois ans dans ses champs de betteraves sucrières, « mais il y a des années où ça ne suffit pas ». « J’ai besoin de toutes les solutions : agronomie (haies), chimie (produits phytosanitaires), biocontrôle (Agriodor, plantes compagnes). En fonction des conditions météo, de la pression des insectes, je n’ai pas besoin des mêmes outils. Une année où il y a très peu de pression de pucerons, je peux attendre que des larves de coccinelle s’installent et les suppriment [les larves de coccinelles sont utilisées pour lutter contre les pucerons verts, car elles s’en nourrissent, ndlr]. Quand il y a une très forte pression, on a besoin de solutions de biocontrôle qui complètent les solutions naturelles. Et il y a des années où ça ne suffit pas, quand la pression des pucerons est trop grande, il faut d’autres choses. C’est là qu’on a besoin de solutions chimiques ».

Le produit d’Agriodor est vendu en France, car il fait l’objet d’une dérogation accordée chaque année par le ministère de l’Agriculture à la demande de la filière betteraves, mais il n’est pas encore autorisé dans l’Union européenne. En cause, le délai et le coût du processus. « L’autorisation de l’EFSA [l’agence européenne de sécurité des aliments] met cinq à six ans et coûte trois millions d’euros », déplore Alain Thibault.

« On peut travailler en conventionnel sans acétamipride, mais ça peut-être un peu plus compliqué »

Philippe Grandcolas voit aussi l’initiative d’Agriodor d’un bon œil : « C’est une excellente voie de recherche, c’est beaucoup plus malin et c’est quelque chose qu’il faut encourager ». Le scientifique salue également toutes les alternatives « douces », comme le recours aux cultures compagnes, ou le recours à d’autres insectes. Par exemple, la culture de l’orge combinée à celle de la betterave aide à réduire la présence de pucerons car ils sont repoussés par cette plante. « On peut travailler en conventionnel sans acétamipride, mais ça peut-être un peu plus compliqué », reconnaît-il.

Et un peu plus compliqué, ça l’est, car il n’y a pas de solution miracle parmi toutes ces alternatives. Le rendement est souvent moindre, car il est difficile de faire aussi efficace que l’acétamipride. C’est d’ailleurs l’un des points soulevés par l’Anses dans son avis de 2021. « Les solutions alternatives de natures variées disponibles à court terme et à moyen terme qui ont été identifiées et évaluées substituables aux néonicotinoïdes n’ont vraisemblablement pas le même niveau d’efficacité », peut-on lire dans le rapport.

« Il vaut mieux dès maintenant essayer de trouver d’autres filières, avec des produits alternatifs qui sont plus adaptés »

Alors, face à ce problème, que faire ? Philippe Grandcolas plaide pour un changement de modèle agricole. « Le souci de la betterave, c’est qu’elle a un problème de rendements lié aux aléas climatiques. Le climat n’est pas un climat idéal et ne va pas le devenir, c’est une culture qui ne va pas rester avec des rendements stables dans le temps », explique-t-il, « il vaut mieux dès maintenant essayer de trouver d’autres filières, avec des produits alternatifs qui sont plus adaptés ». Le scientifique plaide pour une agriculture moins intensive, s’appuyant sur des PME en circuit court et des coopératives.

L’écologue en appelle au soutien de l’Etat. « On comprend qu’il faut une transformation. On ne peut pas dire brutalement à des exploitants agricoles d’un seul coup, ‘vous mettez la clé sous la porte’, c’est là où l’Etat devrait intervenir pour diminuer la distorsion de concurrence et faciliter la transition ». Un sujet qui pourrait être soumis à débat à la rentrée parlementaire ?

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