Goliath a fait plier David. La justice française a partiellement condamné, jeudi 23 octobre, TotalEnergies pour avoir commis des « pratiques commerciales trompeuses » en communiquant sur son « ambition d’atteindre la neutralité carbone » et son objectif de devenir « un acteur majeur de la transition énergétique ». Le tribunal judiciaire de Paris a estimé que ces messages environnementaux « étaient susceptibles d’altérer le comportement d’achat du consommateur » et « de l’induire en erreur », notamment en laissant croire que la compagnie pétrolière pourrait atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en continuant à augmenter sa production de pétrole et de gaz. En revanche, les juges ont rejeté les plaintes des associations concernant les allégations de TotalEnergies sur le gaz fossile et les agrocarburants. Le groupe devra verser 8 000 euros à chacune des trois ONG plaignantes, Les Amis de la Terre France, Greenpeace France et Notre Affaire à Tous, ainsi que 15 000 euros pour les frais de justice. Il est en outre contraint de retirer de son site internet les messages incriminés et de publier un lien vers la décision dans un délai d’un mois, sous peine d’une astreinte de 20 000 euros par jour. De son côté « TotalEnergies prend acte du jugement du tribunal judiciaire de Paris qui a rejeté l’essentiel des demandes formulées à l’encontre de TotalEnergies, en particulier celles relatives à la communication institutionnelle », a indiqué le groupe dans un communiqué sans préciser s’il fera appel du jugement.
TotalEnergies rattrapé par son image « verte »
Peut-on être l’une des plus grandes compagnies pétrolières mondiales et se dire « verte » ? C’est toute la question posée par ce procès « historique », initié par Les Amis de la Terre France, Greenpeace France et Notre Affaire à Tous, avec le soutien de ClientEarth.
Déposé en 2022, le recours visait la campagne publicitaire lancée par TotalEnergies en 2021, peu après son changement de nom. L’entreprise, dirigée par Patrick Pouyanné, s’y présentait comme « la compagnie de toutes les énergies », plaçant sur un pied d’égalité pétrole, gaz, éolien et solaire. Les ONG dénonçaient une stratégie de communication « déconnectée de la réalité de ses activités », accusant TotalEnergies de se présenter faussement comme un acteur de la transition écologique alors que l’entreprise continue d’investir massivement dans les énergies fossiles. « « Qu’il y ait une condamnation, c’est important, elle reconnaît enfin des pratiques dénoncées depuis longtemps par les ONG », se félicite Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat. Selon lui, cette affaire met en lumière le double discours de certaines grandes entreprises françaises : « TotalEnergies investit massivement dans les énergies fossiles, en contradiction avec les accords de Paris. C’est un vrai problème que ce soit une entreprise française. Cela pose aussi la question du rôle de l’État. »
De son côté, le groupe défendait une stratégie climatique visant à faire passer la part des énergies renouvelables de 13 % à 20 % de ses ventes d’ici 2030, affirmant qu’« aucune pratique commerciale trompeuse ne peut lui être reprochée ». Mais la justice en a jugé autrement. Cette décision, très attendue, pourrait faire jurisprudence et encadrer plus strictement les communications environnementales des grandes entreprises. Pour l’écologiste, ce jugement « n’est pas anecdotique », mais il illustre surtout le décalage avec les discours politiques : « C’est un grand groupe français qui mène la politique qu’il a envie de mener. Cela pose un vrai problème démocratique, ces entreprises font ce qu’elles veulent ! »
Une commission d’enquête sénatoriale sur la stratégie de TotalEnergies
Entre janvier et mai 2024, une commission d’enquête du Sénat, initiée par le groupe écologiste Solidarité et Territoires (GEST), a examiné la stratégie de TotalEnergies et, plus largement, la décarbonation du secteur énergétique français. Présidée par Roger Karoutchi (Les Républicains) et rapportée par Yannick Jadot (écologiste), la commission a auditionné dirigeants, experts et représentants de l’État afin d’évaluer la compatibilité des choix industriels du groupe avec les objectifs climatiques de la France. Dans ses conclusions, le rapport reconnaît certains progrès accomplis par TotalEnergies, jugés supérieurs à ceux de ses concurrents anglo-saxons. Il insiste toutefois sur la nécessité d’un « partenariat exigeant entre l’État et l’entreprise » pour garantir une souveraineté énergétique durable et cohérente avec la transition écologique. Pour Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat, la vigilance reste de mise, « Une entreprise de cette taille bénéficie d’une forme d’immunité constante. » Le sénateur nuance toutefois le constat : « On peut toujours trouver pire, BP, par exemple, a renoncé à la totalité de ses investissements dans les énergies renouvelables. »
Vers une nouvelle ère juridique contre le « greenwashing » ?
La décision du tribunal parisien constitue une première mondiale pour un géant du pétrole sanctionné sur la base de sa communication climatique. Selon ClientEarth, qui s’est exprimé auprès de nos confrères de l’AFP, il s’agit de « la première condamnation pour « greenwashing » d’une compagnie pétrolière » concernant la présentation de ses engagements climatiques. Des décisions similaires ont déjà été rendues ailleurs en Europe, pour les compagnies aériennes KLM aux Pays-Bas en 2024 et Lufthansa en Allemagne en mars 2025. Désormais, la France envoie à son tour un signal clair à l’ensemble de l’industrie fossile. Cette tendance pourrait être renforcée par la directive européenne adoptée le 28 février 2024, qui impose une plus grande transparence sur les allégations environnementales. Sa transposition dans le droit français prévoit la création d’un organisme indépendant de contrôle du « greenwashing ».
À quelques semaines de la prochaine conférence mondiale sur le climat, la décision du tribunal de Paris sonne comme un avertissement. Les géants de l’énergie devront désormais rendre des comptes sur la véracité de leurs engagements climatiques et cela pourrait créer un précédent pour d’autres affaires judicaires.