FRANCE – MINISTERS VISIT ANGRY FARMERS AT NATIONAL ASSEMBLY
Credit : Arnaud VILETTE / OLA NEWS/SIPA

Pesticides : un décret met le feu aux poudres, les oppositions accusent l’exécutif de « mise sous tutelle » de l’Anses

Un décret paru le 10 juillet, qui prévoit que l’Anses prenne en compte les priorités du ministère de l’Agriculture dans la fixation de son calendrier d’autorisations de mise sur le marché. Il cristallise les oppositions contre lui. Il est accusé de « mettre sous tutelle » l’agence indépendante, alors que la contestation contre la loi Duplomb est déjà très vive.
Mathilde Nutarelli

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

On peut dire que la temporalité est mal choisie. Alors que la loi Duplomb, définitivement adoptée par le Parlement le 8 juillet, fait l’objet de très vives critiques et d’une pression citoyenne sans précédent, la parution d’un décret qui concerne l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) jette de l’huile sur le feu du mécontentement.

Le directeur de l’Anses doit « tenir compte » d’une liste fixée par le ministère de l’Agriculture

Le fameux décret, pris par les ministres de l’Agriculture, Annie Genevard, du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher et de la Santé, Yannick Neuder, est paru au journal officiel le 10 juillet.

Il prévoit que le directeur de l’Anses, qui prononce les autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les produits phytosanitaires depuis 2015, « tienne compte » dans la fixation de l’agenda de ses décisions, d’un arrêté ministériel. Ce dernier dresse une liste des produits considérés comme urgents, car ils luttent contre « des organismes nuisibles ou des végétaux indésirables affectant de manière significative le potentiel de production agricole et alimentaire et contre lesquels les moyens de lutte sont inexistants, insuffisants ou susceptibles de disparaître à brève échéance ». Cette liste ne peut contenir plus de 15 % des usages répertoriés dans le catalogue national des pesticides.

Dit autrement, le décret demande à l’autorité indépendante de prendre en compte une liste de produits prioritaires fixée par le gouvernement, au moment où elle élabore le calendrier des autorisations de mise sur le marché.

« Certains dossiers nécessitent d’être traités en urgence, sinon il sera trop tard »

Du côté du ministère de l’Agriculture, c’est l’efficacité qui est prônée. Rue de Varenne, on affirme que « jusqu’à présent, l’Anses traitait les demandes d’AMM par ordre d’arrivée et l’établissement d’une liste d’usages prioritaires vise, sans porter préjudice aux enjeux sanitaires ou environnementaux, à proposer un calendrier de traitement des dossiers en tenant compte de la saisonnalité des menaces pesant sur les cultures ». Le ministère rappelle également que
« l’Anses est complètement indépendante dans ses évaluations et dans son calendrier ».

« Certains dossiers nécessitent d’être traités en urgence, sinon il sera trop tard », justifie une source gouvernementale, « l’Anses met trois-quatre ans à avoir un avis ». Elle assure que l’agence n’est en rien obligée de décider en fonction de ce que dit le ministre.

Une « mise sous tutelle » de l’Anses

Un argumentaire qui a du mal à passer. En effet, dès la publication du décret, une levée de boucliers a eu lieu du côté des parlementaires et des associations écologistes. Le groupe socialiste de l’Assemblée nationale a ainsi dénoncé une « mise sous tutelle de l’Anses après plusieurs mois de tentatives de déstabilisation ». Daniel Salmon, sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine y voit un « flou » qui ouvre une « mainmise de l’exécutif sur l’Anses sous la pression des lobbies des filières ». Pour lui, l’argument du gouvernement ne tient pas : « l’Anses travaille avec huit cents experts indépendants qui donnent leurs conclusions sur le plan sanitaire et environnemental. Mais ils ne s’en fichent pas, des données économiques ! ».

Même sur les bancs du socle commun, le décret interroge. Cité par nos confrères du Monde, le député LR Julien Dive, rapporteur de la proposition de loi Duplomb à l’Assemblée nationale, estime qu’il « n’aurait pas fallu prendre ce décret ». Il craint que le directeur de l’Anses ne se sente « contraint », dans les faits.

