illustration loups gris.

Plan loup : après la déception des associations environnementales et des éleveurs, le Sénat va lancer une mission flash

La présentation du « plan loup » pour 2024-2029 qui a pour objectif de concilier les attentes du monde agro pastoral et les associations de défense de l’environnement, n’a finalement satisfait aucune des parties. Face à la déception, le sénateur de Haute-Savoie, Cyril Pellevat annonce le lancement d’une mission d’information pour auditionner l’ensemble des acteurs concernés et faire de nouvelles préconisations.
Simon Barbarit

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« C’est compliqué de trouver un équilibre sur ce sujet qui est un peu passionnel », avait anticipé le ministre de l’agriculture invité sur Public Sénat, la semaine dernière. Marc Fesneau ne s’était pas trompé. La cinquième édition du « plan loup » pour 2024-2029 n’a pas satisfait les éleveurs confrontés à une recrudescence d’attaques de leur cheptel ces derniers mois et encore moins les associations écologistes qui ont claqué la porte, lundi, du groupe national loup (GNL), une instance consultative rassemblant les représentants du monde agricole, élus, bergers, chasseurs, espaces protégés, administrations et associations de protection de la nature.

Depuis le retour du loup en France au début des années 90, il y aurait en France 1 104 individus contre 921 l’année précédente. En 2016, une étude de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et du Muséum national d’histoire naturelle avait évoqué le nombre de 500 loups pour garantir la viabilité de l’espèce.

Pari gagné donc, mais au grand dam des éleveurs qui ont déploré plus de 12 000 bêtes attaquées en 2022. Le plan dévoilé par le gouvernement prévoit un assouplissement des conditions de tirs pour les éleveurs, les chasseurs et les louvetiers, avec la possibilité d’utiliser du matériel de vision nocturne pour repérer l’animal. Le plan autorise également la possibilité d’avoir deux tireurs pour abattre l’animal après une attaque. Le plan précédent classifiait les tirs en deux sortes : les tirs de défense simple, réalisés par un tireur autour d’un troupeau ; et les tirs de défense renforcée, réalisés par plusieurs tireurs, pour abattre des loups après plusieurs attaques de troupeaux.

« L’Etat a suivi le narratif des syndicats de l’agriculture »

Pour Jean-David Abel, vice-président de France Nature Environnement, « l’Etat a suivi le narratif des syndicats de l’agriculture qui consiste à dire que si le loup va bien le pastoralisme va mal. Il y a pourtant une décorrélation complète entre l’augmentation du nombre de loups et le nombre d’attaques. Il y a eu une augmentation de 2 % des attaques entre 2017 et 2022 alors que la population de loups a triplé », met-il en avant.

Un autre point inquiète particulièrement les associations écologistes, c’est la réflexion autour « d’un reclassement de l’espèce actuellement « strictement protégée » à « protégée » au niveau international et européen. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a vu un de ses poneys tué par un loup au mois de juin, a récemment qualifié les meutes de loups dans l’Union européenne de « réel danger », « pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme ». La cheffe de l’exécutif européen a surtout ouvert la porte a une évolution du statut juridique du loup régit par la convention de Berne de 1979 et la directive « Habitats, faune, flore » de 1992.

Mais le plan du gouvernement renvoie cette réflexion sur un déclassement à 2025, bien trop tardif pour les éleveurs. « Il est urgent de demander, dès cette année, une révision du statut du loup dans la directive Habitats et dans la Convention de Berne », demandent dans un communiqué commun l’ensemble des représentants des syndicats agricoles dont la FNSEA et Jeunes agriculteurs. « La profession agricole demande de simplifier les tirs de défense et leur mise en œuvre, de supprimer le plafond de destruction de 19% et de permettre aux éleveurs et aux chasseurs formés de disposer d’armes équipées de lunettes à visée nocturne », demandent-ils.

« Il faut accélérer les mesures de régulation. Il y va de la survie du monde pastoral »

« Je comprends tout à fait la détresse des éleveurs. Ce plan est constitué de mesures à la marge mais qui ne prend pas en compte les enjeux locaux. En 2018, le loup était présent dans 38 départements, il l’est maintenant dans 53, l’espèce est en train de progresser. Il faut accélérer les mesures de régulation sans être contraint par des quotas. Il y va de la survie du monde pastoral », insiste, Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes.

En France, un loup peut être abattu sous certaines conditions, notamment lorsque l’abattage ne nuit pas à l’espèce. Un arrêté a fixé un seuil de 19 % de loups pouvant être prélevé par an, soit environ 200. « C’est toute la malignité de ce plan. Qu’est ce qui va se passer si ce seuil est atteint au mois d’août ? On sait très bien que le gouvernement relèvera le plafond », s’inquiète Jean-David Abel.

