France Air Show

Plan en faveur de l’avion vert : faut-il miser sur les biocarburants ?

Emmanuel Macron a dévoilé ce vendredi son plan de soutien à la transition écologique dans le secteur aérien. Il prévoit notamment d’aiguiller 200 millions d’euros vers la fabrication de biocarburants, avec un objectif de 500 000 tonnes produites d’ici 2030.
Romain David

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Le gouvernement entend faire décoller la décarbonation du secteur aérien. En déplacement ce vendredi 16 juin dans l’usine Safran Aircraft Engines de Moissy-Cramayel en Seine-et-Marne, qui fabrique notamment des moteurs pour l’aviation civile et militaire, Emmanuel Macron a annoncé une série d’investissements en faveur du développement de nouvelles technologies et de la filière des biocarburants. Un budget annuel de 300 millions d’euros, sur la période 2024-2030, sera ainsi investi dans la recherche pour le développement de nouveaux appareils. Une enveloppe de 200 millions, mêlant à la fois fonds publics et argent privé, sera plus spécifiquement fléchée vers les biocarburants, avec un objectif de 500 000 tonnes à l’horizon 2030. Enfin, 50 millions d’euros seront également débloqués en faveur des « acteurs émergents, start-up » qui travaillent sur l’avion électrique ou à hydrogène. Par ailleurs, le chef de l’Etat a annoncé installation d’une usine de biocarburants à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, avec 700 emplois à la clef.

« Nous Français on doit être les champions de l’avion ultra-sobre […] Et on a les moyens de l’être », a déclaré le chef de l’Etat, alors que le constructeur franco-allemand Airbus est l’un des fleurons de l’industrie française, concepteur d’un avion commercial sur deux dans le monde, mais qui doit aussi faire face à la concurrence de l’américain Boeing et aux ambitions de l’avionneur chinois Comac. Signal positif envoyé jeudi 15 juin : l’agence de notation Fitch Ratings a relevé la dette d’Airbus de BBB + à A-. « La notation d’Airbus reflète son profil commercial robuste et sa position de leader sur le marché de l’aéronautique commerciale, des hélicoptères et de certains segments de la Défense, la large étendue géographique de sa clientèle, et son solide carnet de commandes qui offre une visibilité des revenus à moyen terme », salue l’agence.

Le défi de la décarbonation

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique l’enjeu de la décarbonation est de taille, car si les émissions globales de CO2 du secteur aérien ne représentent qu’entre 3,5 et 5 % des émissions mondiales, celles-ci ont bondi de 130 % entre 1990 et 2017, selon les données communiquées par le Parlement européen. Et malgré le ralentissement enregistré pendant l’épidémie de covid-19, ces chiffres devraient continuer de grimper avec l’explosion attendue du trafic dans les années à venir. Un rapport d’Airbus estime que le nombre de passagers transportés dans le monde chaque année aura doublé en 2030 par rapport à 2010.

Deux grandes pistes s’offrent aux constructeurs et aux compagnies pour engager leur transition. En premier lieu le recours aux biocarburants, appelés « SAF » (« sustainable aviation fuel ») dans le jargon aéronautique, qui présentent l’avantage de pouvoir être utilisés jusqu’à un certain niveau dans des appareils déjà existants, mélangé au kérosène. « Il existe une filière de première et de seconde génération sur les biocarburants, ce qui permet aux constructeurs d’envisager, sans ruptures technologiques, de décarboner à hauteur de 80 % », détaille le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas, président du groupe d’étude sur l’aviation civile. Si leur combustion produit des quantités de CO2 comparable à celles des carburants fossiles, le processus de fabrication des biocarburants, généralement à partir de matière première végétale, et en revanche bien moins polluant.

Autre option : l’avion à moteur électrique, alimenté par de l’hydrogène. Des prototypes existent déjà mais aucune technologie n’est de taille, pour l’heure, à se substituer à un appareil commercial de type A320, le plus utilisé dans le monde.

Un rapport de la Cour des comptes publié en février 2022, sur le soutien public au secteur aéronautique, n’oppose pas ces deux pistes, mais envisage plutôt le recours aux biocarburants comme une étape transitoire vers l’avion électrique. « Les innovations incrémentales conduisant à une plus grande efficacité énergétique du transport aérien sont mises en œuvre depuis de nombreuses années mais insuffisantes pour compenser l’augmentation du trafic. La filière doit s’orienter vers des innovations de rupture », estiment les sages de la rue Cambon. Un rapport du Sénat, conduit par le sénateur Vincent Capo-Canellas, s’oriente vers une conclusion similaire : « La temporalité la plus adaptée pourrait conduire à privilégier les SAF à court et moyen terme, puis, lorsque l’hypothèse apparaîtra réglementairement et technologiquement mature, d’envisager la faisabilité de l’avion à hydrogène. »

« Les carburants durables sont la clef »

Dans le cadre du plan d’investissement « France 2030 », le gouvernement a prévu de consacrer 1,2 milliard à la conception d’un avion moyen-courrier à propulsion hydrogène, et qui soit opérationnel d’ici 2035. Mais du côté des constructeurs et des compagnies, c’est bien la piste des biocarburants qui apparaît comme la plus réaliste à mettre en œuvre, avec des chances de réussite moins hasardeuses. L’avion à hydrogène « suppose de lever de nombreux défis technologiques et économiques, de repenser une architecture de l’avion de transport de passagers qui a peu évolué depuis les années 1940 et de bâtir une filière hydrogène », reconnaît la Cour des comptes. « L’avion électrique, sur de petits modules, dans le cadre de dessertes régionales, doit pouvoir rester dans la réflexion », estime néanmoins le sénateur Vincent Capo-Canellas.

