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Plan Ecophyto : qu’est-ce que le Nodu, l’indicateur d’utilisation des pesticides qui fait débat ?

Pour calmer la colère des agriculteurs, Gabriel Attal avait annoncé la suspension du plan Ecophyto, « le temps de mettre en place un nouvel indicateur » pour mesurer la baisse d’utilisation des pesticides. Jugé essentiel par les associations environnementales, le Nodu – l’indicateur aujourd’hui utilisé – ne convainc pas les syndicats agricoles.
Rose Amélie Becel

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C’est un sujet technique, mais sensible, auquel le gouvernement a promis de s’attaquer avant l’ouverture du salon de l’agriculture, le 24 février prochain. Au début du mois, en conférence de presse, le Premier ministre avait annoncé la mise en pause du plan Ecophyto, « le temps de mettre en place un nouvel indicateur » pour évaluer la consommation de pesticides sur le territoire.

Tout en affirmant maintenir la trajectoire de diminution de moitié de l’usage des produits phytosanitaires d’ici 2030, le gouvernement multiplie donc les réunions avec le secteur pour élaborer une nouvelle unité de mesure. Si rien n’est encore arrêté, l’hypothèse la plus probable semble être celle du remplacement du Nodu – indicateur aujourd’hui utilisé – par un indice européen, le HRI 1.

« L’idée n’est pas de supprimer le Nodu, mais d’y ajouter d’autres indicateurs pour rejoindre les méthodes de mesure européennes », assure-t-on du côté de Matignon et du ministère de l’Agriculture. Une proposition qui ne séduit pas les associations environnementales. Conviées à une réunion de travail le 12 février, elles ont claqué la porte, faisant de la suppression du Nodu « une ligne rouge ».

À quoi sert le Nodu ?

Si ces débats d’unité de mesure peuvent sembler techniques, ils revêtent une importance capitale, tant la courbe de diminution de l’usage des pesticides peut évoluer en fonction de l’indicateur choisi. Lors de son élaboration en 2008, au moment de la mise en place du premier plan Ecophyto, le Nodu avait ainsi été pensé pour combler les lacunes de l’unité jusqu’ici utilisée : la quantité de substance active (QSA), qui mesurait simplement le volume de pesticides vendus tous les ans en tonnes.

Contraction de « Nombre de doses unités », le Nodu rapporte chaque pesticide à une « dose unité » spécifique : la dose maximale du produit qui peut être appliquée lors d’un traitement, sur une culture et une année donnée. Un indicateur plus complexe, mais aussi plus complet puisqu’il prend en compte l’efficacité des substances utilisées et pas seulement la masse de pesticides épandus, tous les pesticides n’ayant pas la même performance à quantité égale.

Sur son site internet, l’Inrae défend l’usage du Nodu, indicateur jugé pertinent pour évaluer « notre dépendance aux pesticides, en évitant les biais liés aux grandes différences de doses homologuées entre molécules ». Pour l’association de défense de l’environnement Générations Futures, cette unité de mesure spécialement conçue pour « réduire la dépendance de l’agriculture aux pesticides » est la seule à même d’évaluer l’atteinte des objectifs d’Ecophyto.

Une hausse du Nodu sur les dix dernières années

Côté chiffres, la France est passée d’un Nodu de 82 millions d’hectares en 2009 à un Nodu de 85,7 millions d’hectares en 2021, avec un pic à plus de 120 millions d’hectares en 2018. Contrairement aux objectifs affichés par Ecophyto, qui correspondent à un Nodu d’environ 50 millions d’hectares, l’utilisation de pesticides aurait donc augmenté dans les dix dernières années.

Un constat qui fait bondir Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, principal syndicat agricole et pourfendeur du Nodu depuis sa création. « Les agriculteurs et leurs syndicats sont aujourd’hui accusés d’être réfractaires au changement, alors que c’est le thermomètre de leur engagement qui est défaillant », fustigeait-il dans un édito pour Ouest-France, en rappelant que le recours aux substances « les plus à risque » a chuté de 87 % en dix ans.

Le Nodu est en effet pointé du doigt pour sa non prise en compte de la dangerosité des produits utilisés. « À partir du moment où on remplace un produit efficace, mais considéré comme nocif, par un produit moins efficace, on est obligé de le passer plus souvent dans les champs. Calculer le nombre de doses utilisées, c’est fausser le résultat », dénonce auprès de l’AFP Éric Thirouin, président de l’association des céréaliers de France.