« Il faut sortir de cette vision loup ou pas loup »

« C’est une réponse populiste qui apporte une vision uniquement comptable. Au lieu d’un plan loup, nous aurions besoin d’un plan de soutien au pastoralisme qui regrouperait la problématique du loup mais aussi de l’eau, du traité de libre-échange et de la concurrence de l’agneau de Nouvelle Zélande, de l’attractivité du métier de berger, du statut des chiens de protection… On tourne en rond sur le nombre de prélèvement alors que c’est très compliqué de savoir à l’unité près combien il y a de loups sur notre territoire. Il faut sortir de cette vision loup ou pas loup », souligne Guillaume Gontard président du groupe écologiste du Sénat.

Le sénateur de l’Isère plaide également pour un renforcement des effectifs de la brigade loup de l’Office français de la biodiversité (OFB) limités à une vingtaine d’effectifs. « Ils ne sont pas uniquement en charge de tuer des loups. Ils apportent aussi des connaissances et une expertise aux bergers », rappelle Guillaume Gontard.

Un rapport d’information du sénateur LR, Cyril Pellevat remis en 2018 préconisait la création de brigades loups régionales par massif afin de « développer les mesures alternatives aux tirs de prélèvement pour réapprendre aux loups à se méfier et à se tenir à l’écart des hommes ». Le sénateur de Haute Savoie, président du groupe d’étude sur le développement économique de la montagne a bien sûr pris connaissance de la déception chez l’ensemble des acteurs du nouveau plan loup. « Je vais refaire le travail que j’avais fait il y a quelques années, c’est-à-dire lancer une mission flash, auditionner l’ensemble des parties prenantes pour faire des préconisations, voir ce qui peut être amélioré à la marge », annonce-t-il à publicsenat.fr.

Lui aussi déplore le maintien du seuil de 19 % de loups pouvant être abattu. « Il faut qu’on se mette d’accord sur un nombre par département. Il faut revoir la méthodologie. Je comprends la désespérance des éleveurs. L’objectif n’est pas l’éradication de l’espèce bien sûr. Mais d’arriver à zéro attaque. Ma crainte c’est de voir un jour une attaque sur l’Homme ».

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Alors que depuis 2008 et le premier plan Ecophyto, c’était un indicateur français, le NoDU (Nombre de doses unités), qui était utilisé pour comptabiliser la quantité de pesticides utilisés chaque année, ce sera dorénavant le HRI-1 (Harmonized Risk Indicator, indicateur de risque harmonisé), un indicateur européen, qui sera utilisé. Gabriel Attal avait annoncé ce changement le 21 février dernier. Du NoDU au HRI-1 : qu’est-ce que cela change ? Ce changement d’indicateur est l’un des principaux enjeux de ce plan. En effet, le mode de calcul est différent d’un indicateur à l’autre. Le NoDU se base, pour chaque substance, sur les doses maximales autorisées par hectare pour chaque produit phytosanitaire. C’est une addition des surfaces (en hectares) qui seraient traitées avec les doses de référence. C’est une statistique au calcul complexe, décrié par certains syndicats agricoles. Pour Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, il est « catastrophique ». Il ne mâche pas ses mots : « Il a été imposé par des écolos dogmatiques avec un objectif de sortie totale des phytosanitaires ». Le HRI-1, lui, prend la masse des produits phytosanitaires vendus en France et les pondère par un coefficient prenant en compte la dangerosité de chaque produit. Il en existe quatre : 1, 8, 16 et 64, ce dernier correspondant au plus haut niveau de dangerosité. Marc Fesneau se félicite de ce changement : « Si l’on n’utilisait pas le même indicateur que nos voisins, à quoi cela servirait-il ? C’est comme si, pour notre objectif climatique de réduction d’émissions de CO2, nous avions notre propre calculateur et le reste de l’Europe un autre », expliquait-il au Parisien ce matin. Si le HRI-1 permet de donner un poids plus important aux produits les plus nocifs, il présente des défauts. Ses coefficients, qui ne reposent pas sur un calcul scientifique, peuvent être jugés comme artificiels. 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Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. Les producteurs de phytosanitaires ont gagné la bataille contre l’opinion publique et les agriculteurs ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots » Du côté droit de l’hémicycle, le plan est bien accueilli. « Enfin ! », se réjouit le sénateur Les Indépendants de la Haute-Garonne Pierre Médevielle, « il était temps d’harmoniser les politiques et de parler d’une seule voix en Europe, pour que nous soyons crédibles ». Sur les pesticides, l’élu se veut mesuré dans sa position : « On ne peut pas vider la trousse à pharmacie, mais il faut arriver à restaurer la confiance ». Il plaide pour une approche « prudente mais réaliste », à l’encontre d’une « écologie punitive ou d’une écologie idéaliste ». « Quand j’entends le ministre, j’ai l’impression que ce sont mes mots », se réjouit Laurent Duplomb. Pour autant, l’élu dit ne pas se faire d’illusions : « Je n’ai rien à enlever à ce qu’il a dit. Mais on assiste à une multitude d’annonces séduisantes, mais qui ne verront jamais le jour. Depuis les mesures annoncées après la crise agricole, lesquelles ont été réellement mises en place ? ». Le sénateur travaille sur le projet de loi d’orientation agricole, qui passera au Sénat dans l’hémicycle à la mi-juin. Il regrette de ne pas y trouver les mesures annoncées par le ministre.

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