Auditionnée le 23 mai dernier au Sénat, dans le cadre des travaux d’une mission d’information sur le développement d’une filière de biocarburants, Anne Rigail, la directrice générale d’Air France, a expliqué y voir une solution plus viable : « Les carburants durables sont la clef et représentent dans toutes les trajectoires de décarbonation qui ont pu être travaillées à eux seuls plus de 50 % de l’effort de décarbonation du secteur aérien français à l’horizon 2050 », a-t-elle défendu. « Ce n’est pas un levier transitoire, mais une solution de long terme qui s’étendra à notre avis bien au-delà de l’horizon 2050, sauf innovation de rupture majeure mais que l’on ne voit pas à ce stade. »

Le législateur européen pousse également dans cette direction : eurodéputés et Etats membres se sont entendus en avril dernier pour que, d’ici 2050, le carburant fourni dans les aéroports européens soit composé à 70 % de carburants durables. L’accord élaboré intègre toutefois l’hydrogène dans sa liste des carburants concernés.

Une production très timide

Mais la marche est encore haute : sur l’année 2021, la production mondiale de carburants durables à destination de l’aviation n’a pas excédé les 300 000 tonnes, soit seulement 0,1 % des volumes consommés. De son côté, l’Association du transport aérien international chiffre les besoins à partir de 2050 à 450 milliards de litres par an. « Les 200 millions d’euros annoncés par Emmanuel Macro sont un bon levier, mais ils sont insuffisants pour créer un véritable marché. Au regard du volume financier que représentent les carburants fossiles, on parle de quelques barils de biocarburant dans un océan de kérosène », raille le sénateur Vincent Capo-Canellas, qui est également le rapporteur de la mission d’information sur les biocarburants.

Pour débloquer le secteur, les entreprises appellent le gouvernement à aller au-delà des seules subventions, à travers des dispositifs fiscaux spécifiques. « Le coût de solutions qui empruntent aux biocarburants ou aux autres solutions sera toujours plus élevé que le coût du kérosène fossile, donc il faut des incitations volontaires de la part des Etats », expliquait au micro de Public Sénat Samuel Dubruque, directeur financier de Global Bioenergies, une société française spécialisée dans la production d’hydrocarbures à partir du sucre. Faute de quoi, le prix du billet d’avion pourrait sensiblement augmenter, au risque de voir le transport aérien se replier sur une clientèle privilégiée.

« Les biocarburants sont 4 à 8 fois plus chers que les carburants classiques. Nous demandons aux pouvoirs publics des mécanismes d’incitation fiscale, comme cela se fait aux Etats-Unis dans le cadre de l’Inflation réduction act (IRA). Le gouvernement américain a décidé d’un plan de soutien massif aux carburants durables », expliquait le 24 mai sur le plateau de l’émission « Sens Public », sur Public Sénat, Pascal De Izaguirre, le président de Corsair et de la Fédération nationale de l’aviation marchande (Fnam).

« Ce que je note, c’est que nous avons un vrai sujet de prix par rapport à nos concurrents. Aux Etats-Unis, il n’y a ni problème de disponibilité, ni de prix sur les biocarburants, alors qu’il est très difficile d’en trouver chez nous », observe le sénateur Capo-Canellas. En fin d’année, Air France-KLM a signé un protocole d’accord avec TotalEnergie, qui s’est engagée à fournir à la compagnie 800 000 tonnes de carburant durable sur les dix prochaines années.

Autre difficulté liée aux biocarburants : le risque de concurrence avec le secteur de l’agroalimentaire, la montée en puissance de la production étant susceptible de générer des conflits sur l’utilisation des surfaces cultivables.

« Cela n’existe pas l’avion zéro émission »

Devant la somme des défis à relever au regard de l’urgence climatique, certains responsables politiques et commentateurs mettent en avant le levier de la décroissance pour trancher ce nœud gordien. « Cela n’existe pas l’avion zéro émission et toutes les prévisions disent qu’éventuellement on pourrait avoir un avion à hydrogène qui transporte éventuellement des passagers, éventuellement en 2050 », a raillé la députée écologiste Sandrine Rousseau ce vendredi matin au micro de franceinfo, appelant plutôt à prendre « tout de suite des mesures très fortes comme la diminution du nombre de voyages en avion ». Un discours qui n’est pas sans rappeler celui de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergétiques et climatiques, qui souhaiterait voir le nombre de voyages en avion sur une vie limité à trois ou quatre.

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