Ce lundi, l’association Agir pour l’environnement a annoncé saisir le Conseil d’Etat pour contester le décret. Elle dénonce une « mise sous tutelle » de l’agence. « Ce décret conduit ainsi l’ANSES à bousculer son calendrier, sur injonction du ministère de l’Agriculture, afin d’étudier en priorité certaines autorisations de mise sur le marché de pesticides », peut-on lire dans le communiqué de presse.

Du côté de l’Anses, on indique que le décret est « encore en cours d’examen ».

« Le gouvernement fait fi du débat parlementaire »

Ce décret arrive au mauvais moment. En effet, il est publié quelques jours après l’adoption de la très controversée loi Duplomb, qui porte diverses mesures contestées, réautorisant sous conditions un pesticide néonicotinoïde, facilitant les mégabassines et, dans sa version initiale, modifiant l’organisation du travail de l’Anses.

L’indépendance de l’agence avait fait l’objet de débats tendus entre sénateurs et députés, ceux en faveur et ceux contre le texte. Dans sa version initiale, celle votée au Sénat, la proposition de loi créait un « conseil d’orientation pour la protection des cultures », composé notamment d’industriels du secteur agricole, qui aurait pu imposer des priorités à l’Anses. Le ministère de l’Agriculture aurait également pu suspendre des décisions de l’agence, sous conditions. En audition, son directeur Benoît Vallet avait menacé de démissionner si de telles dispositions devaient s’appliquer. Plusieurs voix s’étaient alors élevées, dans les hémicycles et ailleurs, pour alerter sur le risque que comportait une telle mesure. Finalement, en commission mixte paritaire, cette réunion de sept députés et sept sénateurs chargée de se mettre d’accord sur la version finale du texte, elle avait été retirée.

C’est pourquoi la parution du décret, à peine quarante-huit heures après l’adoption de la loi, crispe autant. « On voit que le gouvernement fait fi du débat parlementaire », se désole Daniel Salmon. « Pendant l’examen de la proposition de loi Duplomb, tout le monde a jugé que c’était trop dangereux d’agir ainsi. Il y a eu quelques accords en commission mixte paritaire. En fin de compte, dix jours après, le gouvernement décide de publier ce décret. C’est une contradiction notoire de la ministre ». Le sénateur, exaspéré, alerte : « On peut jouer avec les règles et avec les autorités indépendantes, mais au bout d’un moment, il y aura un responsable ».

Partager cet article

Dans la même thématique

Illustration Of Wheat Harvest
8min

Environnement

« Ce n’est pas une histoire de paysans, c’est une histoire de société » : la pétition contre la loi Duplomb dépasse le million de signatures

Ce week-end, une pétition citoyenne demandant l’abrogation de la proposition de loi Duplomb, qui comporte des mesures controversées dans le secteur agricole, a dépassé le million de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. La rapidité inédite avec laquelle elle a été signée pose la question aux parlementaires de la marche à suivre.

Le

Marseille Fire Damage
6min

Environnement

Incendies en France : « La culture du risque n’est toujours pas au rendez-vous »

Depuis lundi, plusieurs feux se sont déclenchés dans le sud de la France. Après avoir subi des températures caniculaires, le territoire fait face à des risques d’incendies « élevés » voire « très élevés » selon Météo-France. En 2023, un an après les mégafeux de Gironde, un texte de loi du Sénat avait proposé des réponses aux incendies.

Le

La sélection de la rédaction

Illustration Of Wheat Harvest
8min

Environnement

« Ce n’est pas une histoire de paysans, c’est une histoire de société » : la pétition contre la loi Duplomb dépasse le million de signatures

Ce week-end, une pétition citoyenne demandant l’abrogation de la proposition de loi Duplomb, qui comporte des mesures controversées dans le secteur agricole, a dépassé le million de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. La rapidité inédite avec laquelle elle a été signée pose la question aux parlementaires de la marche à suivre.

Le

« Peasant Banquet » Held in Protest Against the Duplomb Bill
7min

Politique

Loi Duplomb : après le succès de la pétition, que va devenir le texte ?

Une pétition contre la proposition de loi de Laurent Duplomb « pour lever les contraintes du métier d’agriculteur » a reçu plus d’un million de signatures ce week-end permettant à l’Assemblée nationale d’organiser un débat sans vote. Les oppositions réclament également du président de la République qu’il ne promulgue pas la loi qui doit encore passer l’étape du Conseil constitutionnel.

Le