Le HRI 1, un indicateur plus juste ?

Alors que les agriculteurs maintiennent la pression sur le gouvernement pour obtenir des avancées concrètes avant le salon de l’agriculture, l’indicateur franco-français est sur la sellette face à son cousin européen : l’indicateur « de risque harmonisé », le HRI 1. Contrairement au Nodu, celui-ci prend en compte la nocivité des produits phytosanitaires, en les classant en quatre catégories selon leur dangerosité.

Ce classement des pesticides change le mode de calcul de leur consommation, en affectant un coefficient multiplicateur qui récompense davantage la diminution de l’usage des pesticides les plus nocifs. Un mode de calcul bien plus avantageux pour mesurer les avancées d’Ecophyto, puisqu’il mettrait en valeur les efforts de diminution des pesticides les plus dangereux. Ainsi, sur la base du HRI 1, la France aurait connu une baisse de 32 % de l’utilisation des pesticides entre 2011 et 2021.

« Une baisse en trompe l’œil », dénonce Générations Futures dans un communiqué : « les coefficients de dangerosité sont trop faibles, (…) l’usage de pesticides dangereux à faibles doses peuvent ainsi donner un indicateur plus faible que l’usage de pesticides à bas risque employés en plus grande quantité ». Nodu ? HRI 1 ? Indicateur hybride ? La bataille des chiffres n’est pas encore tranchée. « Il reste dans les deux cas une marche importante à franchir » pour diminuer l’usage des pesticides, concède le gouvernement.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. C’est l’avis d’un ensemble de scientifiques, membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto qui, dans un article au média The Conversation du 21 février dernier, alertait sur « la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU ». C’est aussi l’avis de Daniel Salmon, sénateur écologiste de l’Ille-et-Vilaine. « Aucun indicateur n’est parfait, mais il fallait combiner le NoDU et le HRI-1. C’est possible dans les directives européennes. Si on change d’indicateur en cours de route on n’aura plus rien pour les années d’avant, on va avoir une grosse baisse, c’est normal » explique-t-il à publicsenat.fr. Le nouveau plan Ecophyto : réduire les pesticides nocifs Même si, sur le papier, l’objectif du plan Ecophyto dernière version ne change pas, avec ce nouvel indicateur, son interprétation se déplace. Il passe d’une réduction des pesticides en général, à une réduction des pesticides dangereux. Avec cette nouvelle version, le gouvernement cible les produits qui peuvent se voir interdits par l’Union européenne d’ici trois à cinq ans. Une stratégie que revendique Marc Fesneau dans Le Parisien : « Affirmer que les pesticides sont dangereux, c’est une généralité approximative. Et c’est justement pour ça qu’on en réglemente les usages. Si on les a classés par niveau de dangerosité, c’est bien que certains sont dangereux et d’autres ne le sont pas ou plus faiblement. L’objectif de la stratégie est de mieux connaître le risque de leur usage pour la santé et de le réduire ». Une affirmation avec laquelle Daniel Salmon est en profond désaccord. « On entend la petite musique selon laquelle il y a des bons et des mauvais pesticides. Il y a certes des pesticides plus dangereux que les autres, mais ils sont tous toxiques car ils tuent tous du vivant. Il n’y a pas de pesticide qui soit anodin » confie-t-il. Les autres mesures Autre nouveauté du plan Ecophyto, quatrième version, c’est la concrétisation de la doctrine « pas d’interdiction sans alternative », revendiquée entre autres par la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture a en effet annoncé la provision de 250 millions d’euros par an, dont 150 pour financer la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires les plus dangereux, qui auront vocation à être interdits. Si Daniel Salmon n’est pas complètement opposé à cette mesure, pour lui, les alternatives doivent être « bien étudiées ». Pas question que cela ne permette de développer de nouvelles molécules. « La recherche doit aussi se faire sur les causes. Les nouveaux ravageurs se développent parce que leur environnement change, et on doit comprendre pourquoi ils pullulent : il y a le réchauffement climatique mais aussi la chute de la biodiversité », ajoute-t-il. Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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